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cinéma"Riposte féministe" : rencontre avec les réal du film, Marie Perennès et Simon Depardon

Par Franck Finance-Madureira le 14/11/2022
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Actuellement au cinéma, le film documentaire Riposte féministe, réalisé par Marie Perennès et Simon Depardon, suit des colleuses féministes et, à travers elles, une nouvelle génération de militant·es politiques.

Elle est réalisatrice et commissaire d’exposition spécialisée en photographie documentaire. Il est chef opérateur, producteur et réalisateur de documentaires. Début 2020, nourris de leurs échanges personnels, ils décident de réaliser en couple un portrait de la jeunesse féministe en allant à la rencontre des collectifs de colleuses d’affiches dans différentes villes de France, et, plus particulièrement, de certaines militantes. Une façon pour eux de documenter pour le cinéma un bouleversement de civilisation.

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Qu’est-ce qui a été le moteur de cette démarche d’aller à la rencontre des collectifs de colleuses d’affiches ?

Marie Perennès : On est d’une génération, celle des trentenaires d'aujourd'hui, pour laquelle le féminisme est ancré, la question de l’égalité femme-homme présente depuis toujours. Nous avons des mères très féministes et on s’est construit à un moment particulier puisque le mouvement MeToo est apparu alors que nous étions dans la vingtaine. Le rapport à la parole a changé, on est aujourd’hui capable de décortiquer les choses de l’ordre du micro-machisme, on aborde différemment la question de ce que c’est que d’être un homme ou une femme dans la vie, dans la rue. Cela nous a beaucoup motivés à donner la parole à cette jeune génération qui prend le problème à bras le corps et essaie de créer le débat, de lancer la conversation dans l’espace public, à un autre endroit que celui de la politique institutionnelle.

C’est ce moyen d’action qui vous a interpellés ? 

Simon Depardon : Oui et non. Bien sûr, nous sommes nous-mêmes tombés un soir sur un collage en bas de chez nous et on a un rapport fort au premier collage qu’on a vraiment regardé et pris de plein fouet. En rentrant après un dîner, on a vu "Femmes agressées, battues, vous n’êtes pas seules, on vous croit". Et ça a été très fort, un déclic. Le collage c’est un outil impactant mais, pour nous, c’était un prétexte, une porte d’entrée afin de rencontrer des militantes. On n’a pas eu envie de raconter l’histoire du mode d’action mais de rencontrer des personnalités chez qui on sentait une appétence pour faire un film, pour témoigner. En documentaire, on cherche toujours des gens convaincants, des personnes qui parlent avec leur cœur. Là, on a réussi à tisser des liens, à mettre en place avant tout une relation de confiance.  

Marie : Ces collages ont tellement essaimé dans le paysage que cela parle à tout le monde, dans les grandes comme les petites villes. Et c’était notre point de départ pour se poser la question du militantisme dans la jeune génération de féministes, comment elle agit, comment elle participe à la vie citoyenne autrement que par le vote ou la participation à un parti politique. Chaque collage est un prétexte pour réfléchir, discuter de quoi dire, de comment le dire et ce sont vraiment des outils visuels magnifiques. 

Simon : On avait envie de faire un film sur le fait, pas encore complètement acquis, que la sociabilisation politique des jeunes se fait beaucoup plus par les jeunes eux-mêmes. Avant on parlait politique en famille, aujourd’hui on fait ça entre jeunes. Et c’est aussi très important quand ces discussions ont lieu entre femmes, qu’elles peuvent développer leur pensée politique entre elles. Donc c’est aussi un film sur la parole. Les slogans, le lieu de collage sont mûrement réfléchis en amont, et participent à ce féminisme qui n’est pas arrêté, ni anti-mecs. C’est un féminisme en construction, qui vit devant nous et c’était aussi important dans le film de montrer que tout le monde n’était pas d’accord sur tout. 

Comment avez-vous choisi de vous intéresser à tel ou tel échange ? Comment se sont opérés les choix finaux ?

Marie : Il y avait, dès le départ, deux éléments. Faire un film qui s’appelle Riposte féministe, c’est nécessairement aller du côté militant et engagé. Mais ce qu’on cherchait, comme le rappelait Simon, ce sont des paroles convaincantes. Il y a plus de 200 groupes ou collectifs en France et nous nous sommes laissé guider par les rencontres. On a tissé notre réseau et ensuite, nous avons passé près d’un an à faire des repérages, à les rencontrer, à leur parler de notre vision du film et à savoir qui avait envie de le faire avec nous. Un documentaire sort du cadre habituel du militantisme, il n’y a plus d’anonymat donc celles qui sont dans le film l’ont voulu et nous avons veillé à ne jamais déformer leur parole. On a beaucoup travaillé avec notre monteuse pour que les conversations ne soient pas tronquées, qu’on en saisisse la progression, le climax… C’était très important d’avoir des débats en évitant les interviews face caméra avec un discours moralisateur. Il fallait que les spectateurs comprennent ce qu’est ce féminisme en mouvement. 

