Christiane TaubiraNKM pour TÊTU : "Dans le fond, j'aurais pu voter le mariage pour tous"

Par Adrien Naselli le 07/11/2016
Nathalie Kosciusko-Morizet,NKM

Nathalie Kosciusko-Morizet fait partie des sept candidats à la primaire de la droite qui aura lieu le 20 novembre prochain. TÊTU l'a rencontrée pour connaître son programme sur les droits LGBT.

 
TÊTU | Vous êtes la seule candidate de la primaire de la droite à être favorable à la PMA (Procréation médicalement assistée) pour les couples de femmes. Son retrait du projet de loi « mariage pour tous » est l’un des principaux griefs des associations LGBT à l’encontre de François Hollande. Au moment du vote, vous étiez pourtant opposée à la PMA puis vous avez expliqué avoir changé d’avis dans votre livre, Nous avons changé de monde, qui a paru en mars dernier. Quel a été votre cheminement ?
Nathalie Kosciusko-Morizet | Quand mon livre est sorti, je pensais qu'il y aurait plus de réactions sur ce point, et en fait pas tellement. La société a beaucoup évolué sur ces questions. De mon côté, j’ai réfléchi aux principes qui doivent fonder une attitude politique. Vous pouvez avoir un point de vue personnel sur les choses, mais quand vous faites de la politique, vous devez travailler à un cadre pour tout le monde. On ne peut pas se laisser aller à son sentiment ou à ses expériences personnelles. A l'issue de cette réflexion, j’ai décidé de m'en tenir au principe de la non-disponibilité du corps humain. C’est le même principe qui, je pense, a traversé tout le débat pour l’IVG dans les années 1970. C’est mon corps, c’est mon choix, avant d’être celui d’éventuels pairs et de la société. Sur la PMA et la GPA (Gestation pour autrui), c’est ce principe qui doit nous guider, et qui fonde deux positions très différentes : je ne vois pas au nom de quoi on refuserait la PMA à des couples de femmes, et d’une certaine manière je comprends mieux, sans la partager, la position de ceux qui la refusent aussi aux hétérosexuels. A partir du moment où on l’accepte pour des couples hétéros, je ne vois pas pourquoi on la refuserait à des couples de femmes en sachant que par ailleurs on leur permet l’adoption. Pour la GPA, c’est différent, car cela met en cause le corps d’un autre, avec le risque d’instrumentalisation qui est lié à la dépendance économique.
Vous dites avoir changé d’avis sur la PMA par le biais de rencontres et de discussions. Plusieurs personnes ont aussi changé d’avis sur la GPA. Je pense par exemple à la sociologue Irène Théry qui, après avoir été très hostile à son sujet, défend aujourd’hui une « GPA éthique » après avoir mené une étude sur les mères porteuses dans de nombreux pays. Si vous discutiez encore, vous pourriez peut-être changer d’avis ?
C’est effectivement à la suite de discussions avec les personnes concernées que je me suis dit que la PMA était légitime. Et que l'équation actuelle était bancale. Sur la GPA, je connais des gens qui y ont eu recours et j’apprécie les travaux d’Irène Théry mais je ne trouve pas cela pour autant acceptable. J'évoquais la dépendance économique. On n'a jamais vu une femme riche porter l'enfant d'une femme pauvre.
Reconnaissez-vous que la Manif pour tous ment quand elle prétend qu’il s’agit d’une revendication majoritaire de « la communauté LGBT » ?
Ce n’est pas une revendication majoritaire mais c’est une pratique qui existe, de la part de gens qui en ont les moyens. Et nous autres, politiques, nous sommes de toute manière amenés à nous intéresser à la GPA puisqu’il y a la question de la régularisation des enfants nés par GPA à l’étranger. C’est une réalité. Je pense que sur les sujets de société, il faut prendre beaucoup de temps. C’est l’une des critiques que j’adresse au gouvernement actuel. Sur la loi Taubira, ils ont cherché le clivage politique plutôt que la voie d’un accord. Pour moi, la bonne méthode, c’est celle que nous avions utilisée pour la loi Leonetti [sur les droits des malades et la fin de vie, promulguée en 2005, ndlr]. Nous avons d’abord fait travailler les parlementaires loin des caméras. Des parlementaires qui, bien souvent, avaient une sensibilité, une expérience, un intérêt pour le sujet et avaient été choisis pour cela. Il aurait fallu travailler en neutralisant le sujet au regard de la politique.
