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cinémaChristophe Honoré : "Je refuse d'expliquer l'homosexualité de mes personnages"

Par Franck Finance-Madureira le 21/10/2021
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Le Forum des images à Paris déploie jusqu'en décembre une foule de projections de films sélectionnés par Christophe Honoré. Pour TÊTU, le réalisateur revient sur ses inspirations, ses éveils et ses frustrations au cinéma.

Alors que son dernier film, Guermantes, autofiction en temps de Covid dans les coulisses de sa pièce inspirée de Proust avec la troupe de la Comédie-Française, est encore sur les écrans, Christophe Honoré travaille déjà sur sa prochaine création théâtrale autour de sa famille. Depuis le 22 septembre et jusqu’au 5 décembre 2021, il est également programmateur invité au Forum des images à Paris, proposant une centaine de séances sous forme d’ABCD des grandes lignes de sa cinéphilie, d’Amour à Désir en passant par Bretagne et Critique. TÊTU a pu échanger longuement avec le réalisateur sur ses films et réalisateurs de chevet, ceux qui ont eu une influence sur ses goûts, sur son cinéma, sur ses amours et sur sa vie.

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Est-ce qu’il y a quelque chose de « proustien » à programmer des films qui ont forgé sa cinéphilie ?

Christophe Honoré : Ce qu’on vient de vivre, le fait d’être soudain enfermés et d’avoir un monde hostile autour de nous, c’est déjà très proustien. Le projet avec le Forum, je ne sais pas si c’est proustien, car ce n’est pas parce qu’on plonge dans son passé qu’on l'est forcément. Mais la démarche ici était très clairement nostalgique car, par la force des choses, je crois que la cinéphilie obsessionnelle est une affaire de jeunes gens ! Le cinéma est un refuge à des périodes où on est dans une forme d’angoisse sur ce qu’on va faire de nos vies. Il y a beaucoup de films de l’époque où j’avais 20 ans et je m’aperçois, maintenant que je suis devenu cinéaste, que ce sont des films qui ont construit une espèce de territoire avant même que l’éventualité de devenir réalisateur surgisse dans ma vie. Finalement, je ne fais que reparcourir sans cesse ces films dans mes propres films.

Comment s’est conçue cette programmation en quatre axes : Amour, Bretagne, Critique et Désir ?

Certainement par coquetterie, avec l’idée de se dire que je ne suis pas si vieux car l’idée de la rétrospective me faisait un peu peur. J’essaie de réaliser des films à un rythme soutenu – même si François Ozon est plus rapide que moi et qu’il est désormais imbattable ! – parce que je pense qu’on est cinéaste quand on fait des films. Donc, assez vite, quand il a été question de rétrospective puis de « carte blanche », j’ai eu envie qu’on crée des échos entre des films. C’est mon côté envahisseur ! J’ai alors structuré 100 séances en quatre directions.

Pour ce qui est de la Bretagne ou de l’Amour, je suis parti sur un territoire personnel et nostalgique avec l’idée de retrouver les films qui m’avaient construit quand j’étais adolescent en Bretagne. Sur la question du Désir, c'était l’envie d’essayer de définir une espèce de morale de cinéaste sur ces questions-là. Quant au volet Critique, en tant que personne qui s’est beaucoup intéressée à la critique et qui en a un tout petit peu fait, j’ai l’impression que le cinéma français n’est plus aimé. C’est quelque chose qu’on ressent tous en tant que cinéastes. Il faut surtout ranimer la cinéphilie car le cinéma est un lieu de divertissement populaire extrêmement important mais aussi un grand lieu de pensée.

Dans Les Idoles vous rendiez hommage aux grands écrivains homosexuels qui avaient marqué vos lectures. Est-ce qu’il y a aussi, dans cette programmation, un parcours qui se dessine avec les grands réalisateurs homosexuels qui vous ont influencé ?

Oui, c’est évident ! Il y a cette phrase dans La Maman et la Putain de Jean Eustache qui dit "le cinéma, ça apprend à faire son lit". Et je pense que ça apprend aussi quoi faire dans son lit. Pour moi, le cinéma a été le lieu de beaucoup de sensualité. Une sensualité projetée et une sensualité au cœur des salles qui sont des lieux clos dans lesquels on rencontre des gens, des lieux de drague, des lieux où circule le désir. Alors évidemment, dans ma programmation, il y a des cinéastes sur lesquels j’ai projeté des choses. Je me souviens d’avoir vu, enfant, chez mes grands-parents, des images très fortes des Damnés de Visconti et, très honnêtement, c’était la sensualité qui me frappait. C’est étrange de réaliser que ces images nous poursuivent toute notre vie.

Est-ce que certaines ont agi, à l’adolescence, comme des révélateurs quant à votre sexualité ? 

