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UkraineGuerre en Ukraine : VIH, transitions... l'enjeu de l'accès aux traitements

Par Cy Lecerf-Maulpoix le 11/04/2022
Guerre en Ukraine : VIH, transitions... l'enjeu de l'accès aux traitements

Si les associations avaient anticipé le conflit, la pénurie des traitements contre le VIH ou des hormones pour les personnes trans menace l'Ukraine. Et ce n'est pas sans risque pour le reste de l'Europe.

Bloqué.es aux frontières, exposé.es aux violences et à de nouvelles discriminations lors de leur parcours migratoire, beaucoup de LGBTI font l’expérience de vulnérabilités spécifiques depuis le début du conflit. Certain.es sont sous la menace d’une rupture dans l’approvisionnement ou l’accessibilité à de nombreux traitements médicaux, qu’il s’agisse d’antirétroviraux ou d’hormones. Une situation de plus en plus tendue et possiblement dramatique, dans un pays fracturé par l’occupation russe.

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Au début de la guerre, l’organisation des Nations Unies, ONUSIDA estimait ainsi qu’à peu près 250.000 personnes vivaient avec le VIH en Ukraine. Aujourd’hui, dans les zones sous contrôle du gouvernement, 130.000 personnes seraient actuellement sous traitement antirétroviral. Dimanche dernier, Andriy Klepikov, le directeur exécutif de l’organisation Alliance for Public Health, expliquait sur une chaîne britannique Skynews que 59.000 personnes nécessitant des traitements antirétroviraux se trouveraient dans des zones touchées directement par la guerre et que seulement 40 pour cent d’entre elles seraient parvenues à se rendre dans des endroits plus sûrs.

Relocaliser

Dans un tel contexte, les enjeux d’approvisionnement, de distribution et de suivi des traitements sont devenus une priorité pour de nombreuses associations de santé communautaire. Certaines villes, plus à l’est ont ainsi été partiellement ou presque complètement détruites nécessitant de relocaliser de nombreuses antennes associatives.

 «Les difficultés les plus importantes concernent des ville comme Donetsk, Luhansk ou Kharkiv où les hostilités sont les plus vives» constate Andreii Chernyshev d’Alliance Global, une association basée à Kyiv qui s’occupe notamment de santé sexuelle LGBTI. Pour Anastasiia Yeva Domani, présidente de l’association Cohort, qui accompagne des personnes trans dans différentes villes du pays « Depuis le début de la guerre, la moitié des employé.es de l’organisation ont été évacuées vers d’autres pays. Les autres sont restées en Ukraine. Même si nous continuons tout.es d’aider les personnes trans financièrement, avec des médicaments, l’accès aux hormones et un suivi psychologique". 

Depuis Lviv, la ville près de la frontière polonaise dans laquelle il a trouvé refuge avec plusieurs membres de l’association Alliance Global, Eugène Bilotskiy fait le point sur la situation dans la capitale : «Avant, à Kyiv, on pouvait compter sur nos bureaux» explique-t-il. « Désormais, nos travailleurs sociaux réalisent des tests VIH, pour les hépatites et la syphilis depuis leurs propres appartements».

«Lorsqu’il subsiste encore tout un réseau logistique, nos bénévoles peuvent se procurer des hormones et des médicaments. Même si à Kyiv c’est de plus en plus difficile, en raison des troupes ennemies et des bombardements » déplorait Anastasiia il y a encore quelques jours, avant le retrait russes des environs de la capitale.

Traîtements VIH et hormones

Si la traversée de Kyiv n’est jamais sans danger, deux hôpitaux, accessibles en taxi, distribuent des antirétroviraux et la Prep. «Le fonds mondial assure être en mesure d’approvisionner l’Ukraine et les hôpitaux. Mais les choses changent chaque jour » constate Vincent Leclercq, directeur général de Coalition Plus (une coalition internationale d’ONG communautaires de lutte contre le VIH/sida)

Parce que la livraison de médicaments et de matériel médical s’avère menacée par la guerre et que beaucoup d’infrastructures sont détruites ou abandonnées, l’approvisionnement, la diffusion et l’accessibilité aux traitements se font désormais différemment. Ainsi, la plupart des médicaments transitent-ils maintenant via la Pologne pour ensuite passer la frontière par l’ouest du pays. 

Risque de pénurie

Face au risque de pénurie sur place, Sarita Guillot, co-fondatrice de l’OII (l’Organisation Internationale Intersexe), insiste sur l’importance de pouvoir compter sur des réseaux sûrs pour faire parvenir des médicaments de l’étranger. Depuis la France, celle-ci participe à la coordination d’un réseau d’achat et de distribution d’hormones et de médicaments. «On a envoyé la commande en Pologne à des médecins qui ont fait des ordonnances. Ces médecins les remettent aujourd’hui à un réseau de solidarité, avec l’argent qu’on envoie, des hormones sont achetées avec d’autres médicaments puis tout ça part via ce réseau dans toute l’Ukraine. Une fois que c’est livré à Kyiv, c’est l’association Cohort qui prend en charge la distribution de ces médicaments

Après la révolution de 2014, les financements américains et européen avaient abondé en Ukraine, stimulant le développement des associations de santé communautaires en réponse à une situation sanitaire particulièrement urgente. En l’absence d’une stratégie globale de réduction des risques, le pays constituait, derrière la Russie, le pays d’Europe de l’Est le plus touché par le VIH.

