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cinémaRose Walls dans TÊTU : "Personne n'est libre tant que les plus marginalisées ne le sont pas"

Actrice, mannequin et militante, Rose Walls ne s’interdit rien. Surtout lorsqu’il s’agit de défendre les personnes trans. Son sourire ? Oversize, comme son trench. Elle descend de son vélo avec l’élégance d’une star de cinéma habituée aux caméras, boucles au vent – et légèrement en retard. Si vous ne connaissez pas encore Rose Walls, ça viendra. Car…

Interview Olga Volfson

Photographie Matthieu Delbreuve

Stylisme Simon Pylyser & Benoît Paquet

Actrice, mannequin et militante, Rose Walls ne s’interdit rien. Surtout lorsqu’il s’agit de défendre les personnes trans.

Son sourire ? Oversize, comme son trench. Elle descend de son vélo avec l’élégance d’une star de cinéma habituée aux caméras, boucles au vent – et légèrement en retard. Si vous ne connaissez pas encore Rose Walls, ça viendra. Car Rose, actrice, mannequin et militante trans, sait comment réussir une entrée, qu’elle arrive à une terrasse parisienne ou dans le monde de la mode. On l’a déjà vue poser pour Marni, Valentino, Paco Rabanne, et on l’a également aperçue dans Vogue Italie ; à seulement 22 ans, Rose a déjà tout d’une grande.

Des débuts prometteurs au cinéma

Et personne ne s’y trompe. L’étudiante en troisième année au département anglophone du cours Florent a déjà tapé dans l’œil de plusieurs cinéastes. Le génial et terriblement queer Yann Gonzales lui a offert un rôle dans la bande-annonce du festival lyonnais de cinéma LGBTQ+, Écrans mixtes. "Ça s’est super bien passé, commente-t-elle. J’ai beaucoup de chance d’avoir pu travailler avec lui, je l’admire beaucoup." 

Et elle a encore beaucoup d’autres projets sur le feu, tous très militants. "Voir des parcours et des carrières qui mêlent l’activisme avec l’art, c’est d’autant plus inspirant pour moi, puisque c’est toujours ce que je recherche dans mon travail", explique-t-elle. Elle vient ainsi de jouer dans le prochain court-métrage d’Alexis Langlois, Les Démons de Dorothy, mais aussi dans la websérie Drama Queer de Tadeo Escalante, et prépare un court-métrage avec lae réalisateurice Laurent Saint-Gaudens.

"J’ai réussi à me créer un cercle d’ami·es auteurices, artistes, cinéastes. Je ne les connaissais pas vraiment avant de m’investir dans la communauté queer, et ces rencontres me redonnent de l’espoir, raconte-t-elle avec entrain, après une gorgée de son thé à la menthe. Avant, j’étais déçue du cinéma français, des comédies style Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu, et de la manière dont il abordait les questions LGBTQI+. Quand je vois, par exemple, que Catherine Frot, femme cisgenre, va bientôt incarner un homme trans à l’écran… Les histoires qui prétendent s’inspirer de nos vécus sont, pour le moins, maladroites. Donc ça fait plaisir d’être avec des réalisateurices qui sont concerné·es ou qui ont une vision beaucoup plus innocente et naïve des sujets touchant aux transidentités."

"On doit tout faire pour que toutes les personnes trans obtiennent le respect de leurs droits – en France comme à l’international."

Toutefois, Rose reconnaît que les choses changent. La visibilité grandissante des personnes trans dans l’espace médiatique, ces dernières années, a permis d’accélérer certaines discussions sur leurs droits, lesquelles seraient peut-être arrivées plus tard sur le tapis : par exemple, la loi du 18 novembre 2016 permet aux personnes trans de changer d’état civil sans présenter de documents médicaux. "Il se peut que ces avancées soient permises par ce mouvement de visibilité trans, débuté dans le monde ­anglo-saxon et qui, doucement, est en train de prendre de l’ampleur en France. Mais, pour l’instant, j’ai plutôt le sentiment qu’on fait du surplace. Et même si on a l’impression que les personnes trans ont beaucoup plus de visibilité aux États-Unis ou au Royaume-Uni, quand on regarde de plus près, sur les droits réels c’est assez équivalent. Surtout outre-Manche, où il y a récemment eu des reculs sur l’accès à la transition, poursuit-elle. En France, on a le potentiel d’inventer notre propre modèle d’acceptation et d’intégration de la communauté LGBTQI+ dans la société. On doit tout faire pour que toutes les personnes trans obtiennent le respect de leurs droits – en France comme à l’international !"

Avant Rose, deux femmes trans, Raya Martigny et Dustin Muchuvitz, toutes deux mannequins en pleine ascension (Dustin étant aussi DJ), lui ont tracé la voie en combinant art et militance. "Je n’avais pas envisagé le chemin du mannequinat jusqu’à ma transition, il y a trois ans. C’est grâce à des femmes comme elles que j’ai osé me lancer !”"s’exclame Rose, une lueur dans ses yeux vert noisette. Évidemment, l’actrice américaine Laverne Cox (Orange is the New Black) a également joué un rôle majeur dans sa construction : "C’est la première vraie représentation positive de la transféminité – et de la transidentité en général !"

