[Interview à retrouver dans le magazine têtu· de l'hiver] Les critiques le trouvent à la fois trop beauf et trop gay. Mais Jarry s'en fout, il fait la joie des plateaux télé et amuse un public toujours plus nombreux dans son nouveau spectacle, Bonhomme, en tournée en 2025. Le bon copain des Français est grand public, et il le revendique. Le téléfilm qui retrace son histoire personnelle, À tes côtés, est d'ailleurs rediffusé ce lundi 16 décembre sur TF1.
Interview : Florian Ques & Thomas Vampouille
Photographie : Audoin Desforges pour têtu·
C'est l'humoriste gay qui remplit les plus grosses salles en France. On le voit partout à la télévision – récemment à l'animation du Big Show ou de Tout le monde veut prendre sa place, sur France 2. Après le succès de son one man show Atypique, de 2013 à 2018, Jarry a abattu en 2021 une nouvelle carte, celle de scénariste, avec À tes côtés (réalisé par Gilles Paquet-Brenner, avec Didier Bourdon), un premier téléfilm très personnel sur sa relation avec son père, mort d'une tumeur au cerveau quand lui n'avait que 23 ans. Cette veine intime et bouleversante a également trouvé son public, réunissant plus de 4 millions de téléspectateurs sur TF1. Aujourd'hui, le voilà qui revient sur scène avec un nouveau spectacle, Bonhomme, qui, après quatre dates cet automne à l'Olympia, part en 2025 en tournée dans toute la France, ainsi qu'au Québec et en Belgique. On est allé discuter longuement avec ce bonhomme attachant qui, à 47 ans et désormais père de deux enfants, a trouvé ce qu'on lui prédisait impossible au début de sa carrière, parce que "trop gay" : un lien durable avec la France populaire, sa plus grande fierté. Et ce, sans jamais corriger sa manière d'être, à telle enseigne qu'il lui arrive, au cours d'une séance de dédicace, qu'un gamin lui présente sa mère en lançant : "Maman, tu as aimé le spectacle de Jarry ? Ben je suis comme lui."
- On a remarqué que le public de ton spectacle était très varié. Tu as toujours réuni des personnes aussi différentes ?
Toujours. Je suis très fier d'avoir un public très large, de 7 à 90 ans. Les personnes âgées m'adorent, les gamins aussi parce qu'ils me voient un peu comme un manga, quelque chose de cartoonesque. Et puis je dois ma carrière aux femmes. J'ai 70 % de femmes dans mes salles, de tous âges, de toutes les religions… Sans les femmes, je pense que je ne serais pas là aujourd'hui, parce que les hommes étaient un peu gênés au départ. Maintenant je suis content quand j'arrive à faire passer un bon moment au mec hétéro accompagnant sa copine.
- Et les mecs gays ? Ils viennent aussi ?
Pour être honnête, c'est la communauté qui vient le moins voir mes spectacles, alors que je pensais que j'aurais plus d'homosexuels. Au départ, on m'avait pourtant bien expliqué que je n'allais intéresser que les gays, parce que les pédés ne peuvent être qu'entre eux, évidemment… Il y a même des journalistes qui disaient que j'avais un humour gay, voire trop gay, alors que je fais de l'humour, point. Mais quand j'ai commencé la scène, j'étais tout seul à assumer mon homosexualité, et on se foutait plutôt de ma gueule. En plus quand j'arrivais dans les comedy clubs, je faisais la majorette, donc je te laisse imaginer… (Rires.) Après, je n'ai pas été très soutenu par la presse gay. C'est vrai que je ne suis pas militant, même si je dis souvent que je le suis dans ma manière d'être, de vivre, et à travers les messages que je fais passer sur scène. Mais je ne représente pas les gays, je ne représente que moi-même. La boîte de production qui s'occupe de mes spectacles travaille aussi avec Tristan Lopin, qui est beaucoup plus câblé communauté gay. On s'apprécie beaucoup, mais c'est vrai qu'on n'a pas du tout le même public.
- Tu te sens lié à la communauté ?
Quand je suis arrivé à Paris, je découvrais tout. Dans le premier bar gay où je suis allé, on m'a accueilli en lançant : "Comment elle va celle-là ?" Et moi, premier degré, je me suis dit : "Mais enfin qu'est-ce qui se passe, il n'a pas vu que j'étais un garçon ?" C'était vraiment Rendez-vous en terre inconnue ! Après, ce qui m'a agacé, c'est le snobisme, comme si la communauté à laquelle j'étais censé appartenir me reprochait d'en faire trop, de lui faire honte, et me rappelait que j'étais un pédé de province et non un pédé chic, à la parisienne. Alors que bon, il ne faut pas oublier qu'un pédé reste un pédé : si demain les homophobes veulent nous exterminer, qui que tu sois, si tu suces des bites, tu finiras au même endroit ! Ça m'a évidemment fait beaucoup de peine, mais aujourd'hui cela n'a plus aucun pouvoir sur moi. Je suis fier d'être un artiste populaire : il n'y a rien de pire que de passer à côté de qui on est vraiment.
- Surtout que tu ne venais pas d'une grande ville…
Ah non, j'ai grandi dans un village de 600 habitants près d'Angers, dans le Maine-et-Loire. J'y ai très vite compris que quelque chose chez moi était différent, même si j'ai découvert mon homosexualité très tard. Mais voilà, autour de moi, personne ne me ressemblait. Les garçons jouaient tous au foot, allaient à la chasse, à la pêche… Moi, je passais mon temps à m'entraîner à danser et à mourir dans les vignes ! Je me disais que c'était un truc qu'il fallait que je garde pour moi.
