ballroomUne compétition de voguing aux Jeux olympiques : retour sur un ball historique

Par Maurine Charrier le 09/08/2024

Paris 2024 est définitivement l'édition la plus queer de l'histoire des Jeux olympiques. Pour la première fois, l'événement a même accueilli une compétition de voguing, au pied de la tour Eiffel.

Après avoir fait éclater la fierté queer aux yeux du monde avec une cérémonie d’ouverture célébrant – entre autres – la culture LGBTQI+ et nos stars (Barbara Butch, Piche, Nicky Doll et toutes les copines), les Jeux olympiques de Paris 2024 réservaient un autre podium à la communauté. Pour la première fois de l’histoire, les JO ont en effet accueilli une compétition de voguing, le Paris Sports Ball. Les 1er, 6 et 8 août, pendant quinze minutes, les houses Revlon-Paris et Gorgeous Gucci-Paris se sont opposées sur un cat walk au Parc des Champions, au pied de la tour Eiffel. "Un ball devant 16.000 personnes chaque soir c’est éducatif !" s'enthousiasme Vinii Revlon, "father" de la house of Revlon-Paris. Les festivités étaient aussi retransmises en streaming.

À lire aussi : Cérémonie d'ouverture des JO : Paris, phare queer universel

Née dans la communauté LGBTQI+ noire aux États-Unis dans les années 1980, cette discipline de danse pastiche les poses de couvertures de magazines de mode (oui, voguing vient de Vogue, le magazine) dans des performances artistiques et acrobatiques lors de ball (on parle d'ailleurs de culture ballroom). Face au racisme, à l'homophobie et à la transphobie de l’époque, les représentations de voguing se confinaient dans des endroits communautaires, et dans cet entre-soi chacun·e pouvait se sentir en sécurité. Madonna avait rendu hommage à cette discipline dans "Vogue" en 1990, mais plus récemment vous vous souvenez sûrement des performances de Keiona, alias "la queen du voguing en France", lors de la saison 2 de Drag Race France. Sortie en 2018, la série Pose retrace l’épopée de cette danse émancipatrice et communautaire. "Le voguing permet de lancer de vraies discussions : on y parle d'homophobie, de transphobie, de grossophobie, de colorisme, de sexisme et de tout ce qu’il y en dehors des codes. On parle de tous ces sujets non pas avec la bouche mais avec nos corps", argue Vinii Revlon.

La culture ballroom à l'honneur

Pour ce ball historique, le comité de Paris 2024 a contacté Vinii Revlon un an en avance. Honoré par cette demande, Vinii Revlon ne voulait surtout pas travestir l’esprit ballroom. La directrice de la culture, danseuse et chorégraphe Dominique Hervieu a tout de suite tenu à le rassurer : "Peu importe l’endroit, vous restez vous-même." Évidemment, le thème de ce Paris Sports Ball ne pouvait être que le sport : à charge aux participants de préparer les costumes, les mouvements et les postures qui s'en inspirent. "Mais le seul vrai challenge, c'est les quinze minutes de compétition seulement”, s'est inquiété Vinii, car un ball peut normalement durer une journée entière.

Eh oui, ne pensez pas qu’une chorégraphie de “​​Anything I Do” de Banks & Alika sur le jeu vidéo Just Dance suffira à faire de vous une star du voguing ! Il ne s'agit pas que de danse : les artistes répartis en "houses" (les équipes) s'élancent sur un podium à la quête du trophée, le Grand Price, et le jury les juge sur leurs attitudes, leurs costumes, leurs mouvements, etc. Pour le Paris Sports Ball, seules deux catégories avaient été retenues : Runway, dans laquelle il faut y aller à fond dans la gestuelle et l'imagerie du défilé de mode, et Vogue Fem, où les mouvements de danse ont plus d'importance.

Après des semaines de répétitions et d'arrangement de costumes, c’est sous un soleil de plomb que les danseurs se sont affrontés sur le podium du Parc des Champions. “C’est historique, car c’est un ball qui va être vu à l’échelle mondiale. Il y aura peut-être des critiques négatives, mais au moins, ça fera avancer les choses”, se réjouit Skorpio, de la house of Gorgeous Gucci, qui concourait en première catégorie.

"J’espère qu’on a donné une belle image de la communauté et que les gens se sont dit : Wow, les vogueurs c’est incroyable !"

À la fin du troisième jour, les artistes réalisent doucement l’importance de cette séquence. Dans son costume racing et strass jaune et noir rappelant l’équipement des pilotes de BMX, Vivi de la house of Gorgeous Gucci se délecte de sa victoire : gagnante d’un des Grand Price (trophée) en catégorie Runway, elle ne s’était pas préparée à soulever l’encombrant trophée. "C’est vraiment fou de marcher devant autant de monde pour présenter notre culture, souligne-t-elle. J’ai du mal à me rendre compte de ce qu’on vient de faire, et surtout pour la première fois en France. Ça fait peur, mais ça rend fière et ça nous fait avancer ensemble.”

Dans sa tenue de pom-pom girl tout droit sortie d'une série américaine, Giselle Palmer, la "godmother" (figure maternelle) de la house of Revlon, qu'on avait vue au banquet de la cérémonie d'ouverture, a raflé – comme il se doit – deux victoires en Vogue Fem. "Pouvoir marcher sur un événement de cette ampleur, en dehors de la ballroom scene, c’est ouvrir de nouvelles portes à la communauté LGBTQI+, et surtout pour les femmes trans noires comme moi, salue-t-elle. Je suis trop contente et très, très fière. J’espère qu’on a donné une belle image de la communauté et que les gens se sont dit : Wow, les vogueurs c’est incroyable !"

Pour acclamer les danseur·euses, le public queer a largement répondu présent, peut-être juste un peu frustré par ces trois fois quinze minutes. Heureusement, Vinii et la house of Revlon donnent rendez-vous pour un ball dans les règles de l’art le 2 novembre à La Gaîté Lyrique, sur le thème d’Halloween, pour la troisième année consécutive.

À lire aussi : Amours et fiertés LGBT : nos meilleurs moments des JO de Paris 2024

Crédit photo : Maurine Charrier pour têtu·

ballroom | Jeux olympiques | danse | voguing | Paris | sport | news