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danseDanse hip-hop : la difficile inclusion des artistes queers

Par Tessa Lanney le 24/03/2023
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À l'occasion de la convention de culture hip-hop L2P, têtu· a rencontré plusieurs acteurs queers de la scène hip-hop française, danseurs et danseuses en quête de liberté dans un milieu encore très hétéronomé, censé représenter un exutoire pour ses membres. Tous ses membres.

Si "Peace Love Unity and Having fun" est aujourd'hui un des slogans incontournables du hip-hop, à l'origine son credo résidait dans la phrase "I am somebody", comme tient à rappeler la danseuse Laura Maillard. "Parce qu'on ne fait que parler de soi dans le hip-hop", souligne la danseuse de 26 ans, plus connue sous le nom de Bgirl Laurakle, qui milite pour la visibilité des personnes LGBTQI+ dans la culture hip-hop. C'est dans cette optique qu'elle a investi la convention L2P dédiée à la street culture, qui se tenait à l'espace culturel La Place, haut lieu du hip-hop parisien, pour mettre le sujet sur le devant de la scène. Modératrice d'un débat qui s'est tenu ce mercredi 8 mars, elle a ainsi pu converser avec Patrick Zinglilé, enseignant artistique, Bboy Virus, danseur et membre de Breakleague (première ligue de break française), Amandine Scurra, professeure de danses hip-hop, et Mélissa Verdoux, danseuse interprète. Ces dernières sont également cofondatrices du Collectif Highlights, impulsé par Laura Maillard, qui réunit des danseuses queers, et dont le but est de devenir un eldorado LGBTQI+ pour les adeptes de hip-hop.

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Mais selon une partie des pratiquants, lutter contre les discriminations, visibiliser les personnes LGBTQI+ et politiser le hip-hop irait à l'encontre de sa culture intrinsèque. Car les questions politiques sont censées rester hors de cet "exutoire", de ce lieu de totale liberté "où l'on oublie ce qui nous saoule dans la société", rappelle Virus. Seulement peut-on vraiment qualifier d'espace de liberté un lieu où s'exercent des discriminations ? Les intervenants se sont donc investis d'un rôle : informer et éduquer leurs camarades sur ces questions qui traversent le vécu de nombreuses personnes au sein de cette communauté soudée par la même passion. "En tant que lesbienne, je me sentais seule dans le hip-hop parce qu'on ne traitait pas de ces sujets", insiste d'ailleurs Laura.

Le hip-hop, un milieu très masculin

"J'ai dû sortir de la culture hip-hop pour me rencontrer moi-même", confie la jeune femme. Celle qui fait aujourd'hui partie du top 8 féminin français en breakdance s'est en effet éloignée des salles d'entraînement pendant quelque temps, avant de rejoindre la Paris Dance School en 2015. "Je me cherchais. J'ai alors fait mon coming out à mes parents avant de revenir au hip-hop, mais j'ai senti un vrai décalage parce qu'entre temps je m'étais déconstruite." L'athlète, qui évolue également au sein de la compagnie Lady Rocks, a toujours associé le hip-hop à "un milieu très masculin" dans lequel elle était "le garçon manqué au milieu d'une bande de gars". "Être gay, ce n'était pas du tout bien perçu. J'étais dans une phase solitaire", raconte-t-elle.

"En battle, j'avais le droit d'être aussi odieux que le monde l'était à mon égard."

Bboy Virus, danseur

Lorsque Patrick Zinglilé, 43 ans, a fait ses premiers pas de danse, vers 15 ans, en 1995, la configuration était encore autre. "Il ne fallait pas se faire repérer dans le Marais", s'exclame celui qui, avant d'assumer sa bisexualité – avec une préférence pour les hommes – à l'âge de 21 ans, était en couple hétéro. "J'aurais aimé évoluer dans un environnement bienveillant, mais ce ne fut pas le cas. J'ai vécu beaucoup de rejet, beaucoup de discriminations", se souvient-il. Une situation qu'a voulu éviter Bboy Virus, qui a découvert son homosexualité vers l'âge de 10 ans, en même temps que la breakdance. Il dissimule alors l'une pour se faire un nom dans l'autre. Mais derrière sa férocité – il est connu pour être impitoyable en battle –, la peur d'être outé, de voir le regard de ses adversaires changer. Alors il s'arrange pour devenir intouchable, s'assure d'avoir acquis une légitimité indiscutable quand viendra l'heure de son coming-out. "Le battle, pour un jeune homme gay dans le placard, ça représente beaucoup, assure-t-il au public. En battle, j'avais le droit d'être aussi odieux que le monde l'était à mon égard."

