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humour"Drama Queen" de Mahaut Drama : un stand-up tout en paillettes et politique

Par Tessa Lanney le 10/03/2023
Mahaut Drama

Avec Drama Queen, Mahaut Drama signe un spectacle féministe, queer et libérateur. L'équivalent du brunch entre meufs des lendemains de cuite – avocado toasts et pancakes sans gluten compris – mais en bien plus politique. Rencontre.

Drama Queen, c'est le délectable récap' de soirée de Mahaut Drama, cette copine qu'on a perdue de vue en s'époumonant sur les Démons de minuit et qui lâche "faut que je te raconte" sur WhatsApp le lendemain. Sauf que là, c'est tous les samedis à 20h, à l'Apollo Théâtre dans le 11e arrondissement de Paris. Vous en aurez pour votre faim insatiable d’anecdotes, de ragots, mais aussi de punchlines engagées, nourries d'une culture politique et militante abrasive. Un spectacle qui ravira les plus "gauchos" d'entre vous – "wokes" diront certains – mais pas seulement, car les textes de Drama Queen s'adressent à un large public, comme en témoigne la diversité frappante de la salle comble où se pressent jeunes queers solitaires, groupes d'amis et couples de tous âges. "C’est important pour moi que mes textes fonctionnent sur tous les publics, d’avoir les mêmes opportunités que n’importe quel humoriste de faire rire tout le monde, que les gens soient déconstruits ou non, éduqués ou non sur les sujets que j’aborde, détaille-t-elle. C’est bien qu’on ait nos moments de non-mixité choisie, qu’on se retrouve entre nous, entre féministes, entre personnes queers, mais je ne voudrais pas non plus que les autres passent à côté de ce que l'on fait."

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Strass et paillettes, histoires d'amour, de cul, galères Tinder, drogue, Mahaut n'a pour ainsi dire aucun tabou et ne s’embarrasse pas des conventions. D'ailleurs, l'humoriste, qui affiche une confiance en elle inébranlable, s'approprie l'espace en un tour de main. Car Mahaut en impose. Sa forte personnalité et son attitude 100% naturelles permettent à chacune de ses blagues de faire mouche sans crainte du bide. "J'ai toujours eu une certaine présence, une tendance à prendre de l'espace", confie-t-elle. Mais si cela lui permet de briller sur scène, à la ville ça n'a pas toujours été aussi simple. "On me l'a reproché dans ma famille, dans mes études... Qu'est-ce qu'on a pu me faire chier pour que je me fasse discrète, lâche-t-elle. Si je pouvais avoir une autre personnalité, j'en aurais une, parce que celle-ci ne m'a jamais rendu service." Elle évoque notamment son parcours en école de journalisme où l'on critique le ton de sa voix, sa façon de s'habiller, mais aussi ses choix de sujets. "C'est quelque chose qui n'arrive pas aux hommes", tranche-t-elle. D'ailleurs, elle ne peut s'empêcher de se demander, à chaque fois qu'elle a une altercation avec un homme : "Pourquoi ce genre de trucs m'arrive toujours à moi ?" Pour son meilleur ami, aucun doute : elle est "le genre de meufs que les gars qui ont un problème avec leur masculinité aiment détester".

"Quand tu arrives dans le stand-up, tu as l’impression qu’il ne faut surtout pas ressembler à une femme."

Lorsqu'elle entre en scène, la jeune femme arbore fièrement un maquillage pailleté et un décolleté pas piqué des hannetons, incarnant une féminité décomplexée portée en étendard. "Le make-up, c’est un choix artistique, visuel. Quand tu arrives dans le stand-up, tu as l’impression qu’il ne faut surtout pas ressembler à une femme." Comme s'il fallait ressembler à un mec pour avoir le droit d’être drôle. "Je ne vais pas renoncer à ces signes extérieurs qui, moi, me font du bien, pour correspondre à ce qu’on attend de moi", exprime Mahaut fermement. La jeune femme aime la mode, a longtemps rêvé de faire carrière dans le stylisme, alors pourquoi tourner le dos à cet aspect de sa personnalité ?

