La deuxième édition de la marche des Fiertés rurales s'est tenue ce samedi 29 juillet à Chenevelles, village de la Vienne. Un rendez-vous convivial pour bousculer les clichés sur la ruralité et visibiliser les personnes LGBTQI+ qui vivent loin des villes.
Photographie : Elie Villette pour têtu·
Essai transformé à Chenevelles. Ce village de 482 habitants dans la Vienne, au nord-est de Poitiers, accueillait ce samedi 29 juillet 2023 la deuxième édition de la Pride rurale, organisée par l'association Fiertés Rurales, qui a réuni plus de 1.500 personnes. Ce qui frappe au premier abord dans cette marche des Fiertés, outre le terrain où les chaussures s'enfoncent après les pluies de la matinée, et la musique descendue des chars qui la rend plus sonore que la dernière Pride de Paris, c'est l'afflux de têtes grisonnantes. Ici, les générations sont clairement toutes au rendez-vous. C'est cette diversité qui réjouit particulièrement Ana-Laura, née à Châtellerault et partie vivre au Cambodge. Elle profite de vacances dans sa famille pour marcher aux côtés de sa compagne et de leurs deux enfants. "J’ai quitté la région il y a 20 ans, c’est génial de voir aujourd'hui ce rassemblement, les choses changent ! J’aurais aimé voir ça quand j’étais jeune. À l’époque on était dans le jugement, il ne fallait pas sortir du rang", se souvient-elle. Et de lancer : "Maintenant il faut que d’autres villes rurales s’y mettent !".
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Il est 15h30 quand, après avoir pris un peu de retard dû aux conditions météorologiques, les tracteurs entièrement relookés qui composent le cortège profitent d'une éclaircie pour s'élancer dans le champ qui sert de point de départ. On envie les propriétaires de bottes en caoutchouc et on plaint les personnes qui n'ont pas prévu le coup, côté pompes… Perchée sur une des remorques, la Coloc Drag de Poitiers est venue assurer le show malgré les secousses du terrain.
Les ruraux LGBT en mal de représentation
Brigitte et Patrick, couple de 66 ans vivant à Châtellerault, font partie de ceux qui sont venus en voisins sans être a priori concernés par les questions LGBTQI+, par curiosité, pour la balade ou pour montrer aux enfants les accoutrements et décorations chatoyantes. "Ce que j'adore c'est que tout le monde a mis la main à la pâte, il y a plein de monde qui est venu aider d'une manière ou d'une autre les organisateurs. C'est génial", applaudit la retraitée. Son mari s'avoue aussi impressionné par la force de la mobilisation : "Chapeau bas aux organisateurs, c'est très bien. Il faut que le message passe maintenant, il y a de la place pour tout le monde dans nos campagnes".
De quoi réconforter Camille, venue d'Isère pour marcher à Chenevelles. Après avoir cherché en vain dans son coin un syndicat agricole queer, la mère de famille découvre l'association Fiertés Rurales qui organise cette marche. Elle demande à une amie vivant dans les environs de l'héberger avec sa fille, et rendez-vous est pris pour ce samedi. "Les agriculteurs LGBTQI+ sont dans une vraie détresse en raison de leurs conditions de travail, mais aussi parce qu’ils sont davantage isolés, pointe l'agricultrice. Depuis vingt ans que je travaille dans ce domaine, on manque toujours de représentation. Quand je parle de ma compagne, par chez moi, on me regarde encore un peu comme une alien. C'est aussi pour ça qu'on est là aujourd'hui."
"C'est un exemple à suivre, et j'aurais aimé mettre cela en place chez moi mais je manque de moyens."