Voulez-vous dire que la gauche a utilisé cette loi pour faire une loi de gauche ?
Oui. Pour faire un symbole. Mais la droite a un tort : elle a prêté le flanc en promettant l’union civile en 2007 et en ne tenant pas cette promesse. La gauche a en tout cas voulu en tirer un avantage politique, or sur les sujets de société il faut chercher à dépasser le clivage.
Comment regardez-vous, avec le recul, l’acharnement de certains membres de votre famille politique pendant les débats ? Aviez-vous conscience que la parole et les actes homophobes se sont répandus à cause du climat politique installé notamment par la droite ?
Je regrette qu’il y ait eu un tel clivage, une telle bataille, mais je pense qu’il y a plusieurs responsables. La gauche a cherché le clivage, la droite s’y est engouffrée. Au moment des manifestations, je pensais à ces familles dans lesquels des jeunes n’auraient pas fait leur coming-out et verraient défiler leurs parents. Je pense qu’on a alors aggravé certains problèmes. Les jeunes concernés par des questionnements sur leur orientation sexuelle, qui grandissent dans une famille très traditionnelle, et qui voient leurs parents militer à la Manif pour tous, notamment, auraient mérité un débat plus apaisé. Ils auraient mérité un échange d’arguments autres que : « Si tu es de gauche tu es pour, si tu es de droite tu es contre ».
Pourquoi les sujets de société sont-ils répartis de manière si caricaturale entre la gauche et la droite en France ? Pensez-vous incarner une autre manière de faire ?
La droite a su incarner le progrès sur les sujet societaux par le passé en autorisant l'IVG, en instaurant la majorité à 18 ans, en établissant le divorce par consentement mutuel. Il faut renouer avec cet héritage. Aujourd'hui, le monde est en pleine transformation mais la politique reste figée, et c’est un point de crispation majeur. Notre pays vit de manière plus profonde que les autres ce divorce entre société et politique. Lors du débat de jeudi dernier [sur iTélé, ndlr], certains de mes concurrents utilisaient beaucoup des arguments d’autorité à l’instar de Nicolas Sarkozy qui n’a cessé de rappeler qu’il avait déjà été président. Alors il faudrait avoir été, pour être ? Ce sont des arguments des années 1970. Regardez le monde du travail : par le passé, on cherchait les recommandations du patron ; aujourd’hui, on veut l’assentiment de ses pairs. Pour la culture, avant, vous aviez vos critiques de cinéma ; aujourd’hui vous allez sur Facebook, et vous regardez ce que recommandent vos amis. On était dans un monde où l’on recherchait la hiérarchie. C’était un monde de pouvoir. Aujourd’hui, il est plutôt question d’autorité. Ou encore de puissance. Ce ne sont pas les mêmes fonctionnements. Quand j’étais à l’armée, certains montraient les gallons sur leur épaule en lançant : "Si tu sais pas lire, tu sais au moins compter!". Certains politiques sont restés là-dedans. Mais la société, elle, est ailleurs.
Les députés Franck Riester et Benoist Apparu ont été les seuls à voter le mariage pour tous à droite. Vous avez choisi de vous abstenir comme quatre autres de vos collègues, dont votre concurrent à la primaire de la droite, Bruno Le Maire. Vous justifiiez alors votre choix en expliquant que vous ne vouliez ni autoriser la PMA et la GPA, ni refuser à des couples de même sexe de s’unir. Trois ans plus tard, regrettez-vous ce vote ?
