Marche des fiertésMa Trudeaulovestory de l’été : amour, pétrole et pinkwashing ?

Par Cy Lecerf-Maulpoix le 09/09/2016
pinkwashing,Trudeau

La love story de l'été avec Justin Trudeau n'a pas épargné Cy Lecerf-Maulpoix. Mais leur lune de miel était si idyllique qu'il en a conçu des soupçons. Jusqu'à ce qu'il commence à fouiller dans les affaires de Justin...

Cet été, alors que que le sort des Marches des fiertés françaises après la fusillade d’Orlando paraissait suspendu aux questions de sécurité intérieure, la présence de personnalités politiques aux différentes Pride à l’étranger est devenue, sinon politique, du moins éminemment symbolique. Outre la rapide apparition d’Hillary Clinton à celle de New York (que les mauvaises langues eurent vite fait de justifier par les échéances électorales américaines), Justin Trudeau, le nouveau et flamboyant Premier ministre canadien (successeur du très conservateur Stephen Harper) qui lui s’y rend depuis plusieurs années, nous offrait de belles images d'Épinal capables de remonter notre moral un peu miné par les tragédies récentes.
Premier dirigeant canadien à se rendre à une Marche des fiertés, il fut ainsi possible de l’admirer tout sourire à Toronto (sur Instagram notamment) vêtu d’une chemise délicatement entrouverte au rose pastel d’une discrétion pleine d’intelligence ou encore en papa sexy avec femme, enfant et poussette à Vancouver.
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La séduction physique de ce dernier mise à part, il était difficile de ne pas s’émouvoir de ce soutien surtout lorsqu’en France, vis-à-vis de la population LGBT+, les rares déclarations de la classe politique avaient été pour la plupart si maladroites.
Justin Trudeau s’affirme en effet depuis plusieurs années comme l’une des personnalités politiques les plus visiblement progressistes en matière de reconnaissance des droits de la communauté LGBT+ et des minorités. Sa popularité qui n’a pas faibli depuis son élection lui vaut déjà le nom de «nouvel Obama» (ou plus récemment le surnom affectueux (?) de «Little Potato» lors de sa visite en Chine pour le G20). Parité hommes-femmes, nomination de quatre LGBT au sein du gouvernement, constitution d’une commission d’enquête sur les meurtres des femmes autochtones, déclarations sur la reconnaissance des peuples amérindiens, l’accueil des réfugiés et la protection de l’environnement, il semblait bien difficile de ne pas succomber à tant d’humanisme et de bonne volonté.

Trudeau mon héros (?)