J’ai l’impression que je n'ai jamais admis ma sexualité parce que je ne l’ai jamais interrogée. Mais il y a des films qui ont été révélateurs sur ma vie sentimentale : à Paris, à l’Entrepôt, il devait y avoir un festival où j’ai découvert Pink Narcissus et Omelette, le premier film de Rémi Lange que j’ai invité dans ma programmation. C’était très étrange dans ce lieu, c’était du "cruising cinéma" ! Mais mon vrai choc, ça a peut-être été Matthew Broderick dans WarGames quand j’étais au collège. Il était clair que c’était lui qui m’intéressait et que je n’avais pas grand-chose à faire du film ! Côté français, je me souviens d’avoir trouvé La Guerre du feu très sexy quand j’avais 12 ans alors qu’on ne peut pas dire que Jean-Jacques Annaud soit le plus LGBT des réalisateurs français !

Dans les années 90, on est entre Les Nuits Fauves et Pédale douce

Il y a eu Les Nuits fauves qui était important, avec son côté crâneur qui disait "je suis pédé et je vous emmerde". Pour ce qui est de Pédale douce, ça ne m’a pas marqué. Je ne l’ai pas vu à l’époque et, sans snobisme, ce n’est pas pour moi. C’est un film pédé pour hétéros : ça ne peut pas nous troubler, on peut juste s’en agacer. 

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Quand vous tournez Les Chansons d’amour, même si le sujet du film est grave, est-ce qu’il n’y a pas l’envie de montrer une homosexualité ou une bisexualité joyeuse et de sortir du dolorisme ?

En tout cas, à ce moment-là, j’estime déjà que je suis un cinéaste qui n’a plus à raconter des récits de coming out. Dans aucun de mes films, mes personnages homosexuels ne sont jamais dans l’aveu de leur sexualité. Dans Les Chansons d’amour, le personnage joué par Grégoire Leprince-Ringuet, Erwan, est juste un lycéen qui ne peut pas résister à Louis Garrel et on ne peut que le comprendre. C’est ce qui marque ma différence avec Chéreau ou Téchiné : je refuse d’expliquer l’homosexualité de mes personnages parce qu’on n’explique pas l’hétérosexualité d’un personnage !

Plus récemment dans votre travail, que ce soit Plaire, aimer et courir vite ou Guermantes, il y a une volonté de raconter des choses très personnelles, très intimes, de l’ordre de l’autofiction. Pourquoi ces choix ?

C’est quelque chose que je continue à développer en essayant de rester assez pudique. Je ne peux pas prendre au sérieux des cinéastes qui prétendent représenter le monde aujourd’hui car cela semble d’une malhonnêteté absolue. Le monde est tellement éparpillé et filmé par tout le monde que se prétendre cinéaste, et donc œil expert, est ce qu’il y a de plus dangereux à faire. La prétention, c’est de parler au nom des autres. L’autofiction, c’est l’inverse de l’entre-soi et du nombrilisme parce que, quand on parle loyalement en son nom propre, on peut essayer de toucher tout le monde. C’est ce qui fait qu’à 15 ans, quand on voit un film de Mizoguchi ou de Satyajit Ray, on sait exactement ce qu’ils veulent dire. La mondialisation du cinéma par les plateformes et les séries, c’est la désidentification du cinéaste donc de la propagande et de l’abus de pouvoir.

Dans le champ des cinéastes actuels qui s’intéressent à l’homosexualité, qui réussit encore à faire ce travail-là selon vous ?

Il y a des grands réalisateurs comme Gus Van Sant qui se mondialisent. Quand il faisait Elephant ou Last Days, c'était plus intéressant. Mais la force des grands cinéastes, c’est de réussir à garder une écriture personnelle dans la machine hollywoodienne. Après, je ne sais pas qui… vous avez des noms ?

Pedro Almodovar, par exemple, est présent dans votre programmation. Il est important pour vous ?

C’est un modèle. Je pense qu’Almodovar est le plus grand cinéaste européen en activité. Il est étrangement populaire et pas académique. Sa force, c’est sa persévérance formelle qui va avec l’idée que son territoire romanesque est sans limite, comme sa très grande agilité pour jouer avec les formes populaires de la telenovela et le fait qu’il ne lâche rien sur une forme de secret.

Si je devais citer quelqu’un d’autre, je dirais François Ozon. Il est pour moi le cinéaste français actuel le plus important. Si on veut savoir ce qu’est le cinéma français depuis les années 2000, il suffit de regarder ses films. Ce n’est pas forcément ma cinéphilie mais il ne lâche jamais sur la mise en scène, sur ses obsessions. Ozon prend le risque d’aller là où personne ne veut aller, jamais je ne serais capable de me lancer dans Potiche ou dans Grâce à Dieu. Et il y a des gens qui galèrent à faire leurs films et qui sont de grands cinéastes. Que Laurent Achard ne puisse pas faire ses films, et, qu’à côté, Maïwenn continue à faire les siens, c’est un vrai problème du cinéma français.

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Crédit photo : Raphaël Neal