Au théâtre du Nord, à Lille, a repris cette semaine Woke, le spectacle créé au printemps par Virginie Despentes avec Paul B. Preciado, Anne Pauly et Julien Delmaire. Un bouillonnant manifeste politique revendiquant fièrement l'anglicisme devenu un épouvantail du lobby réac.
Virginie Despentes, Anne Pauly, Paul B. Preciado et Julien Delmaire sont sur un plateau. Du moins leurs doubles de fiction dans le spectacle Woke, qui réfléchissent devant une feuille blanche à l'élaboration collective d'une pièce commandée par un théâtre. Voilà pour le point de départ narratif, qui sera rapidement agrandi. Et c'est justement quand l'équipe aux commandes explose son cadre que le spectacle devient véritablement théâtral. Interprétée par une douzaine d'artistes queers et/ou racisés venus d'univers très différents (la drag queen Soa de Muse, le comédien Félix Maritaud, la rappeuse Casey…), la pièce offre dans son dernier quart d'heure une déflagration poétique et politique scandée par une troupe avide de déboulonner le patriarcat, le capitalisme et consorts.
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Sur le plateau, devant le slogan "Antifa love" en lettres capitales géantes, les interprètes, foule bigarrée réclamant un monde plus juste où tous les êtres auraient droit de cité, communient entre eux autant qu'avec la salle. Et placent de leur côté le public qui, le soir de la première de la nouvelle série de représentations lilloises, a fini debout, en une sorte de catharsis collective régénérante.
Cadavre exquis
Artiste associée au théâtre du Nord de Lille, que le metteur en scène qui le dirige, David Bobée, conçoit comme "un lieu de diversité" au plus près des enjeux de l'époque, Virginie Despentes a voulu, pour sa toute première pièce, travailler en compagnie de figures littéraires elles aussi engagées à la gauche de la gauche. L'attelage est le cœur du spectacle, le processus de création et la place de l'artiste militant devenant le carburant du texte.
Un point de départ qui permet au récit d'avancer par séquences, chacune des plumes écrivant un bout du tout pour transmettre ses idées, ses réflexions sur le choix des mots (racisé vs noir, lesbienne vs gouine…), l'état de la société française, les violences policières, les références à James Baldwin, Jean Genet ou encore Toni Morrison… D'où l'architecture parfois bancale d'un ensemble que le quatuor a tenté de lier en alternant monologues puissants, bons mots savoureux (on rit souvent) et répliques purement fonctionnelles au son de Blondie, Le Tigre, Kiddy Smile ou encore Vitalic. Jusqu'à ce final, donc, salvateur et réconciliateur, les personnages explosant les carcans dans lesquels ils sont cantonnés pour replacer la marge au centre.
>> Woke, au théâtre du Nord à Lille jusqu'au samedi 23 novembre (dernière représentation suivie d'un aftershow Sidragtion).
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Crédit photos : Arnaud Bertereau