Marie Cau, maire de Thilloy-lez-Marchiennes
L'ambassadeur de l'événement abonde. Cette année c'est Mathieu, éleveur de taureaux et candidat gay de L’amour et dans le pré en 2020. "Il faut profiter de toutes les opportunités pour se rendre visible", plaide-t-il. "Quand mon père a appris mon homosexualité, il m’a foutu dehors. À l’époque on avait peur du 'qu’en dira-t-on ?, explique-t-il. Aujourd’hui on se bat pour que ce genre d’histoire ne se reproduise pas. En vérité, il y a beaucoup d’amour à la campagne, les grandes villes n’ont pas de leçon à nous donner." Marie Cau, maire trans de Thilloy-lez-Marchiennes, dans les Hauts-de-France, a également fait le déplacement. Avec Nathalie, sa compagne, elle salue cette manifestation dont elle aimerait s'inspirer. "C'est un exemple à suivre, et j'aurais aimé mettre cela en place chez moi mais je manque de moyens, regrette l'édile. La mobilisation de la région, du département et de tous les autres partenaires, ici à Chenevelles, mérite d'être saluée." Et de remarquer : "Paradoxalement, les grandes villes ont plus de moyens financiers mais les idées viennent souvent des territoires ruraux et plus isolés."
Deux ministres et des attentes
Ceux qui sont arrivés dans la matinée ont pu assister à la visite des ministres chargées de la Ruralité, Dominique Faure, et de l'Égalité, Bérangère Couillard, dont c'est la première sortie sur le terrain depuis sa nomination lors du dernier remaniement. Plusieurs intervenants sont invités à s'exprimer devant elles sur les enjeux LGBTQI+ en milieu rural, notamment la jeunesse. "Ayant grandi dans la campagne alsacienne, j’ai été harcelé durant quatre ans, au collège, parce que j’étais différent, témoigne Nathan Kuentz, président de l'association Mousse. Il est temps d’agir, il n’est pas normal que notre identité nous soit arrachée à une période où elle est construction."
En réponse, la remplaçante d'Isabelle Lonvis-Rome rappelle le plan de lutte contre les discriminations LGBTphobes récemment présenté par le gouvernement, promettant l'ouverture avant la fin de l'année de deux nouveaux centres LGBT en France, un premier à Marseille et un deuxième à Limoges. "Le prochain sera peut-être dans le département, espère Cyril Cibert, maire ouvertement gay de Chenevelles. Nous en avons beaucoup discuté, et le maire de Mont-sur-Guesnes va candidater pour accueillir l'un des nouveaux centres LGBT annoncés." Marie Cau reste sur ses gardes : "C’est un beau geste républicain d’avoir des membres du gouvernement qui descendent du mont Olympe, c’est louable. Mais le plan de lutte contre les LGBTphobies manque d’ambition. Des promesses ont été faites, nous veillerons à ce qu'elles soient mises en place de manière effective." Sur l'un des points de déception du plan pour les associations, à savoir l'absence de mesures en faveur du droit à l'autodétermination de genre, Bérangère Couillard répond à têtu· au sortir de la salle communale : "La priorité pour les personnes trans, c’est que l’on facilite le changement de genre à l’état civil. Il y a quelque chose de culpabilisant lorsqu’on demande à ces personnes de passer devant le juge pour obtenir ce changement. Les démarches ont déjà été simplifiées mais c’est un travail qu’il nous faut poursuivre".
Après la marche qui s'achève dans le centre du village, le cortège regagne peu à peu le champ situé à la sortie et qui s'apprête à accueillir la soirée de la Pride rurale. Présentée par la drag queen Tati Galaxy, elle est pour beaucoup l'occasion de découvrir une dizaines d'artistes, venus pour la plupart de Paris. Deux scènes ont été installées pour accueillir Corrine, Ferielle, Rouge Mary et Dj Ixpé. Sur le village associatif on retrouve les associations Aides ou Bi’Cause. Plus loins, les motards de l’AMA, association LGBTQI+, exposent leurs montures utilisées pour suivre le cortège, et les membres de GARE!, l’association LGBTQI+ de la SNCF qui a assuré l'aller-retour entre la gare de Châtellerault et Chenevelles pour se rendre à la Pride sans voiture. Musique, et à l'année prochaine !
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