[Cet édito ouvre le magazine têtu· de l'hiver, disponible chez vos marchands de journaux ou sur abonnement] La période est troublée, convenons-en. Heureusement, nos artistes héroïques arrivent encore à nous faire voir la lumière et à nous rassembler. Le rire et l'émerveillement sont leurs épées, la culture queer leur fourreau. Merci aux saltimbanques et aux poètes, qui rendez chaque jour l'humanité plus humaine.
Aurons-nous du queer à LA 2028 ? Dans quatre ans, l'organisation des Jeux olympiques de Los Angeles aura la lourde tâche de succéder aux cérémonies de Thomas Jolly, notre personnalité de l'année 2024. Or la question qui se pose aujourd'hui n'est plus seulement de savoir si la Cité des Anges saura rivaliser de magnificence avec la Ville Lumière, mais si elle pourra insuffler dans l'événement autant de liberté que notre metteur en Seine national. Entretemps aura en effet sévi une nouvelle ère Trump, la deuxième (et la dernière, normalement).
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Quatre ans, c'est long. C'était suffisant, la première fois, pour que le trumpisme engendre dans son sillage un concours Lépine de lois anti-LGBT dans tout le pays et une mise à mal durable des droits reproductifs de millions d'Américaines. L'histoire bégaie, et ce retour victorieux n'est pas un malentendu : le populiste est arrivé nettement devant la vice-présidente sortante, Kamala Harris, au terme d'une campagne ouvertement raciste, masculiniste et LGBTphobe, qui fait de cette élection un plébiscite pour le lobby réactionnaire. Qu'en sera-t-il donc dans quatre ans ? La Californie fera-t-elle figure de résistante dans un pays entièrement gangrené par le trumpisme ? Aura-t-elle basculé à son tour ? Et nous-mêmes, en France, aurons-nous également d'ici à 2027 le chemin de l'axe Trump-Orban-Meloni-Le Pen ?
En ces temps d'inquiétantes incertitudes, chérissons ce souvenir de 2024, l'année Thomas Jolly, celui d'une liberté en mouvement, d'une grâce qui surmonte le pire déluge… Le théâtre ne doit pas seulement faire apparaître ce qu'est une société, mais aussi ce qu'elle pourrait être. Par ses choix audacieux, le directeur artistique de Paris 2024 n'a pas seulement revendiqué une fierté LGBTQI+, il a rappelé que le spectacle doit tant à la culture queer. Du cabaret berlinois dans les années 1920 à Drag Race, de Divine à Bambi – qui reçoit cette année notre têtu· d'honneur –, des chorégraphies d'Alvin Ailey à la scène ballroom, du théâtre de Jean Genet aux mises en scène de Patrice Chéreau, notre fantaisie frondeuse et créative fut et reste un pilier des arts vivants.
Une autre leçon à garder de 2024, c'est, comme nous le saluions cet été, qu'il subsiste au sein de notre société un désir vivace d'ouverture à l'altérité, un appétit inextinguible pour l'humour qui réunit – voyez le succès d'Un p'tit truc en plus, la comédie de notre cover boy de la saison, Artus.
Alors, pour 2025, rappelons-nous de notre bonheur collectif à vibrer devant les performances de nos athlètes dans les stades. Gardons en mémoire le plaisir que nous avons à rire ensemble dans une salle de cinéma ou de spectacle. Face aux coups de boutoir des semeurs de haine, à l'heure de l'individualisation du divertissement sur des réseaux populistes manipulés pour produire de la division, résistons par la lutte mais aussi par la joie, celle de nous rassembler pour vivre des émotions universelles. Vive le sport, vive le spectacle, vive les arts vivants !
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