Avec son rôle de Noam, il est l'un des nouveaux visages de la jeunesse européenne dans Salade grecque, la première série de Cédric Klapisch, diffusée en streaming sur Amazon Prime Video. Il sera aussi bientôt à l’affiche d’Orlando, ma biographie politique, le film de Paul B. Preciado. Rencontre avec Amir Baylly, un jeune acteur trans dont on n’a pas fini d’entendre parler.
"J'étais carrément à l'ouest, je ne savais même pas qui était Cédric Klapisch !", confesse-t-il en riant. Rien ne prédestinait donc Amir Baylly à intégrer le casting de Salade grecque, la première série du réalisateur français, disponible depuis le 14 avril en streaming sur Amazon Prime Video. De grands yeux magnétiques, une personnalité enthousiaste et passionnée… dès les premières minutes de notre rencontre, on comprend pourquoi l'acteur âgé de 24 ans a été choisi. D'autant qu'il semble également bien connaître les joies de la colocation, sujet phare de L’Auberge espagnole, le film qui démarra il y a déjà vingt ans toute cette histoire avec Klapish. Mais rembobinons un peu.
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Né à Istres en 1998, Amir Baylly, d'origine rwandaise par son père, a grandi avec une mère prof de maths entre sa ville natale et Martigues. Repéré à 15 ans dans les rues ensoleillées du sud de la France, il décide de rejoindre Paris un an plus tard, poussé par l'envie de devenir mannequin mais aussi par une situation familiale compliquée."Ça ne se passait pas bien à la maison, à ce moment-là", résume-t-il sobrement.
Du mannequin à Noam
Tout en passant son bac par correspondance, l’adolescent commence une carrière de modèle. "J'ai eu de la chance, ça a bien marché, j'ai pu bien bosser et beaucoup voyager durant ces années-là." Puis vient le temps de sa transition. À 21 ans, il se met alors en retrait du milieu de la mode et part travailler dans des bars parisiens. S’il pense alors ne plus pouvoir gagner sa vie comme mannequin, de nouvelles opportunités ne tardent pas à s'offrir à lui. "Depuis quelque temps, il y a un intérêt pour les personnes trans. J'ai l'impression d’avoir été là au bon moment. Au-delà de ça, j'ai aussi un passing en tant que mec, notamment parce que je suis aussi grand que les autres. Je n'ai pas senti de différence de traitement.”
La bonne fée d’Amir prend le visage d’une directrice de casting, Naëlle Dariya – également trans, et “rien que ça, ça rassure” – qui se glisse un beau jour dans ses DM pour lui proposer d’auditionner pour le prochain projet de Cédric Klapisch. "Cédric qui ?" Au début, le jeune homme n’y croit pas. Amir n’a pas de formation d’acteur, et le casting a lieu aux quatre coins du globe : Afrique du Sud, Brésil, Allemagne… Après avoir avalé la trilogie tirée de L’Auberge espagnole et deux auditions, il obtient le rôle de Noam, un jeune homme trans originaire du Burundi.
"J’étais le seul qui arrivait un peu de nulle part."
Le tournage se déroule au premier semestre 2022 en Grèce, à Athènes et sur l’île de Milos, dans une ambiance des plus joyeuses. S’il est intimidé par ce gros projet, qui marque ses débuts en tant qu’acteur – "J’étais le seul qui arrivait un peu de nulle part" –, Amir Baylly est vite rassuré : "Ça s'est vraiment trop bien passé, tout le monde s'entendait super bien. Les acteurs principaux étaient logés dans le même immeuble, on était voisins, c'était un peu comme un vrai Erasmus !", se souvient-il le sourire aux lèvres.
Son personnage est un jeune homme solaire et positif qui rêve de devenir DJ. Il devient le crush de Mia (Megan Northam), personnage principal avec Tom (Aliocha Schneider) de cette série centrée sur les enfants de Xavier (Romain Duris) et Wendy (Kelly Reilly), le couple star de la trilogie originelle au cinéma. Pour les scènes intimes du jeune couple, la production a fait appel à une coordinatrice d’intimité. “Il y avait des briefs avant chaque scène. Personne n'a été mal à l'aise. La production a fait des efforts durant tout le long du tournage pour en faire un espace safe.”
Être un homme trans visible
Durant le tournage, la discussion était ouverte pour effectuer au besoin des changements afin de rendre ses scènes les plus justes possible, notamment concernant l'identité trans du personnage. Amir explique : "Les scénaristes voulaient que sa transidentité soit expliquée, mais en même temps que le personnage ne soit pas réduit à ça. On a essayé de trouver l'équilibre.” La série a d'ailleurs le mérite d’insister sur l’importance de la famille choisie pour les personnes LGBTQI+. “La famille choisie est une réalité pour énormément de personnes queers et trans, qui font face à des rejets familiaux”, salue l’acteur.
"Je ne pensais pas forcément faire ce métier, tout simplement parce que je ne me voyais pas représenté dans la fiction."
Peu de temps après le tournage de la série, la même casteuse propose à Amir d’auditionner pour un rôle dans le documentaire de Paul B. Preciado, Orlando, ma biographie politique, qui vient de recevoir quatre prix à la Berlinale. Pour cette libre adaptation du roman de Virginia Woolf Orlando, le philosophe espagnol a réuni 26 personnes trans et non-binaires âgées de 8 à 70 ans. "J'étais super heureux de ce deuxième projet, notamment de voir ce que ça apporte côté représentation. C'est une œuvre faite par nous, pour nous", s’enthousiasme l’acteur. D'ailleurs, il en est certain, pour atteindre une représentation trans plus juste et plus complexe dans la fiction, "il faut mettre des personnes concernées dès l'écriture et à la réalisation. Il faut nous donner l'opportunité de raconter nos propres histoires."
Ces deux premières expériences lui donnent évidemment envie de s'accrocher à cette nouvelle carrière qui s'ouvre. “Je ne pensais pas forcément faire ce métier au début, tout simplement parce que je ne me voyais pas représenté dans la fiction. Je me demandais quel genre de rôle j’allais pouvoir jouer. Je sens que les choses sont en train de bouger assez rapidement, donc ça me donne envie de continuer !" Amir Baylly n'est toutefois pas ignorant du contrecoup inquiétant que subissent les personnes trans dans le monde. "Notre visibilité a un prix", souffle-t-il, avant d'ajouter avec son optimisme chevillé au corps : "Il y a un côté excitant parce qu'il y a encore tout à faire !"
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