- Ce "truc" t'a gêné quand tu es arrivé à la télé ?
Quand j'ai commencé la télé, on m'a demandé de calmer mon attitude, ma voix, de ne pas trop en faire. La peur des dirigeants de chaînes, au départ, c'était que je fasse peur à la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Combien de fois j'ai entendu cette phrase… Je ne savais même pas ce que ça voulait dire, je me disais : "Mais pourquoi je ferais peur à la femme de ménage ?!" (Rires.)
- Donc, tu es passé de "trop gay" à remplir des Zénith dans toute la France : ça fait tomber quelques préjugés !
Je ne sais pas comment expliquer ce phénomène, mais je sais comment m'adresser aux hétéros, aux gens qui ne me ressemblent pas. C'est comme si j'étais un caméléon capable de m'adapter. Les gays qui ont grandi en province connaissent ça. Aujourd'hui, je peux jouer dans une salle de 3.000 places dans un patelin qui n'a que 700 habitants. Et je la remplis ! C'est complet !
- Finalement, tu ne serais pas le chaînon manquant entre la scène gay et le public hétéro ?
C'est probablement dû au fait que je viens d'une période où l'on ne pouvait pas assumer sa sexualité comme aujourd'hui. Par exemple, je vois que les garçons se maquillent dans le métro : moi, à mon époque, on ne pouvait pas se tenir la main dans la rue ! Je n'avais aucun exemple, ni autour de moi ni à la télé. Élie Kakou n'était pas out, Muriel Robin n'en parlait pas, Pierre Palmade épousait Véronique Sanson…
- Tu as attendu tes 27 ans pour faire ton coming out à ta famille. Qu'est-ce qui t'a décidé ?
J'ai grandi en entendant constamment "on n'est pas des pédés". Mon père est décédé quand j'avais 23 ans, et je le lui ai dit avant qu'il meure. Il m'a répondu : "Attends quelques années avant d'en parler." C'était difficile, il fallait déjà faire notre deuil. Et puis un jour, je vais chez ma mère. Un de mes frères vient me voir dans la salle de bain et me dit : "Mais en fait, t'aimes les hommes, c'est ça ?" En deux secondes, je m'entends lui dire oui. Sa réaction : "Ah mais c'est pour ça que t'aimais pas le foot ?" (Rires.) Là, je l'ai pris comme un signe de la vie, qu'il fallait en finir avec les lieux de rencontres glauques où j'allais, les aires d'autoroute et tout ça, et surtout la culpabilisation qui va avec… Quand j'ai fait mon coming out, j'ai fait le choix d'être qui je suis. Et puisque ma mère, la personne pour moi la plus importante au monde, m'a tout de suite accepté comme je suis, alors il n'y avait plus de problème. C'est pour ça que j'ai refusé de jouer à l'hétéro pour la télé, et s'il n'y n'avait pas eu de place pour moi dans ce milieu, tant pis.
- Lors de tes spectacles, quand tu descends dans le public, tout le monde en prend pour son grade. C'est ta vision de l'humour ?
Je pense qu'il faut rigoler de tout. Pour moi, c'est une manière de dire que tout va bien. Dans le descriptif de mon spectacle, je dis qu'il est interdit aux cons, parce que je pense que si tu n'es pas prêt à rigoler de toi-même, ce n'est pas la peine. Une fois, il y avait une fille tétraplégique dans le public, je vais la voir et je lui dis que je vais pousser son fauteuil dans les escaliers, vu qu'elle n'est plus à ça près… Elle a ri aux éclats, la salle aussi, mais jamais de ma vie je ne pousserais une personne handicapée dans les escaliers ! En revanche, qu'on puisse en rigoler, c'est la considérer comme tout le monde. Se moquer de quelqu'un, c'est une manière de dire : "Je t'aime tellement que je t'ai bien observé." J'évite évidemment de blesser ou d'humilier les gens. Si je le faisais, je m'en excuserais immédiatement. Ce qui est important, ce ne sont pas les mots qu'on utilise, c'est le sens qu'on met derrière eux. C'est l'intention. L'humour, c'est rendre positive une situation potentiellement angoissante et surtout donner envie aux gens d'en apprendre plus sur les autres. Pour moi, ça ne sert qu'à ça.
- À la fin de ta dernière date à l'Olympia, tu as évoqué l'actualité italienne, où le recours à une GPA à l'étranger est désormais criminalisé…
Je ne fais pas trop de blagues politiques, parce que ça ne me fait pas rire. Mais cette loi en Italie, c'est une énorme gifle dans la gueule. On nous dit qu'avoir une famille est un crime… En parler dans mon spectacle, c'est un moyen d'alerter et de dire "regardez, c'est à nos frontières". Je n'ai pas oublié La Manif pour tous. Je trouvais ça fou que des gens manifestent contre nos droits. Étant papa grâce à la gestation pour autrui – à la base j'aurais voulu adopter –, je ne vais pas me cacher. Au contraire, c'est important d'expliquer les raisons de mon recours à la GPA. Et à ce moment-là, le public ne voit pas un homosexuel qui est papa, il voit juste un papa.
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