L’engagement à fleur de peau, il n’est également pas rare de croiser Rose en manif. "C’est sûrement pour ça que beaucoup de mes grandes amies sont des militantes LGBTQI+, par exemple Venus Liuzzo. Par rapport à mon parcours scolaire et en tant que femme trans, les luttes sociales m’ont toujours fortement animée", explique-t-elle. Le collège, le lycée ? Difficile. Elle élude. Mais se souviendra toujours de l’accueil bienveillant que lui ont réservé ses profs durant ses études supérieures. Ils l’ont aidée à prendre confiance en elle et à s’épanouir en tant que femme trans. 

Cofondatrice du Femme Trans Gang

"Je fais partie du collectif Femme Trans Gang, ajoute-t-elle modestement, étant en fait une des fondatrices du mouvement, aux côtés de cinq amies/militantes. Pour la Journée internationale des droits des femmes, nous voulions faire une action avec un impact fort pour mettre à l’honneur les femmes trans dans le défilé du 8 mars 2020." Le collectif – FTG, soit "ferme ta gueule" : un message sans équivoque à destination des transphobes – est constitué "de femmes déterminées qui ne [reculeront] devant rien pour porter leur message chargé de chagrin pour leurs aînées assassinées et de témérité pour leurs cadettes à venir", annoncent-elles sur leur compte Instagram.

Malgré la pandémie de Covid-19, le confinement et le couvre-feu, FTG a continué son action : soutien au Fonds d’action sociale trans (FAST) de l’association Acceptess-T, collectes et donations de vêtements pour les femmes trans précaires… “Les idées n’ont pas manqué, car il y a énormément de choses à faire. Avec la pandémie, on a dû ralentir certains projets, notamment les cours d’autodéfense, note Rose. Mais, avec la réouverture, on va reprendre très vite !”

En attendant, FTG a établi des partenariats avec XY Média, lancé en mars 2021, et le Groupe d’auto­-soutien transféminin, qui gère une permanence d’écoute solidaire ainsi que des groupes de parole. Un questionnaire a par ailleurs été mis en place pour documenter les actes de violence transphobes : le collectif a reçu 1 968 signalements sur le seul premier trimestre de 2021 !

"Une fois que les femmes trans pourront accéder à leurs droits, toutes les autres le pourront aussi."

Les priorités des luttes trans en France, selon Rose Walls, restent toujours les mêmes : lutte contre la transphobie, accès aux parcours de transition, insertion sociale et, surtout, solidarité, car les luttes sont intersectionnelles. Des priorités qui sont même devenues plus urgentes qu’hier, car l’épidémie de Covid-19 a, comme toute grande crise, fragilisé bien plus cruellement les populations déjà isolées et vulnérables. “Les femmes trans qui sont travailleuses du sexe, ou migrantes, ou sans-papiers, etc., sont les plus exposées aux violences. C’est sur elles que l’on doit se concentrer, car personne n’est libre tant que les personnes les plus marginalisées ne le sont pas ! Une fois que les femmes trans, qu’elles soient précaires ou racisées, pourront accéder à leurs droits, toutes les autres le pourront aussi, dit-elle avec passion. En France, on a encore un champ libre pour asseoir nos convictions, nos revendications. C’est ça, c’est ce privilège, qui fait qu’on doit se bouger !"

Son optimisme, sa force

Comme pour de nombreux militants, le sel de l’engagement de Rose Walls repose sur son optimisme, contagieux. "Si l’on est pessimiste, ça inhibe un peu l’action, avance-t-elle. Il faut avoir un regard lucide sur les choses, mais c’est seulement en rêvant à des situations meilleures que l’on peut se mettre à agir pour les atteindre." Politique, avec un éclatant soupçon de drama (les épines, sans doute), c’est ainsi que Rose s’épanouit.

Et c’est une carrière planétaire que vise la jeune femme. Née en France d’un père anglais et d’une mère paraguayenne, elle a fleuri dans une "triple culture" qui a énormément influencé ses goûts et ses aspirations. "Mes parents m’ont inculqué le goût du voyage, et j’ai un bagage culturel très anglo-saxon du fait des films et des séries que je regarde, note-t-elle. Voyager fait aussi partie de mes projets de vie." Alors elle se prend à rêver de collaborer avec Michaela Coel, Ryan Murphy, les sœurs Wachowski, Pierre et Gilles ou encore David LaChapelle : "Iels ont chacun·e des univers hauts en couleur qui me galvanisent." Quant à nous, on se surprend à être ­saisi·es d’une soudaine impatience de la voir éclore sur nos écrans.

Un message d'espoir

Résolue à être de plus en plus vue, entendue et surtout écoutée, Rose Walls tient avant tout à ce que ses sœurs et frères trans et adelphes non-binaires prennent soin d’elleux et des autres. "Ne perdez pas espoir. Cherchez les liens possibles à faire entre les personnes, et entre les concepts. Restez curieuxes, encourage-t-elle. Tendez la main, que ce soit pour aider des personnes qui en ont besoin, ou pour demander de l’aide pour vous-mêmes. N’ayez pas peur de le faire. En ce moment, ça peut être dur de se sentir uni·es, de faire partie d’un groupe, et c’est vraiment important de recultiver ça !"

Par Olga Volfson le 18/06/2021