VIH"Le VIH doit faire peur, pas les séropos" : rencontre avec Florence Thune, directrice du Sidaction

Par Marion Chatelin le 04/04/2019
Sidaction

Le Sidaction, campagne de récolte de dons pour financer l'association éponyme de lutte contre le sida, se tient les 5, 6 et 7 avril. C'est aussi l'année de ses 25 ans. À cette occasion, et alors que les chiffres de contamination du VIH ne baissent pas, TÊTU a voulu faire le point avec la directrice générale de l'association, Florence Thune. Interview.

Pourquoi le Sidaction est-il plus que jamais utile ? 

Le Sidaction doit continuer d'exister parce que le virus du sida existe toujours. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Cela fait plusieurs années que l'on tourne autour de 6.400 nouvelles découvertes de séropositivité par an en France. Je pense que l'on ne se rend pas suffisamment compte à quel point on a oublié cette maladie et le danger que cela représente. Parmi les personnes qui découvrent que leur statut sérologique est positif, un tiers le découvrent tardivement, à un stade avancé de la maladie, parfois même au stade sida. Ce chiffre est particulièrement marquant, car cela signifie qu'à un moment des personnes ont pu développer des pathologies relatives à la baisse de leur immunité. Face à cela, les médecins il y a 10 ans ou 15 ans n'ont pas forcément préconisé un test de dépistage. C'est grave.

Par ailleurs, il est très important de continuer à se mobiliser car on n'a toujours pas de traitement définitif, ni de vaccin.

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Justement, quel regard portez-vous sur les cas de rémission qui ont été annoncés il y a quelques semaines ? 

Il faut faire très attention avec ces annonces. Ce n'est pas du tout une révolution. On avait déjà eu le même cas il y a 10 ans à Berlin. On sait donc qu'on est face à des situations très rares, qui ne se reproduisent pas. La solution n'est pas là, en tout cas pas du tout pour l'instant. Remettons les choses dans leur contexte : on ne parle que de deux cas, sur 37 millions de personnes qui vivent actuellement avec le VIH dans le monde !

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Quelles solutions préconisez-vous ? 

Le maître-mot est la prévention. On doit la mener sur deux fronts. D'abord, il faut intensifier la promotion du préservatif, dans le but de le rendre encore plus accessible. Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, a permis son remboursement en pharmacie lorsqu'il est prescrit sur ordonnance. C'est un bon début. Mais ce n'est pas suffisant. Parce qu'on se rend compte que ce n'est pas encore un automatisme pour les jeunes.

D'une manière générale, il faut re-sensibiliser le personnel de santé, et notamment les médecins généralistes sur ce sujet. Ils devraient toutes et tous avoir le réflexe de proposer à leurs patients un test de dépistage du VIH. Il faut également continuer de développer des services ou des campagnes qui permettent d’avoir un accès à la PrEP (prophylaxie pré-exposition, ndlr). Ce traitement médicamenteux préventif est un outil très efficace pour les personnes à risque.

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La France accuse un retard sur la PrEP. Comment favoriser ce traitement préventif particulièrement utile pour les personnes les plus exposées au VIH ? 

Je n'irais pas jusqu'à dire que nous sommes en retard. On a la PrEP remboursée, mais il faut aller plus loin. L'idée est de démocratiser ce traitement et toujours de préciser qu'il n'est pas réservé qu'aux hommes ayant des relations sexuelles entre hommes (HSH). Je pense également que trop de médecins ont encore des réticences à ce sujet et n'ont pas envie d'en parler à leurs patients. Ils renvoient une image jugeante de la sexualité. Il faut précisément changer cette mentalité, et c'est un travail de longue haleine.

Il apparait évident qu'il faut augmenter les moyens en milieu hospitalier. Prescrire la PrEP demande du temps et des ressources humaines.

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Concrètement, à quoi a servi le Sidaction l'année dernière ? 

On a eu trois jours de collecte qui ont rapporté 4 millions d'euros. Mais ces trois jours ne représentent qu'une partie des fonds récoltés. Au total, nous avons obtenu 12 millions d'euros de dons. Cela nous a permis de financer 81 associations sur l'ensemble du territoire français qui comprend l'outre-mer. Nous avons également soutenu 72 projets de recherche autour du VIH/Sida menés par de jeunes chercheurs.

Enfin, nous soutenons 32 associations dans 19 pays différents à l’international.

Si vous aviez un message à faire passer pour les 25 ans du Sidaction, ce serait lequel ? 

On s'adresserait au gouvernement ! Nous formulons une double demande depuis plusieurs années. D'abord, nous demandons à la ministre de la Santé et au ministre de l'Éducation de mettre en place des programmes afin d'éduquer à la sexualité. Il faut que l'on puisse parler de santé sexuelle dans les lycées. Il n'y a que comme cela que l'on pourra faire de la prévention auprès de nos jeunes. Nous demandons également au ministère de la Santé de donner les moyens de favoriser l’accès à la PrEP, et ce dès que possible.

Enfin, il faut pouvoir lutter contre la discrimination des personnes séropositives. Utiliser chaque action militante, les cours d'éducation sexuelle, les campagnes de communication sur les réseaux sociaux, pour rappeler que lorsque l'on est sous traitement avec une charge virale indétectable, le virus ne se transmet plus. Il me parait important de mettre en avant plus de séropos. Cela dans le but de rappeler que l'on peut vivre normalement. Et surtout, dire que le VIH doit faire peur, pas les personnes séropositives.

Propos recueillis par Marion Chatelin. 

Le Sidaction se déroule les 5, 6 et 7 avril 2019. Faire un don ici

Crédit photo : Vincent Isoré / Sidaction.