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reportagePride à la campagne : "Les LGBTQI+ ne vivent pas que dans les grandes villes !"

Par Olga Volfson le 07/09/2022
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Cette année, la saison des Prides a ouvert à Vic-en-Bigorre. Car la fierté n’a pas vocation à être l’apanage des grandes villes, et les jeunes queers de cette commune des Hautes-Pyrénées l’ont bien compris. 

Avec environ 5.000 habitants, un petit canal qui traverse la ville et la halle métallique de son marché s’inspirant des anciens pavillons Baltard de Châtelet, Vic-en-Bigorre se dessine sur fond de carte postale, au pied des Pyrénées. Toutefois, cette bourgade idyllique du comté historique de Gascogne, à quelque 18 km de Tarbes, manquait cruellement d’arc-en-ciel. C’est pourquoi, au lycée agricole et forestier Jean-Monet, deux étudiantes en BTS, Chloé, 19 ans, qui “refuse les cases”, et Paùla, 20 ans, pansexuelle, ont décidé d’en peindre un dans leur paysage et de lancer la toute première Pride du bourg. 

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Dans le cadre de leur cours d’éducation socioculturelle, elles devaient imaginer et organiser un événement. Bien que leur projet ait été tout d’abord annulé en raison de la pandémie de Covid-19, elles ont profité de ce report pour le peaufiner, et ont même réussi à trouver deux organisations pour en boucler le financement : le collectif d’associations Rivages et la mutuelle AG2R/La Mondiale. “En travaillant sur le sujet, nous nous sommes rendu compte qu’aucune sensibilisation LGBTQI+ n’avait été faite dans l’établissement, et qu’il existait énormément de préjugés. Notre motivation première était d’éveiller les consciences à la fois de nos camarades et des habitant·es, racontent les organisatrices. Tout ce travail, nous l’avons fait pour que toustes puissent s’assumer et montrer au monde ce qu’iels sont, sans être insulté·es ou mal regardé·es, surtout dans le milieu agricole et rural.” En l’absence de structures communautaires, la seule visibilité des sujets LGBTQI+ au sein de l’école se limitait jusque-là à des affiches de prévention accrochées aux murs de l’infirmerie.

Fierté rurale

Le vendredi 8 avril, dans la cantine du lycée, les tables sont disposées pour accueillir une après-midi de sensibilisation sur les questions de genre et de sexualité. Par groupes de six ou sept, une cinquantaine d’élèves commencent à échanger entre elleux sur différents sujets : la signification du sigle LGBTQI+, l’exclusion, la prévention en santé sexuelle… 

Pour aborder ces sujets, les deux étudiantes ont invité une dizaine de personnalités LGBTQI+ françaises. Parmi elles, la rugbywoman Alexia Cerenys, qui évolue à Lons, première femme trans en première division (Élite 1), a fait le déplacement. “C’est important de montrer aux gens que les LGBTQI+ ne vivent pas uniquement dans les grandes villes !” estime la sportive, qui vit dans un village de 160 habitant·es au milieu de la forêt landaise et considère qu’ouvrir les placards de nos campagnes constitue un enjeu réel. Et ce n’est pas Edward-Jeanne, coach en transition de genre suivi par plus de 100 000 personnes sur Instagram depuis Strasbourg, qui dira le contraire. “Ce genre d’événement, c’est ce qu’il m’aurait fallu il y a dix ans pour comprendre que je n’étais pas seul. Cela aurait certainement changé mon parcours, raconte-t-il. C’est grâce à des initiatives comme celle-ci que les choses peuvent changer.”

Les profs en soutien

Samedi 9 avril, un léger crachin et de grandes éclaircies accompagnent, sur la promenade des Acacias, qui longe le lycée agricole, le départ de la première Marche des fiertés de Vic-en-Bigorre. Une petite troupe chatoyante se forme progressivement autour de l’atelier “pancarte” du jour, lequel se double d’un point “maquillage rainbow” à destination des petit·es et des grand·es, tandis que les talons des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence des couvents de Paname et de Paris parcourent le lino criard des dortoirs de l’internat. 