Le coming out symbolique de Bboy Virus

C'est finalement La Manif pour tous qui l'a encouragé à sortir du placard, à l'âge de 27 ans. Alors que l'accès au mariage entre personnes de même sexe était sur toutes les lèvres, il s'est aperçu que les remarques et les blagues homophobes qu'il captait de temps à autre autour de lui n'avaient rien à voir avec la violence de ceux qui descendaient dans la rue pour nier nos droits. Virus prend alors son courage à deux mains, annonce son homosexualité à ses parents, son entourage, puis étend son coming out à Instagram. Un message qui résonne dans toute la communauté breakdance, puisque le jeune homme a déjà dix ans de battles dans les pattes. "J'étais arrivé à un moment de ma vie où c'était important de le faire, explique-t-il. En faisant ce coming out, j'enlevais cette barrière que j'avais élevée entre moi et les autres."

"Même les meufs ont tendance à se viriliser pour éviter les remarques du type 'tu danses trop comme une fille'."

Laurakle, danseuse

Amandine Sourra, 27 ans, abonde : "La culture hip-hop est très hétéro, on ne s'attend pas du tout à ce que tu puisses être LGBTQI+. Donc tu caches une partie de qui tu es, alors que la danse consiste justement à faire tomber les masques, à se trouver, à s'explorer sans limites." Mais si faire son coming out permet d'exprimer qui l'on est et de l'infuser dans son travail artistique, "la perception de l'autre entre soudainement en jeu". Entre blagues lourdes et regards lubriques, être femme et queer représente une double peine. "J'ai subi plus de remarques en tant que meuf qu'en raison de mon orientation sexuelle", confie Laurakle, qui a senti une distance s'instaurer avec les membres – exclusivement masculins – de son précédent groupe. Pourtant, malgré ce que l'on pourrait croire, "être lesbienne, mais assez butch, [l]'a pas mal protégée". Car dans le break en particulier, "la virilité, c'est primordial. Même les meufs ont tendance à se viriliser pour éviter les remarques du type 'tu danses trop comme une fille'."

Une battle pour se libérer et s'assumer

En parallèle, la house et les danses de club sont plus volontiers associées aux cultures queers puisqu'elles s'ancrent dans les lieux investis par la communauté LGBTQI+. "C'est dans ces espaces-là que j'ai pu m'affirmer et me découvrir à une époque où je n'étais pas out et où j'avais du mal à m'affirmer, à investir l'espace de manière générale", confie Mélissa Verdoux, danseuse de 28 ans. Voguing, waaking… autant de danses issues de la communauté LGBTQI+ qui ont permis à la danseuse "d'exprimer sa part de féminité sans être sexualisée par le regard hétéronormé, et de se réapproprier son corps", chose qu'elle avait du mal à faire lors de battles all-styles (ouvertes à tous les styles de danse) qu'elle associait davantage à de la bagarre pure et dure. "J'allais en 'jams' (séances d'impro), en clubs, mais c'était aussi une manière de fuir, analyse-t-elle aujourd'hui. En fait la battle, quand j'ai vraiment commencé à investir sérieusement le waaking et à m'interroger sur la place que je voulais prendre – pas celle de la meuf sexy que je m'étais laissé imposer – ça m'a permis de me libérer, de m'assumer. J'avais trouvé un espace où j'avais le droit d'être dans une forme d'hyperféminité, d'aimer les femmes, de me laisser vivre."

Là où le collectif Highlights se démarque, c'est qu'il souhaite autant amener les danseurs et danseuses LGBTQI+ au hip-hop que l'inverse. D'ailleurs, ce que Laura apprécie dans le break, c'est que "les mouvements ne sont pas binaires, ne sont pas attachés à des normes de genre". Popping, locking, freestyle, break sont autant de possibilités. "Ce n'est pas parce que tu es gay que tu dois te limiter", insiste-t-elle. Pour faire découvrir leurs différents styles, Laura et les quatre autres danseuses du groupe proposent des initiations à la Mutinerie une fois par moi. Elles ont également monté un projet avec Le Sample, tiers lieu culturel de Bagnolet, afin de proposer tous les lundis soirs des sessions d'entraînement à destination des pratiquants LGBTQI+ et de leurs allié·es, pour une adhésion de vingt euros par an. Là-bas, débutants et plus aguerris évoluent côte à côte, profitant des expériences de tous dans une ambiance safe et respectueuse.

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Crédits photo : FIBO