Cet été, j’avais donc décidé d’embrasser son libéralisme sexy de près, embarqué que j’étais dans cette lune de miel continuelle qu’il me promettait au rythme de la déclinaison pastel de ses chemises aux différentes Pride canadiennes. Je décidais presque de ne pas le rendre responsable de la polémique plus discrète, et certainement moins médiatisée que ses chemises, née de l’interdiction par les autorités canadiennes de recevoir des centaines de personnes et militant.e.s pour le grand Forum Social Mondial de Montréal où se retrouvent de nombreuses associations (comprenant des organisations LGBT+ notamment). Au sein de cette liste de refusé.e.s se trouvaient par exemple l’ex-ministre de la culture et militante altermondialiste malienne Aminata Traoré ou encore six parlementaires du Népal, de Colombie ou de Palestine.
Alors que je tentais en amoureux aveuglément compréhensif de me plonger dans des considérations purement physiques en me focalisant sur le rose légèrement humide de sa chemise à Toronto et de ses photos shirtless à la plage, il me fut difficile de faire taire la voix de l’auteure et activiste reconnue Naomi Klein accusant tous les beaux discours humanistes et environnementaux de mon Justin de rester lettre morte.
Je remontais alors progressivement le fil des informations sur internet cherchant par tous les moyens à l’absoudre de ces accusations excessives. Je finis par tomber sur une publicité très polémique remarquée cet été, qui n’avait a priori rien à voir avec lui. Elle émanait d’un groupe pro-pétrole canadien qui semblait lui aussi très préoccupé par les droits LGBT+, «the Canada Oil Sands Company». Cette publicité représentait un couple lesbien, physiquement très proche de Piper et Alex d’Orange is the New Black assorti du commentaire «Au Canada, les lesbiennes sont considérées comme sexy, en Arabie Saoudite, elles meurent!».
Justin Trudeau Hillary Clinton
Cette proposition dont la logique, le sexisme et la pauvreté visuelle prêtaient plus à rire qu’à s’offusquer avaient néanmoins le mérite d’illustrer avec éclat le phénomène relativement récent que l’on qualifie de pinkwashing, soit l’utilisation des enjeux LGBT+ pour promouvoir l’éthique prétendue d’une entreprise, d’un gouvernement, d’un mode de vie tout en cherchant à dissimuler une logique de domination, d’expansion politique ou de développement économique.
Toutes ces considérations me paraissaient cependant bien éloignées de mon Justin, qui lui savait s’entendre discrètement avec l’Arabie Saoudite, notamment lorsqu’il fallait valider une énième vente d’armes décidée par son prédécesseur, quand bien-même leur politique en matière de droits humains (et pas seulement LGBT) et d’expansion ne mérite plus véritablement d’illustration.
De même, parce que je l’avais vu, avec une emphase très charismatique, prendre la parole sur le réchauffement climatique et la nécessité d’une transition écologique, je ne pouvais me résoudre à le considérer comme un pro-pétrole.
Je fus en effet soulagé de ne trouver aucune déclaration de sa part qui soutenait explicitement les récents scandales environnementaux dus aux fuites de pipelines, aux destructions d’espaces préservés et habités par les populations amérindiennes et locales qu’il défendait si ardemment dans les médias. De même, je ne le voyais pas valider la construction du nouveau pipeline Energie Est porté par l’entreprise TransCanada, la même compagnie qui s’était d’ailleurs vue refuser la construction du pipeline Keystone XL par Obama cette année. Cela aurait été mal vu, clairement moins apprécié que son photobombing sexy sur une plage cet été, d’autant plus qu’au même moment, aux Etats-Unis, de nombreuses tribus amérindiennes, de fermiers et d’organisations locales se préparaient à se battre contre la construction d’un autre pipeline en Dakota du Sud sur leur territoire.
Et pourtant, en relisant la critique ouverte de certains militants et notamment de l’activiste Naomi Klein, je ne le voyais pas non plus s’y opposer ouvertement. Je découvrais au contraire des petites phrases, ces fameuses petites phrases politiciennes dont nous sommes si habitués en France, notamment celle prononcée à Vancouver en mars dernier «Le choix entre les pipelines et les énergies éoliennes est un faux choix» ou encore « la croissance économique doit être compatible avec la transition écologique » insinuant par là qu’il ne s’agissait quand même pas non plus de trancher en défaveur de la construction  d’un pipeline, pourtant véritable aberration écologique, au regard des retombées économiques liées à l’importation des produits pétroliers.

"Heureusement que nous étions là, ses chers LGBT+"

Je compris alors que plus qu’un mari ou un fiancé en couple exclusif, Justin avait quelque chose de l’amant de l’été trop populaire qui se devait de satisfaire une cour (trop) nombreuse.
Sans doute était-ce une bien délicate position que de promettre beaucoup et de se voir pressurisé de chaque côté par ses diverses conquêtes. D’un côté, par exemple, l’assemblée de ses amis des communautés amérindiennes du Québec et du Labrador qui s’était prononcée comme étant formellement opposée au projet, de l’autre la gigantesque compagnie pétrolière TransCanada générant encore des millions sur le développement d’énergies sales. Heureusement donc que nous étions là, ses chers LGBT+ pour le laisser souffler un peu et le réconforter.
Alors que je le voyais il y a quelques jours délaisser sa tenue vacancière pour retrouver le casual chic d’une chemise cravate au G20 afin de promouvoir un nouveau modèle canadien, sorte de libéralisme éclairé faisant rayonner ses lumières anti-dépression sur la communauté internationale, je ne pus m’empêcher, m’attardant nostalgique sur le pastel si séduisant de sa chemise rose (qu’un site québécois me promettait pour une somme assez modique) de me demander par conséquent dans quelle mesure cette chemise rose, bien nettoyée et, on l’espère, repassée par ses soins, ne comportait pas l’avantage médiatique de faire oublier toutes les autres chemises qu’il avait bien du mal à garder propre. De la pinkshirt au pinkwashing, il n’y a qu’un pas…
 

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