PrideRoubaix organise sa première marche des Fiertés

Par Thomas Pouilly le 05/06/2025
Marche des Fiertés de Paris pour les droits des personnes LGBT+, le 29 juin 2024.

Dans le Nord, il n'y en a pas que pour Lille. Sa voisine Roubaix a décidé d'avoir sa Pride elle aussi. Le défilé est prévu ce jeudi 5 juin à 20h.

Paris, Marseille, Toulouse, Lyon… Depuis les années 1990, les grands centres urbains ont leur Pride. Aujourd'hui, on veut être visible partout, c'est pourquoi on met un point d'honneur à défiler autant à la campagne que dans les villes du périurbain. Ce jeudi 5 juin, Roubaix, du célèbre trio Lille-Roubaix-Tourcoing du Nord (Hauts-de-France), accueille sa première marche des Fiertés.

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La Pride doit se dérouler entre la gare et l'hôtel de ville de Roubaix, entre 20h et 20h45. Sur la Grand-Place, des stands, principalement tournés vers la santé mentale, accueilleront le public dès 19h. S’ensuivront quelques discours de responsables de la mairie et des associations qui ont porté le projet, comme Stop homophobie, le centre LGBTQI+ de Lille (J’en suis j’y reste) ou le collectif de lutte contre les discriminations Kif kif. Une association locale de lecture à haute voix, Ô la voix, restituera ensuite des témoignages recueillis au cours de la marche. Un show drag (avec les artistes locales Lady Cloud, La Bala et La Dita Rosa) est prévu pour conclure la journée en beauté.

Si l'horaire est un peu étonnant pour une Pride, c'est parce que les organisateurs espèrent ainsi mobiliser les jeunes, Roubaix étant une ville étudiante, et le jeudi leur soir de sortie privilégié. "C’est la première de la ville, donc si je bloque la circulation sur l’avenue principale un samedi à 14h, ça va poser problème", avance aussi Camille de Ruielle.

La Pride est un long fleuve queer

À Lille, à 11 kilomètres de là, la communauté défile chaque mois de juin depuis 1996. Mais à Roubaix, il n'y avait même pas d'association LGBTQI+ avant que Mara Berlow cofonde Les Césarines cette année, qui organise cette première Pride roubaisienne : "Soyons honnêtes, en 2025, en France, il n’y a pas d’endroit où c’est si facile que ça d’être queer, à Roubaix comme partout ailleurs", estime-t-iel. "On a parfois l’impression d’être de retour dans les années 1980-1990. Il y a beaucoup de fantasmes. J’ai, par exemple, entendu quelqu’un dire : « Non mais ils vont défiler tout nus aussi ! » À Roubaix, ce n’est pas tant que les personnes LGBTQI+ ne sont pas acceptées, c’est surtout que pour beaucoup de gens, il n’y en a pas. Et ce qu’on ne connaît pas fait peur", complète Camille de Ruielle, conseillère municipale Modem en charge de la lutte contre les discriminations.

Ancien fleuron de l'industrie textile, la ville de près de 100.000 habitants récupère encore difficilement de la désindustrialisation de la France : en 2021, le taux de chômage atteignait 27,9%, et le taux de pauvreté 46%. Et Roubaix surperforme dans les statistiques des vols, des violences et des affaires de stupéfiants dans les Hauts-de-France. "Il y a beaucoup de fantasmes sur la ville. Certes, on vit dans une des villes les plus pauvres de France, mais aussi une des plus jeunes, souligne Mara Berlow. Certains affirment que Roubaix serait homophobe en raison de sa population musulmane importante, mais c'est juste du racisme." L'organisation de la Pride a justement permis de libérer la parole sur les LGBTphobies. "Lors de groupes de parole organisés par des associations, beaucoup d'habitants LGBTQI+ ont confié avoir peur de se faire embêter à la Pride, après avoir déjà pas mal morflé à cause du harcèlement à l’école ou des agressions dans la rue", rapporte ainsi Camille de Ruielle.

Quelques réactions hostiles ont accueilli l'annonce de l'organisation de la Pride. Ainsi l'ancien candidat Les Républicains aux élections législatives de 2022 dans la circonscription de Roubaix et chroniqueur de Cnews, Amine Elbahi, a appelé le préfet à interdire la marche "afin de protéger les mineurs et assurer l'ordre public" dans un post sur Facebook, y voyant "une provocation idéologique sans nom" et "un spectacle sexualisé". "Si on organise ce genre de manifestation publique, c’est justement pour se donner de la force contre la peur. Ça ne veut pas dire, pour autant, qu’on est naïf, ni qu’on n’est pas vigilant", assène le représentant de J’en suis, j’y reste, Bruno Brive.

La conseillère municipale promet "une sécurité renforcée avant, pendant et après la marche". La librairie et magasin de jeux de société Combo accueille dès 17h les participants qui souhaitent un espace safe pour se changer. Pour l’heure, près de 450 personnes ont fait savoir qu’elles viendraient via un formulaire partagé par la mairie. L’objectif était initialement d’en avoir au moins 200. "Ça prouve qu’il y a une dynamique, que quelque chose s’est mis en marche, salue Camille de Ruielle. Et dire qu’au départ, on voulait y aller doucement, avec simplement plusieurs tables rondes et des témoignages, parce qu'on craignait qu'il y ait des problèmes avec la population…"

À Roubaix, une lumière LGBTQI+

Après la marche des Fiertés, Les Césarines aimerait se concentrer sur l’éducation populaire, avec des conférences ou des ateliers dans les écoles et les centres sociaux. "Jusqu'ici, il fallait compter sur les associations de Lille. Et même si elles font un superbe travail, les populations et les problématiques diffèrent d’une ville à l’autre, note Mara Berlow. Avec l’annonce de la Pride, je me suis dit que c’était trop important pour ne pas oser se lancer et que si je ne le faisais pas moi-même, personne d’autre ne le ferait." À la mairie de Roubaix, un autre dossier est déjà sur la table : "Avant, il y avait des permanences de J’en suis j’y reste à la maison des associations de la ville. Le problème, c’est qu'y faire venir les personnes, c’est, d’une certaine manière, les pousser à devoir faire leur coming out, explique Camille de Ruielle. On réfléchit donc à d’autres manières d’intégrer les associations LGBTQI+, comme proposer plutôt leurs permanences dans des lieux plus neutres, par exemple une librairie, ce qui permettrait plus de discrétion."

Les Césarines ne doit pas son nom au hasard. "Je voulais honorer une figure historique locale pour montrer que des personnes LGBTQIA+ ont toujours existé à Roubaix", raconte Mara Berlow. Grâce aux recherches de Sébastien Landrieux, doctorant à l’université de Lille qui étudie l'histoire de l'homosexualité dans la ville, iel a découvert Césarine Rever, une chanteuse de rue, patronne d’un cabaret et voyante intersexe et transgenre de la Belle Époque, morte dans les années 1930. Même la mairie réfléchit aujourd'hui à valoriser cette personnalité roubaisienne.

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Crédit photo : Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP

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