Simon : Pour Marie, il fallait que l’aspect politique soit garanti, pour moi, la priorité c’était de faire que ce soit beau de façon cinématographique sans qu’on sente notre présence, et pour cela il faut du temps. C’est quand on croit que la caméra a disparu que cela fonctionne. 

Il y a de nombreuses scissions dans le féminisme aujourd’hui, qui se sont révélées notamment dans les collectifs de colleuses mais qui ne sont pas évoquées. Pourquoi ce choix ? 

Simon : Le principe qui était le nôtre était de ne pas faire un film historique ou exhaustif, cela aurait été barbant. On voulait un documentaire d’auteur qui permette d’assister aux conversations. On s’est posé la question d’aborder les dissensions lorsque nous étions au montage, mais on n’avait finalement pas grand-chose, ce n’était pas vraiment prégnant dans notre expérience. 

Marie : Aujourd’hui, de nombreuses personnes s’emparent de ces sujets pour montrer que les féministes ne sont pas d’accord entre elles. Evidemment qu’il y a des désaccords, on montre d’ailleurs de nombreux débats mais ce type de féminisme est extrêmement marginal même s’il tend à occuper une grande place médiatique. Et on nous en a très peu parlé. Pour la grande majorité des féministes d’aujourd’hui, la question trans n’est plus une question. Les personnes trans sont intégrées à ces collectifs, à ces débats. Les vrais sujets sont ailleurs : on nous a surtout parlé des féminicides, des violences faites aux femmes mais également aux personnes trans. C’est ça le féminisme qu’on a rencontré.

Quelques textes récents abordent l’hétérosexualité comme un joug dont on devrait se libérer pour vraiment se déconstruire. En tant que couple hétéro et féministe, vous vous êtes interrogés sur le sujet ? 

Simon : On a beaucoup écouté de podcasts sur ces thématiques, notamment certains de Victoire Tuaillon. Et forcément, en faisant ce film en couple, on s’est posé la question. Pour faire un film, il faut être un peu obsessionnel, donc on a beaucoup parlé de tout ça et c’est passionnant, personne n’a de réponse parfaite mais c’est bien d’en parler. 

Marie : Je suis d’accord, ces réflexions sont passionnantes. Et oui, Le cœur sur la table de Victoire Tuaillon est incroyable sur la façon dont le féminisme construit une société de la bienveillance, de l’amour, de la sororité. Cela nous a beaucoup animés, au même titre que, plus récemment, le Cher Connard de Virginie Despentes ou les écrits de Lauren Bastide. Ce qui est dit, ce n’est pas qu’il faille sortir radicalement de l’hétérosexualité mais qu’il faut avoir conscience qu’elle est aussi un principe politique qui enferme dans des schémas et empêche de penser l’altérité. Ce sont effectivement des choses auxquelles nous avons beaucoup réfléchi. 

Simon : Et le fait d’être devenu parents nous fait un peu mettre en pratique cet état de veille constant sur l’hétéronormativité ! 

Quelles sont les réactions du public qui découvrent le film ?

Marie : Je pense qu’on a réussi à faire un film qui met en avant une expérience collective et qui se prête vraiment à l’expérience de la salle de cinéma parce qu’il lance le débat. Il y a souvent quelques personnes qui reprennent les chants militants du film et cela apporte beaucoup de joie et d’espoir. Les conversations d’après-projection sont extrêmement bienveillantes et réunissent des personnes qui ne sont pas forcément militantes mais qui se laissent emporter. On se rend compte que le sujet des violences faites aux femmes concerne énormément de monde. 

Simon : Les salles de cinéma d’art et essai sont un peu les dernières agoras physiques de France, des lieux d’expression et de débats. C’est très beau d’accompagner le film et d’assister aux échanges entre diverses générations de féministes. Dans les villes où le collectif de colleuses et présent, les gens les remercient et leur demandent de ne surtout pas arrêter. Ces moments sont extrêmement précieux. Et les séances scolaires passionnent aussi les plus jeunes. 

Marie : On est heureux de voir que le film parle à tout le monde. 

Simon : Mais le film n’est pas une fin en soi. Depuis, les colleur·euses continuent d’arpenter les Bricomarché et de travailler sur des collages dans l’espace public. On a voulu les mettre en avant pour affirmer une nécessité d’écouter la jeunesse avec, pourquoi pas, une forme de tendresse. Mitterrand ou Godard disaient sensiblement la même chose : qu’il fallait écouter la jeunesse parce qu’elle a toujours raison même quand elle a tort ! 

Marie : Le cinéma peut permettre d’apporter cette contribution citoyenne au débat public, le film ne donne pas de réponses mais ouvre des pistes de réflexion. 

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Crédit photo : Wild Bunch