AidesAurélien Beaucamp de Aides : "Ce que nous défendons sert à toute la société"

Par Adrien Naselli le 03/05/2016
Aurélien Beaucamp Aides

TÊTU continue son tour de France des associations avec AIDES, première asso de lutte contre le sida depuis plus de trente ans. Interview d'Aurélien Beaucamp, son président depuis bientôt un an, à l'heure où la PrEP est légale et remboursée.

 
Pouvez-vous commencer par présenter l’association à nos lecteurs qui ne la connaîtraient pas ?

Nous sommes organisés en tant qu’association communautaire de transformation sociale autour de 450 salariés répartis sur le territoire, épaulés par 1.200 volontaires. Tout ce petit monde se reconnait sous le nom de « militants », qu’ils soient volontaires ou salariés. On préfère ce terme car on n’arrive pas là par hasard : AIDES est composée de personnes qui se sentent concernées par le VIH, qu’elles soient séropositives ou séronégatives. On parle de personnes séroconcernées.

 
Estimez-vous que la lutte contre le sida soit traitée comme une priorité en France dans les politiques de santé publique, en comparaison avec d’autres pays ?

Elle a toujours été une priorité. En revanche elle l’est plus aujourd’hui dans les discours que dans les faits. Je fais partie de cette génération des années 1990 où nous étions matraqués par les discours de prévention. Aujourd’hui, quand on propose des dépistages dans la rue, on est confronté à une méconnaissance incroyable de ce qui se passe. On se dit qu’il y a clairement un recul de la prévention quelque part. Les associations n’ont pas les moyens d’assumer entièrement le rôle de prévention des pouvoirs publics.

 
Pendant cinq années consécutives, en France, il y a eu entre 6.000 et 7.000 découvertes de séropositivité. Les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) représentent 40% de ces personnes.

Il s’agit en effet de la population la plus sensible avec les populations migrantes. Depuis dix ans on est comme sur un plateau, le nombre de découvertes reste le même, un peu plus de 40% de gays chaque année, alors que le chiffre tend à diminuer chez les autres populations. Il y a toutefois une évolution : on remarque aujourd’hui que les contaminations concernent soit des personnes de plus en plus jeunes, soit de plus en plus vieilles. On l’explique de deux façons : un manque de prévention et l’arrivée des trithérapies d’un côté, d’où le sentiment chez une partie des jeunes qu’il ne s’agit plus d’une maladie chronique, et d’un autre côté, chez les plus de 50 ans, peut-être un abandon des outils de prévention. Mais nous ne sommes ni statisticiens ni sociologues…

 
Comment décidez-vous des campagnes de prévention que vous menez chaque année ?

Lors du 1er décembre, journée internationale de lutte contre le SIDA, nous avions l’impression que nos discours et nos messages étaient banalisés. On a décidé de changer notre fusil d’épaule avec ces petits films scénarisés. En juin 2015 on a lancé la campagne « Moi, le SIDA » qui a beaucoup fait parler, et qui était une manière de rappeler que le VIH/SIDA est toujours là. Il faut savoir que nous estimons à 30.000 les personnes séropositives en France qui l’ignorent car elles ne vont pas se faire dépister. Nous tablons sur une communication beaucoup plus interactive, en utilisant les nouveaux canaux et moyens de communication. De même, nous communiquons davantage autour des discriminations que vivent les personnes séropositives au VIH pour montrer la réalité du quotidien.

 
Quelle part l’association a-t-elle pris dans le développement des tests rapides ou de la PrEP ?

Nous partons des besoins des populations concernées puis nous montons un plaidoyer. Nos militants sont formés, et trois personnes à temps plein s’occupent de ces questions. On se démène comme des diables et on inscrit ces revendications à l’agenda politique ainsi qu’auprès de collectifs inter-associatifs. Ce que nous défendons va servir à toute la société. Par exemple, au début des années 1990, distribuer des capotes dans la rue était interdit par la loi. On les distribuait de façon illégale… et la loi a changé. Lors du dernier projet de modernisation du système de santé, on s’est rendu compte que beaucoup de mineurs ne pouvaient pas se faire dépister car ils devaient utiliser la carte vitale de leurs parents. C’est le même mouvement qu’à l’origine de l’association : Aides partait d’une colère, les gens mouraient du SIDA, mais on ne leur disait pas de quoi ils souffraient ! Aujourd’hui, le patient peut en quelque sorte devenir expert de sa pathologie et pas seulement sur le VIH et sur les hépatites !

 
La PrEP, traitement préventif, a été validé par le ministère de la Santé en novembre dernier, juste avant la journée mondiale de lutte contre le SIDA. Depuis combien de temps est-elle utilisé aux Etats-Unis ?

En 2005, il ne s’agissait que d’études scientifiques. À San Francisco, la PrEP est disponible depuis trois ans et il n’y a pas eu une seule contamination chez les personnes qui l’ont utilisée. La France est l’un des seuls pays où la PrEP soit autorisée et remboursée [depuis le 1er janvier 2016, NDLR]. Dans beaucoup d’autres pays, des personnes la prennent de manière sauvage.

 
La PrEP avait été recommandée au ministère « pour les personnes à haut risque » : les HSH, les travailleur(euse)s du sexe, les consommateur(trice)s de drogues injectables. La PrEP ne pourrait-elle pas être utilisée par tout un chacun ?

La capote n’a pas éradiqué l’épidémie du VIH/SIDA, elle l’a contrôlée… il faut trouver de nouvelles logiques pour que les populations puissent avoir un autre choix possible. Mais attention ! Cela ne veut pas dire que tout le monde va être sous PrEP demain, car cela nécessite un suivi médical et un accompagnement poussés ! C’est dans ce cadre que nous allons ouvrir le premier Centre européen communautaire, le SPOT, un centre où les HSH pourront venir se faire dépister pour le VIH, les hépatites, les IST. Il y aura aussi des consultations en sexologie et en addictologie, nous proposerons la PrEP avec toujours l’approche communautaire gérée par les militants de l’association. Ainsi un gay qui viendra au SPOT pourra échanger avec un « pair » qui comprend parfaitement ses problématiques.

 
Comment nos lecteurs peuvent ils s’investir auprès de Aides ?

Toutes les informations figurent sur notre site aides.org et surtout, il ne faut pas hésiter à venir nous voir dans le cadre de nos actions ! Cela nous fait toujours plaisir, et c’est souvent comme ça que naît l’envie de s’engager.