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religionBenoît XVI : mort d'un pape émérite de l'homophobie d'Église

Par Nicolas Scheffer le 02/01/2023
Benoît XVI avec Georg Ganswein, son secrétaire particulier, en juin 2012

Le pape Benoît XVI, devenu émérite après qu'il eut choisi en 2013 de quitter sa charge, et mort le samedi 31 décembre 2022, était plus que le simple conservateur décrit dans ses nécrologies : tout au long de sa carrière ecclésiastique, Joseph Ratzinger n'a eu de cesse que de s'opposer au nom de l'Église catholique à toute normalisation de l'homosexualité.

Le catholicisme n'a jamais été tendre avec les personnes LGBTQI+, suivant le sillage de la papauté. Si l'actuel pape François cherche à manier la chèvre et le chou par une acceptation encore très relative de l'homosexualité, son prédécesseur, Benoît XVI, a été l'artisan assidu de l'homophobie d'Église. Mort à l'âge de 95 ans le dernier jour de 2022, le 265e pape, qui avait été intronisé en 2005 avant de se retirer en 2013, restera dans l'histoire comme un pontife ennemi de toute évolution de la doctrine catholique dans son approche de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. Même après que la plupart des pays occidentaux eurent dépénalisé l'homosexualité, à la fin du XXe siècle, Joseph Ratzinger – son nom civil – persista à professer, au nom de l'Église catholique, que "l’orientation homosexuelle est objectivement désordonnée et fait naître une préoccupation morale particulière"

Le legs homophobe du pape allemand (né en Bavière en 1927) se construit bien avant son accession au trône de saint Pierre. En 1986, en tant que Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, l'instance qui fixe l'interprétation officielle des textes, le théologien écrit une "Lettre aux évêques de l'Église catholique sur la pastorale à l'égard des personnes homosexuelles". Dans ce texte qui traite spécifiquement de l'homosexualité, Joseph Ratzinger regrette "des interprétations excessivement bienveillantes" de la précédente explication de texte officielle de l'Église, laquelle dénonçait pourtant déjà dans l'homosexualité des actes "intrinsèquement désordonnés". La première pierre est posée : si seuls les actes peuvent représenter un "grave pêché", "l'inclination elle-même doit être considérée comme objectivement désordonnée", martèle-il.

Joseph Ratzinger, fournisseur d'arguments anti-gay

"Alors que l'Occident était dans un mouvement de dépathologisation de l'homosexualité, ce texte a donné un bagage théorique aux 'thérapies de conversion'", regrette auprès de têtu· Anthony Favier, historien et membre de la conférence de rédaction de Témoignage chrétien. C'est en effet dans cette mouvance que sont notamment créés aux États-Unis les mouvements "ex-gay" .

Dans ce mi-temps des années 1980 déjà marquées par la pandémie de VIH/sida qui décime la communauté, Joseph Ratzinger choisit donc de continuer à armer l'Église catholique contre toute avancée sociétale favorable aux droits des homos, faisant même porter sur ces derniers la responsabilité d'une violence réactionnaire. "La saine réaction contre les injustices commises envers les personnes homosexuelles ne peut en aucune manière conduire à affirmer que la condition homosexuelle n'est pas désordonnée. Quand on accueille de telles affirmations et dès lors [que l'on] admet comme bonne l'activité homosexuelle, ou quand on introduit une législation civile pour protéger un comportement auquel nul ne peut revendiquer un droit quelconque, ni l'Église ni la société dans son ensemble ne devraient s'étonner que d'autres opinions et pratiques déviantes gagnent également du terrain et que croissent les réactions irrationnelles et violentes", défend-il.

"Il y a des domaines dans lesquels ce n’est pas une discrimination injuste de tenir compte de l’orientation sexuelle."

Joseph Ratzinger

Dans un autre texte, en 1992, le futur pape théorise que les homos doivent non seulement éviter de s'organiser pour exiger leurs droits, mais que leur discrimination est même juste. "'L’orientation sexuelle' ne constitue pas une qualité comparable à la race, l’origine ethnique, etc., en ce qui concerne la non-discrimination. À la différence de celles-ci, l’orientation homosexuelle est objectivement désordonnée et fait naître une préoccupation morale particulière. Il y a des domaines dans lesquels ce n’est pas une discrimination injuste de tenir compte de l’orientation sexuelle, par exemple dans le placement ou l’adoption d’enfants, dans l’engagement d’instituteurs ou d’entraîneurs sportifs, et le recrutement militaire", développe-t-il.

Un argumentaire qui continue de faire largement écho parmi l'internationale réactionnaire. "Aujourd'hui, la guerre anti-LGBT que mène Vladimir Poutine est dans cette droite ligne, tout comme l'homophobie d'État qui se déverse en Pologne", signale Anthony Favier. D'ailleurs, à l'annonce de la mort de Benoît XVI, le président russe Vladimir Poutine a pris soin de saluer la mémoire d'un "défenseur des valeurs chrétiennes traditionnelles". Dans un communiqué envoyé au Vatican, son soutien le Premier ministre de Hongrie Viktor Orbán, leader de l'homophobie d'État au sein de l'Union européenne au nom également de la "famille traditionnelle", a également souligné à quel point ses conversations avec Benoît XVI avaient eu "une forte influence" sur ses opinions.

