Le 25 septembre 1984, le sociologue Daniel Defert écrit une lettre posant les jalons de l'association Aides, lançant ainsi la lutte contre le VIH/sida en France. Pour cet anniversaire, nous en republions le texte intégral, également paru dans notre dossier spécial "40 ans de lutte contre le VIH/sida" du têtu· du printemps.
"Je ne retournerai pas mourir chez maman." Le 25 juin 1984, le philosophe Michel Foucault meurt du sida. En plein deuil, son compagnon, le sociologue Daniel Defert (décédé en 2023), s’insurge contre l’inconsistance du corps médical face à l’épidémie – dont le virus responsable a été découvert en France un an auparavant – et propose dans une lettre à plusieurs amis de créer une association, qui devient, peu de temps après, Aides. En voici le texte intégral.
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“C’est la première mouture d’un projet d’association, qu’il s’agit d’amender mais je tiens aux grands axes. J’ai passé du temps activement à Londres auprès du Terrence Higgins Trust, lui-même inspiré par l’exemple de Gay Men’s Health Crisis des États-Unis. Je pars de leurs réalisations. Avant de les rencontrer je savais déjà que la question du sida ne pouvait pas être plus longtemps confinée comme question médicale.
Crise du comportement sexuel pour la communauté gaie, le sida prend de plein fouet majoritairement une population dont la culture s’est récemment édifiée autour de valeurs gymniques, de santé, jeunesse perpétuée. Nous avons à affronter et institutionnaliser notre rapport à la maladie, l’invalidité et la mort.
La communauté sera bientôt la population la plus informée des problèmes immunitaires, la plus alertée sur la sémiologie du sida et les médecins confinent encore leurs scrupules déontologiques à taire ou non la chose au malade. C’est dépassé et les gais n’ont pas pris la mesure des conséquences morales, sociales et légales pour eux.
La libération des pratiques sexuelles n’est pas l’alpha et l’oméga de notre identité. Il y a urgence à penser nos formes d’affection jusqu’à la mort, ce que les hétéros ont institutionnalisé depuis longtemps. Je ne retournerai pas mourir chez maman. Nous risquons de nous laisser voler une part essentielle de nos engagements affectifs. Défamiliarisons notre mort comme notre sexualité. Les mouvements gais n’offrent que des alternatives sexuelles : la masturbation comme nouvelle ressource de l’imagination.
Il y a d’autres intensifications affectives à promouvoir au sein de la culture gaie, je dis que c’est un problème culturel donc il y a des aspects psychologiques, matériels et légaux. Il faut les aborder de front. C’est mieux que la panique ou la moralisation.
Face à une urgence médicale certaine et une crise morale qui est une crise d’identité, je propose un lieu de réflexion, de solidarité et de transformation, voulons-nous le créer ?”
>> Pour les 40 ans de sa création, l'association créée par Daniel Defert organise le 16 octobre 2024 un colloque "AIDES : 40 ans de combat au prisme des sciences sociales" au PariSanté Campus.
Crédit photo : Yann Morrison pour têtu·