édito"On ne retournera pas au placard !" têtu· célèbre ses 30 ans

Par Thomas Vampouille le 11/06/2025

Cet éditorial ouvre le numéro anniversaire du magazine têtu·, média fondé en juillet 1995 et qui fête donc cet été ses 30 ans !

Quand le premier têtu· paraît, en juillet 1995, nous n'avons ni le mariage ni le pacs, pas de trithérapie, pas de PrEP, la PMA est réservée aux hétéros, l'Organisation mondiale de la santé considère la transidentité comme une maladie mentale, ça ne fait que cinq ans qu'elle a changé d'avis sur l'homosexualité, la crise sida est à son pic de mortalité, les jeunes homos en sont réduits à fantasmer sur Nick dans Hartley, cœurs à vif (Drazic n'est pas encore apparu) ou sur le catalogue de La Redoute… La une de têtu· proclame : "Sortez du placard !"

Nous l'avons éclaté, ce placard, en trois décennies. Nous avons marché, nous nous sommes battus, nous avons conquis des droits. On est passé de Ça se discute à Drag Race France ; les jeunes LGBTQI+ d'aujourd'hui n'ont qu'à se rendre sur n'importe quelle plateforme de streaming, sur Instagram ou sur Tiktok pour trouver des représentations gays, bi, trans à gogo. On a même eu un Premier ministre ouvertement gay, et personne n'en avait rien à foutre ! "Aujourd'hui je vois toute une population libre et conquérante, et ça donne de l'espoir pour les années qui restent", nous lançait Bambi, émue, en recevant le têtu· d'honneur l'année dernière. En trente ans, tout a changé.

Quand Marie-Pierre Pruvot a explosé le sien, de placard, avec panache en devenant Bambi sur la scène des cabarets parisiens aux côtés de ses copines pionnières, elle n'imaginait pas voir un jour des personnalités trans en une d'un magazine. Pas plus qu'elle n'aurait pensé, voyant cela, assister à un tel retour de bâton, la transphobie portée en étendard par l'internationale réactionnaire pour faire reculer tous les corps queers dans l'ombre. Trente ans… ils sont toujours là. Les crimes et délits anti-LGBT ne reculent pas, les guets-apens homophobes se multiplient et, au sein même de l'Union européenne, un pays, la Hongrie, prétend interdire la Pride. Sauf que désormais, on en parle dans tous les médias, et quand on pousse la porte d'un commissariat, ils ont intérêt à prendre notre plainte sinon on gueule ! On ne se taira plus.

Les pouvoirs passent, nos existences demeurent.

Dans Romancero Queer, la nouvelle pièce qu'elle a écrite et mise en scène, Virginie Despentes proclame : "Survivre est notre tradition." Son personnage ajoute qu'on continuera de se battre, mais qu'on ne s'armera pas de courage, qu'on ne s'armera de rien du tout d'ailleurs, puisque nous avons toujours été là. Mais nous en avons assez de survivre. Nous voulons la vie, pleine, entière, jouissive.

Face aux cons, nous le savons, une seule solution : faire front. Hors de question de baisser les bras. Nous ne pratiquerons pas l'exil intérieur, nous ne nous réfugierons pas dans le développement personnel parce que les fachos sont de sortie. Les pouvoirs passent, nos existences demeurent. On ne va pas arrêter de voter parce que Zemmour se présente à la présidentielle, on ne va pas abandonner l'Europe parce qu'Orbán interdit la Pride : la communauté queer hongroise attend de nous que nous ne l'abandonnions pas. On va marcher et on va se battre. Ils ne sont rien puisque nous sommes ensemble. Dans nos Prides, nos lieux queers, notre magazine que vous tenez entre les mains, nous avons trouvé notre famille choisie, notre Pink Pony Club comme le chante Chappell Roan : "C'est là qu'est ma place et je vais continuer à danser…"

Cette année, dans les marches de nos Fiertés, on dansera pour nos frères et sœurs de Budapest, pour nos adelphes trans de par le monde, pour que nos enfants puissent danser un jour, à leur tour, dans la rue en toute liberté, quelle que soit leur identité. Et si on le peut, on s'abonnera à têtu· [découvrez notre offre anniversaire à 30 euros], pour que notre porte-voix fête aussi ses 40 ans ! D'ici là, peut-être que survivre ne sera plus notre présent mais sera, enfin, devenu notre histoire.

À lire aussi : 30 ans ! Le sommaire du numéro anniversaire de têtu·

Crédit illustration : la première une de têtu· en juillet 1995

édito | magazine | Mois des Fiertés | Pride | Nos médias | histoire