Benoît XVI, leader anti-"culture gay"

À partir de 2003, Ratzinger part en croisade contre la reconnaissance des unions de même sexe, appelant les quelque 1,2 milliard de catholiques à s'inviter avec lui dans ce débat. Partant de sa définition des discriminations justes, il fournit même en quelque sorte une lettre de mission à la Manif pour tous et compagnie : "Lorsqu'on est confronté à la reconnaissance juridique des unions homosexuelles, ou au fait d'assimiler juridiquement les unions homosexuelles au mariage, leur donnant accès aux droits qui sont propres à ce dernier, on doit s'y opposer de manière claire et incisive."

Devenu pape, il s'attire sur le sujet du VIH/sida les foudres y compris de nombreux catholiques lors de son premier voyage en Afrique en 2009. En route pour le Cameroun, il affirme dans l'avion qui le mène à Yaoundé qu'on ne peut "pas régler le problème du sida avec la distribution de préservatifs". À l'inverse, soutient le désormais chef de l'Église qui prône l'abstinence et la "fidélité", leur "utilisation aggrave le problème".

Mais alors, au-delà de la position traditionnelle du Vatican, pourquoi un tel acharnement à s'en prendre aux homosexuels ? "Benoît XVI s'est contenté de redire la tradition multi-millénaire de l'Église sans faire de révolution sur le sujet. La logique, c’est que la sexualité est ordonnée à la fécondité et à la vie maritale. Toute autre sexualité est considérée comme une atteinte à la religion catholique dans un mouvement de réaction à Mai 68 où la religion catholique a été malmenée", décrypte pour têtu· un prêtre sous le couvert de l'anonymat. Comme un certain Éric Zemmour, Joseph Ratzinger a donc soigneusement cultivé sa plantation d'amalgames sur un terreau anti-soixante-huitard.

"Joseph Ratzinger puis Benoît XVI ne supportent pas la normalisation de l'homosexualité. Ces textes visent à y répondre sur un plan externe mais aussi interne à l'Église car un certain nombre de prêtres, notamment aux États-Unis revendiquent leur homosexualité", complète Josselin Tricou, auteur de Des soutanes et des hommes : enquête sur la masculinité des prêtres catholiques (PUF). Selon le sociologue, "l’homophobie dans son exercice de Préfet a été portée comme une obsession et doit être corrélée avec une forme d’homophilie interne au clergé catholique". Ainsi, Joseph Ratzinger condamne en 1999 Jeannine Gramick et Robert Nugent, les deux cofondateurs du "New Ways Ministry" qui, à partir des années 1980, milite pour revoir la manière dont les personnes LGBT sont perçues au sein de l'Église catholique. En France, Jacques Gaillot, qui avait donné une interview à Gai Pied (ancêtre de têtu·) et appelé les catholiques à participer à la Gay Pride de Rome, est écarté en 1995 de son ministère par le Préfet allemand. Dès que la fumée blanche aura élu ce dernier pape, en 2005, l'Église interdit aux prêtres homosexuels d'exercer, tout comme à ceux qui "soutiennent ce qu'on appelle la culture gay".

L'hypothèse d'un pape homo, au fond

De fait, la plupart des interlocuteurs interrogés valident l'analyse d'une "obsession" de Benoît XVI à l'égard de l'homosexualité. "C'est un pape qui a crispé le discours de l'Église qui aurait pu se contenter de manifester une désapprobation lointaine. En réalité, il a alimenté un discours anti-gay qui a toujours des effets aujourd'hui. Aussi, il a éloigné de l'Église catholique de nombreuses personnes homosexuelles", avance Cyrille de Compiègne, porte-parole de l'association LGBT catholique David et Jonathan, créée en 1972. "À ses yeux, l'homosexualité est nécessairement une sexualité débridée, furtive, inquiète et culpabilisée. C'est qu'il a pu en voir au sein des rangs de l'Église", reprend Josselin Tricou. Un nœud essentiel, selon le chercheur : "Si l'Église reconnaissait l'homosexualité comme une forme banale d'amour entre deux personnes, les homosexuels auraient tendance à s'éloigner du clergé que nombreux rejoignent pour vivre une vie dans la chasteté".

Dans son livre-enquête Sodoma, le sociologue Frédéric Martel va plus loin en émettant l'hypothèse d'une homophobie assumée par Benoît XVI afin de contrer sa propre homophilie, c'est-à-dire son homosexualité non pratiquante. "Je ne pense pas une seule seconde qu'il ait pratiqué l'homosexualité, mais s'il n'avait pas été prêtre, il aurait été homosexuel, nous confie l'auteur du best-seller mondial sur le Vatican. En fin de compte, il représente une forme d'incarnation de l'honnêteté intellectuelle dans la mesure où ce qu'il impose, la chasteté, c'est ce qu'il s'est imposé à lui-même au prix d'une lutte déchirante". D'aucuns ont d'ailleurs vu dans l'ordination épiscopale de son fidèle secrétaire, Georg Gänswein (à ses côtés sur la photo d'illustration de l'article), une forme de mariage qui ne disait pas son nom d'un couple platonique… Quelques semaines avant de renoncer à sa charge papale, et le jour de l'Épiphanie, Benoît XVI donne en effet, en la basilique Saint-Pierre de Rome, une cérémonie grandiose et démesurée pour élever son ami au grade d'archevêque. Après sa démission, le pape émérite vivra d'ailleurs avec son secrétaire particulier. Sur ce point, sans doute, les voies de Benoît XVI resteront impénétrables.

Crédit photo : Andreas Solaro / AFP