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religion"Le Coran ne dit rien de l'homosexualité" : rencontre avec deux imams gays

Par têtu· le 01/02/2010
"Deux imams homos en croisade", magazine têtu· n°161.

L'un vient des États-Unis, l'autre d'Afrique du Sud, et ils sont les deux seuls imams au monde à assumer publiquement leur homosexualité. Malgré les menaces, Moulana Muhsin Hendricks et Daayee Abdullah tentent de faire cohabiter deux communautés en conflit et répètent sans relâche leur message : il est possible d'être gay et "bon musulman".

Texte : Cédric Douzant
Article paru en décembre 2010 dans le magazine n°161.

Il a une voix douce, un sourire serein, et se veut "en paix" avec lui-même. L'expression revient sans cesse dans les paroles de Moulana Musin Hendricks, sud-africain, l'un des deux seuls imams au monde à assumer leur homosexualité. "Il est possible d'être un bon musulman tout en étant homosexuel, explique-t-il. Être un bon musulman, et c'est primordial pour moi, signifie être en paix dans son âme et son cœur. II faut atteindre le point où sa sexualité et sa foi ne sont plus en conflit, et mon étude personnelle du Coran m'a montré que c'était possible. Mais peu de musulmans osent assumer leur homosexualité, c'est une route très difficile."

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Cette route apparaît comme le combat de sa vie. S'il confie avoir senti dès l'enfance qu'il était "différent" des autres, il lui a fallu de longues années pour accepter son homosexualité. "Mon grand-père était imam, ma mère enseignait le Coran, je suis presque né dans une mosquée, se souvient-il. Adolescent, je me demandais pourquoi Dieu m'avait fait comme ça. À 20 ans, alors que j'étais étudiant dans une madrasa [une école coranique] au Pakistan, j'ai découvert les versets du Coran sur Sodome et Gomorrhe. Je me suis alors senti très coupable, je me suis dit « voilà ce que Dieu pense de moi »." Et la tradition l'a rattrapé, il s'est marié et a eu des enfants.

Homosexualité et islam

Mais quelques années plus tard, le départ d'un de ses plus proches amis, dont il était amoureux, l'a effondré et, face à sa tristesse, sa femme lui a demandé s'il aimait cet homme. Il a alors choisi de dire la vérité à sa famille, puis dans les deux madrasas où il enseignait en Afrique du Sud. "Je connaissais les risques que je prenais, mais je voulais être honnête avec moi-même. À cette époque, j'étais prêt à mourir." La révélation a aussitôt eu l'effet d'une bombe : des fidèles ont quitté son organisation et les menaces de mort se sont multipliées.

"Les passages du Coran sur Sodome et Gomorrhe condamnent le viol mais pas l'homosexualité en elle-même."

Mais Moulana Muhsin Hendricks est imperturbable. Il en est sûr : rien dans le Coran ne condamne l'homosexualité et ceux qui le font en son nom se trompent d'interprétation. "Les passages sur Sodome et Gomorrhe condamnent le viol mais pas l'homosexualité en elle-même. L'islam n'est pas une religion homogène, plusieurs interprétations du Coran sont possibles, car la langue arabe est très riche et l'écriture du texte est poétique." Daayee Abdullah, imam à Washington, partage cette analyse et martèle que "le Coran ne dit rien de l'homosexualité". Né dans une famille baptiste du sud des États-Unis, il s'est converti à l'islam il y a vingt-huit ans et a lui aussi fait son coming out, il y a treize ans. "Cette démarche n'a pas été difficile, raconte-t-il. Je savais que les valeurs de l'islam acceptent toutes les orientations sexuelles."

Gay et musulman

Si les deux religieux se veulent en conformité avec l'esprit du texte sacré, aucun autre imam ne les a publiquement soutenus. "J'ai reçu des soutiens en privé mais les imams ont peur d'être stigmatisés ou assimilés aux homosexuels", confie Moulana Muhsin Hendricks. Daayee Abdullah voit, lui, une autre explication à ce silence : "Beaucoup de mosquées occidentales reçoivent des fonds de pays du Moyen-Orient. Elles les perdraient si elles nous soutenaient..." Tous les deux confient ainsi qu'il est difficile pour un musulman de vivre son homosexualité et que les relations entre communauté LGBT et communauté musulmane sont souvent compliquées, faites de conflits et d'incompréhension. "Dans la communauté musulmane, l'homosexualité peut être mal perçue, le poids de la tradition et de la famille reste très fort, explique Daayee Abdullah. La communauté LGBT est souvent contre les religions, notamment l'islam. À nous de créer des ponts entre ces communautés."

"De nombreux jeunes homos se suicident car ils ne peuvent pas trouver de soutien dans leurs familles."

Pour tenter de les concrétiser, Moulana Muhsin Hendricks a fonde une association, The Inner Circle (Le Cercle intérieur), qui apparaît comme un modèle pour les associations d'homos musulmans, de plus en plus nombreuses en Europe et en Afrique. "De nombreux jeunes homos se suicident car ils ne peuvent pas trouver de soutien dans leurs familles, explique-t-il. Nous voulions créer un lieu d'accueil et de partage, car les homos musulmans sont confrontés à de nombreux problèmes : l'intériorisation de l'homophobie, une pression sociale qui peut pousser à des mariages forcés, des coreligionnaires qui ne sont pas toujours prêts à accepter les différences et aussi une certaine pression de la culture gay, sur les sorties ou la sexualité, qui peut être en conflit avec les préconisations de l'islam."

Mais sa priorité reste le sort des homos dans certains pays d'Afrique ou du Moyen-Orient, où ils sont persécutés, emprisonnés, voire condamnés à mort. Il se laisse à espérer qu'un jour, "tous les pays musulmans accepteront les homos", avant d'ajouter, fataliste : "Mais je ne sais pas si je serai encore en vie pour le voir."

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