théâtre"Romancero Queer" de Virginie Despentes : rage sur les planches

Par Aurélien Martinez le 13/06/2025
"Romancero Queer", la nouvelle pièce de Virginie Despentes montée au Théâtre de la Colline.

Avec Romancero Queer, plongée dans les coulisses de la création théâtrale d'un metteur en scène problématique qui s'imagine à la page, Virginie Despentes livre après Woke un deuxième spectacle plein d'humour en forme de manifeste politique. À voir jusqu'à la fin juin à Paris, au théâtre de La Colline.

L'an dernier, Virginie Despentes s'affichait Woke dans le titre de sa première pièce de théâtre, écrite à huit mains, déflagration artistique et politique visant à joyeusement dégommer les réacs. Aujourd'hui, pour sa deuxième pièce où elle est cette fois seule aux commandes, la romancière s'affiche plus tendre dans le titre (Romancero Queer) et pleine d'humour dans la forme, tout en gardant intacte la rage qui guide sa plume.

À lire aussi : Au théâtre, Virginie Despentes dégomme joyeusement les anti-woke

Comme dans Woke, Virginie Despentes s'intéresse à la fabrication du théâtre avec, cette fois, une histoire de metteur en scène hétéro plus très jeune bien décidé à monter La Maison de Bernarda Alba, de l'Espagnol Federico García Lorca, en version queer afin de se rapprocher de son ado non-binaire. S'il se retrouve au centre de toutes les conversations et de tous les reproches, ce Michel – c'est son prénom – ne sera jamais visible par le public : l'autrice situe son récit dans les coulisses d'un théâtre, loin de l'espace de travail de l'artiste tyrannique et de ses vociférations.

Avec ce choix narratif et de mise en scène, Virginie Despentes évite l'écueil de la confrontation stérile entre boomers et progressistes. Elle laisse alors les comédien·nes de Michel prendre la lumière et dire avec leurs mots tout ce qu'elle a sur le cœur, en abordant frontalement tout un tas d'enjeux actuels – Trump, Gaza, le capitalisme, le féminisme, le lesbianisme... Malgré quelques échanges théoriques ou purement fonctionnels entre personnages (il faut bien que le public comprenne qui est qui), son écriture se déploie gaiement façon ping-pong, avec des dialogues drôles et mordants derrière lesquels affleure malgré tout la vision sombre qu'a l'écrivaine engagée de notre époque.

Chœur d'aujourd'hui

Fidèle, Virginie Despentes a rappelé à ses côtés la quasi-intégralité du casting de Woke, pléiade d'artistes venus de différents univers culturels – le cabaret, le drag, la musique, la performance... À l'image, par exemple, de Soa de Muse, finaliste de la saison 1 de Drag Race France, du rappeur Casey, du comédien Amir Baylly, ou encore de l'artiste de cabaret Mascare. Une distribution volontairement inclusive, symbole de la France d'aujourd'hui, en adéquation avec les personnages pluriels auxquels l'autrice donne vie : une jeune femme trompée par sa copine, une ex-taularde, une influenceuse gouailleuse, un dealer, une hétérosexuelle paumée...

Avec ce deuxième volet d'un triptyque qu'elle annonce dans sa note d'intention, Virginie Despentes renvoie ainsi gentiment dans les cordes un petit milieu du théâtre censé être ouvert, rassembleur, progressiste, mais qui ne l'est pas tant que ça. D'où, comme dans Woke (de nouveau en tournée la saison prochaine), une fin en forme de manifeste queer régénérant qui proclame que "survivre est notre tradition" et, comme têtu· dans le numéro anniversaire de nos 30 ans, qu'on ne retournera pas au placard parce qu'on a toujours été là.

>> Romancero queer
Jusqu'au 29 juin au théâtre de La Colline (Paris 20e) – complet ; du 17 au 21 mars 2026 au théâtre de la Croix-Rousse (Lyon).

>> Woke
Du 24 septembre au 2 octobre au Théâtre public de Montreuil ; les 7 et 8 octobre au Quai (Angers) ; les 14 et 15 octobre au CDNO (Orléans).

À lire aussi : Thomas Jolly : "Est-ce que la minorité, ce ne sont pas les réactionnaires ?"

Crédit photo : Teresa Suarez

théâtre | culture | Virginie Despentes | spectacle