Drama Queen, cultivé, exigeant et thérapeutique

"Moi, je théorise le fait d'être high-fem [lesbienne très très féminine]." Elle l'admet : "Il y a une dissonance entre mon physique et mon discours. Le sexisme nous dit qu'a priori si une meuf est maquillée, pimpée, il n'y aura pas de fond derrière. Sauf que je considère mon spectacle comme cultivé et exigeant intellectuellement." En effet, féministe accomplie, politisée jusqu'au bout des ongles, elle tourne en dérision certaines personnalités politiques, notamment Éric Zemmour, et n'hésite pas non plus à revenir sur les accusations qui entourent le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin. "Pour moi, la parole doit être le vecteur d’une parole progressiste. Je trouverais ça criminel de ne pas utiliser ce temps de parole pour tenir des propos qui aident les autres, individuellement et collectivement. Et je me soigne par la même occasion, explique-t-elle. Drama Queen, c’est en quelques sorte ma thérapie collective."

Notre drama queen ne recule pas devant les sujets personnels, et a même fait son coming out bi sur scène devant sa mère. Rien d'étonnant puisque c'est via le stand-up qu'elle a formulé ses premiers doutes concernant sa sexualité. La première fois qu'elle tombe amoureuse d'une fille, elle a 18 ans. Elles s'embrassent, mais les choses n'iront pas plus loin. Mahaut est terrifiée, encore marquée par son passage dans un collège catholique dirigé par des bonnes soeurs. À l'époque, ses camarades de classe la soupçonnent d'être lesbienne, ce qu'elle nie farouchement. Après ce premier flirt, "stupeur et tremblements, ça [lui] arrive une nouvelle fois, des années plus tard". À ce moment-là, Mahaut rencontre Tahnee, elle aussi humoriste et lesbienne assumée, dont le spectacle, Tahnee, l'autre, aborde ce thème de long en large et en travers. "J'ai fini par lui en parler autour d'une bière alors que je commençais à peine à me l'avouer à moi-même", s'amuse-t-elle. Une rencontre particulièrement marquante qui donnera naissance au spectacle queer Comédie Love avec Noam Sinseau, qui vient compléter le trio et qu'on retrouve en première partie de Drama Queen pour une performance de voguing en bonne et due forme.

Santé mentale, drogue et discours raisonné

Comme toute bad girl qui se respecte, Mahaut n'a pas peur de ses zones d'ombre, et aborde des thèmes personnels qui ne sont pas toujours légers. Elle étale ainsi ses névroses, ses histoires familiales et ses réflexions autour de la santé mentale avec une étonnante capacité à ne jamais tomber dans le pathos. Elle s'est aussi longtemps questionnée sur la possibilité d'avoir un trouble bipolaire hérité de son père. "Mon métier pouvait masquer la maladie parce que quand tu es bipolaire, tu as besoin de chalenges, qu’il t’arrive plein de trucs, et le fait de vivre chaque soir des montées de dopamine et de stress, de parler tout le temps… ça pouvait correspondre à ces besoins", explique-t-elle. Finalement, le diagnostic tombe, et l'épée de Damoclès est écartée, bien que la bipolarité, à travers son père, fasse toujours partie de sa vie. Dans Drama Queen, elle raconte notamment comment, lors d'une phase maniaque, il l'a emmenée en Thaïlande pour un road trip euphorique avant de l'oublier malencontreusement à l'aéroport de Bangkok. N'ayez crainte, s'il y a un léger blanc dans l’assistance, l'humoriste le comble avec un rot bien senti, et dont elle a le secret. Car cette histoire, Mahaut l'a digérée depuis longtemps.

Mais son ton léger nous fait toujours douter : anecdote personnelle, second degré, jeu d'actrice bien ficelé ? Non, Mahaut n'arrive pas sur scène en pleine décente de MD (MDMA, drogue de type ecstasy) surmontée d'une gueule de bois fracassante. C'EST POUR DE FAUX. En revanche, elle s'interdit de se montrer "hypocrite" sur des sujets comme la drogue. "Si on en fait un tabou, on nie la prise en charge qui l'accompagne", affirme-t-elle. Il y a trois ans, l'humoriste fait un œdème de Quincke – un phénomène de gonflement de la gorge pouvant provoquer un étouffement – à la suite d'une surdose de MD, dont elle découvre qu'elle est allergique à certains composants. Elle décide donc d'en parler sur scène, sans en faire l'apologie, et sans la condamner. "J'ai du mal avec les discours punitifs, soutient-elle. Plus on en parle, plus on accepte les réalités du quotidien, plus on peut résoudre les soucis collectivement." Aujourd'hui, cette partie du spectacle prend moins de place qu'à l'époque, mais elle est toujours présente.

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Crédits photos : Adeline Rapon