Les organisatrices, qui souhaitaient qu’un tracteur ouvre la marche – ruralité oblige –, ont dû se rabattre sur la citadine hybride blanche d’une de leurs profs. Recouvert de ballons de toutes les couleurs, le véhicule, dont les enceintes crachent déjà “Montero (Call Me By Your Name)” de Lil Nas X, “Relax, Take It Easy” de Mika et “Wish You Were Gay” de Billie Eilish, va donner le coup d’envoi à la fête. Côté institution, le proviseur se montre particulièrement investi – même s’il avait émis quelques réserves au début du projet, craignant de ne pas rassembler assez de monde ou d’éventuels “débordements”. Quant aux professeurs du lycée, ils sont venus nombreux.

Cette Pride rurale semble être également l’occasion, pour de nombreux parents, de soutenir leurs enfants. Face à cette foule nombreuse, un père, qui accompagne sa fille trans, a du mal à retenir son émotion : “On a encore beaucoup à désapprendre et à apprendre sur les transidentités. C’était important de marcher aux côtés de ma fille.” On croise également une femme aux cheveux roux gaufrés vêtue d’une robe à imprimés psychédéliques et coiffée d’un bob à paillettes violet, et son compagnon aux allures de rockeur seventies, qui combine audacieusement Stetson multicolore et blouson de cuir orné d’ailes de fées. Le couple, américain et installé depuis peu dans le coin, s’autodéfinit comme “très ouvert” et nous confie être présent en soutien à son ado non-binaire, perché·e sur des échasses à quelques mètres de là : “Iel est quasiment la seule personne out dans son école, alors nous sommes ravi·es que cette Pride ait lieu dans notre ville, où il ne se passe rien sur les sujets LGBTQI+. On ne veut pas qu’iel se sente isolé·e !”

La visibilité progresse

Comme toutes les Prides, celle-ci possède également son cortège d’assos. Arcolan, organisation palaise – de Pau – tirant son nom du mot gascon pour “arc-en-ciel”, est ainsi venue en renfort. Mais on croise aussi les nationales Les Enfants d’arc-en-ciel, Enipse, ou encore Acceptess-T. Durant la procession, festive, les habitant·es sortent aux fenêtres, certains font signe, quand nombre d’automobilistes klaxonnent gaiement. Mais on a vite fait le tour de Vic-en-Bigorre, et la Marche des fiertés touche rapidement à sa fin après un gigantesque câlin collectif aux abords d’un rond-point. Troquant ses pancartes contre quelques parapluies arc-en-ciel, le cortège rejoint ensuite la cour de la maison des associations de la ville, où se déroule un petit concert punk d’un festival sur l’art et l’environnement dont le chanteur s’interrompt quelques minutes afin de prêter son micro aux discours de clôture de la Pride.

Pour Edward-Jeanne, cette Marche était “extraordinaire”. “Il y a quelques années, ça m’aurait semblé totalement impensable ! commente de son côté Alexia Cerenys. Même s’il y a encore malheureusement de la curiosité mal placée ou du dégoût, la visibilité progresse en milieu rural, et c’est une très bonne chose.” Et tandis que les participant·es se rafraîchissent à la buvette, prennent des photos souvenirs ou commencent à préparer leur retour, la pression retombe pour les deux organisatrices, lesquelles ont les larmes aux yeux… et reçoivent de nombreuses propositions de câlins.

“Je suis vraiment émue par toutes ces rencontres, s’émerveille Chloé. Et je suis heureuse d’avoir pu évoluer humainement grâce à cette expérience, et aussi soulagée que tout se soit passé sans encombre !” De son côté, et malgré la fatigue, Paùla a “hâte de préparer le second round”, car le binôme, qui compte bien pérenniser l’événement, pense déjà à la suite. D’ailleurs, manifestement encore pleines d’énergie, les deux copines ont décidé d’ajouter un épilogue à leur saga : la création d’une association ayant pour but d’intervenir dans d’autres lycées agricoles de France sur les thématiques LGBTQI+. Et si leur cours ne compte qu’en coefficient 1 pour leur année de BTS, leurs aîné·es n’ont pas manqué de leur dire à quel point elles ont marqué l’histoire de leur établissement et de leur ville, leur enjoignant d’en être extrêmement fières.

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Photo : Olga Volfson