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Les politiques associatives s’étaient alors structurées autour d’un important plaidoyer. En s’appuyant sur des failles dans le droit ukrainien, ces dernières avaient ainsi permis de faire lever les brevets sur les médicaments liés au VIH et à l’hépatite C au niveau national. « L’Ukraine est un caillou dans la chaussure de l’industrie pharmaceutique» explique Vincent Leclercq. « Cette mobilisation avait été un vrai succès de la société civile. Le pays pouvait importer des génériques moins chers d’Inde, même s’il s’agissait de médicaments avec des molécules plus anciennes ».

Menace anticipée

En dépit de ces succès législatifs et d’un soutien relatif de la part du gouvernement, les associations de santé, soumises à une forte pression dans un pays perpétuellement menacé, se voyaient obligées d’anticiper des situations de crise. « Depuis 2014, l’Ukraine est un pays qui vit sous la menace permanente de la Russie et ce sont toujours les organisations de la société civile qui jouent un rôle essentiel pour faire face aux défaillances de l’Etat » considère Vincent. « Le fonds mondial, l’un des principaux fournisseurs d’antirétroviraux, avait anticipé la guerre en constituant des stocks et les envoyant dans des régions à l’Ouest. Les associations avaient mis en place des plans d’évacuation et des stratégies de secours dans l’accès aux traitements.» 

Une situation que confirme Eugene : « Certain.es disposaient déjà de plusieurs mois de traitements, les hôpitaux distribuaient déjà beaucoup en raison des conflits antérieurs avec la Russie» explique-t-il.  Pourtant, depuis le début de l’invasion il y a un peu plus d’un mois, la violence et l’ampleur de la destruction et de la guerre sont néanmoins si inédites qu’elles ont profondément fracturé l’écosystème de soin et de santé. Et si les troupes russes se retirent désormais de la capitale, elles occupent encore de vastes portions du territoire au sud et à l’est.

Diffusion des IST et du VIH

Pendant que certaines associations comme Insight LGBTQ ou l’organisation 100% Life continuent d’organiser des distributions de médicaments et d’hormones, certaines, comme Alliance Global, retournent également dans les villes bombardées plus à l’est pour récupérer des stocks disponibles afin de les distribuer ailleurs. « Un de nos coordinateurs à Kharkiv, qui avait été évacué à Dnipro, est reparti récemment à Kharkiv. Il a risqué sa vie pour récupérer des stocks d’antirétroviraux et de Prep pour les ramener ensuite à Dnipro afin qu’ils bénéficient aux personnes réfugiées » raconte ainsi Andreii. Ce dernier évoque également l’importance de l’arrivée de nouveaux stocks venus des Etats-Unis via le dispositif gouvernemental américain Pepfar dont la livraison avait été retardée par l’aggravation du conflit. S’il est encore trop tôt pour mesurer l’ampleur des conséquences de la guerre sur les taux de contaminations, il ajoute qu’« une guerre prolongée aura très certainement un impact très négatif sur la diffusion du VIH, des hépatites virales, de la tuberculose et des ISTs ». Diffusion des IST et du VIH

Plus de 4 millions d’Ukrainiens auraient ainsi quitté le pays et dix millions seraient en mouvement selon les chiffres de l’HNCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés). Les déplacements forcés, la traversée des frontières (quand cela est possible) et l’arrivée dans des pays non préparés pour assurer le suivi des personnes multiplient les risques.

Mutations du VIH ?

Les risques de propagation sont donc de plus en plus importants. « Quand on est une personne migrante, on a plus de difficulté à accéder aux services de santé, de prévention, à se protéger de situations où l’on est amené à se mettre en situation de risque » analyse Vincent. Selon lui « l’enjeu est évidemment de permettre que les personnes continuent à avoir accès aux médicaments quand il y aura de moins en moins de stock » mais aussi tout au long du parcours migratoire. « Dans un tel contexte,  les mutations du VIH sont très probables ». Il rappelle ainsi qu’une interruption de traitement pourrait encourager l’apparition et la diffusion de formes plus résistantes, comme cela est déjà le cas avec la tuberculose depuis plusieurs années. « C’est aussi ce que l’on a pu observer dans des zones de conflit, en République Démocratique du Congo. Il y a alors deux options: soit les personnes ont accès à des traitements plus chers, uniquement disponibles dans certaines pays du Nord. Soit elles meurent.

La guerre est le pire scénario pour le VIH, c’est une bombe à retardement. Il faut qu’il y ait une mobilisation des agences internationales et des pays qui accueillent pour que les prises en charges médicales sur les questions de santé sexuelle soient véritablement prises en compte».