Sur le fond, j’aurais pu voter le texte, et je ne souhaite absolument pas qu’on revienne sur cette loi. Le problème que j’ai eu à ce moment-là concerne la pratique politique clivante qui a été celle de la majorité. C’était une vraie difficulté pour des gens comme moi qui, dans le fond, étions favorables au mariage. Mais plusieurs ministres en faisaient des marqueurs politiques, comme Christiane Taubira. Nous avons été otages de cela et je peux vous garantir que s’abstenir n’était déjà pas évident.
Admirez-vous le travail de Christiane Taubira ?
Il est très difficile d'avoir de l'admiration pour quelqu'un qui a à ce point détruit la politique pénale en France et a stoppé de façon idéologique la construction nécessaire de prisons, au point que le gouvernement en fin de mandat constate qu'il faille la relancer d'urgence. Ceci dit, je pense qu’elle a beaucoup de tempérament, et qu’elle est une femme politique de talent. Mais je ne suis pas sûre que la Chancellerie ait été le bon ministère pour elle.
Sur le mariage pour tous, Nicolas Sarkozy a changé quatre fois d’avis entre 2007 et aujourd’hui. Il a déclaré devant les militants de Sens commun qu’il pourrait abroger la loi, puis il est revenu sur cette idée dans son livre. Ne seriez-vous pas plus proche de Bruno Le Maire sur les sujets de société ?
J’ai des positions très ouvertes sur les sujets de société, plus que mes concurrents y compris ceux que vous citez. C’est à la fois à la suite de réflexions personnelles mais il y a aussi une question de cohérence. Je ne comprends pas mes collègues qui sont de plus en plus libéraux sur les questions économiques et dans le même temps de plus en plus conservateurs sur les questions de société.
Dans votre livre, vous parlez à ce titre d’une « société à la chinoise ».
Oui ! Vous prônez une économie de marché, vous considérez que le libéralisme permet d’atteindre des objectifs de création de richesse, en revanche dès qu’il s’agit du particulier, on n’y touche plus. C’est une forme d'unijambisme du libéralisme. Le plus caricatural en la matière, c’est François Fillon : très libéral sur les questions économiques, et très conservateur sur les questions de société. C’est un réel paradoxe.
Depuis 2010, en particulier, des sociologues analysent la stratégie de l’extrême droite pour séduire l’électorat LGBT. Il faut dire que Marine Le Pen s’est beaucoup moins mêlée que votre groupe politique du mariage pour tous ; elle n’a par exemple pas participé aux manifestations…
Comme vous dites, elle capte car elle parle peu. Mais regardez ce que dit Marion-Maréchal Le Pen. C’est toute l’ambiguïté des positions du FN aujourd’hui. Marine Le Pen fait la gentille sur les sujets de société pendant que sa nièce fait le tour de toutes les universités d’été intégristes pour développer des points de vue radicalement différents. Or elles marchent main dans la main à la tête du parti. Il y a le jeu du gentil et du méchant pour capter toujours plus large.
L’extrême droite a aussi utilisé le contexte de l’attentat d’Orlando pour accuser l’islam. Pensez-vous que les minorités sexuelles soient une potentielle cible ? Par ailleurs demain auront lieu les élections américaines, pensez-vous que Donald Trump soit un candidat dangereux sur les questions de société ?
Donald Trump est un candidat dangereux sur tout, donc la question est résolue. Pour protéger les minorités, il est évident qu’il faut prendre des mesures de sécurité. En France, on rechigne à reconnaitre qu’une minorité est spécifiquement visée. Ce n’est en l’occurrence pas spécifique à la communauté gay. Souvenez-vous de l’affaire Ilan Halimi [en 2006, ndlr] : le pouvoir a eu énormément de mal à reconnaître qu’il avait été assassiné parce qu’il était juif. Orlando, il est évident qu’il s’agissait d’un attentat homophobe. En France, la force de la République est d’être Une et indivisible ; mais quand il y a menaces spécifiques, il faut des mesures de sécurité spécifiques.
Comment percevez-vous le fait d’être la seule femme candidate à la primaire ? Lors du débat de jeudi, tous vos concurrents ont annoncé vouloir créer un gouvernement paritaire or elle est aujourd’hui loin d’être respectée quand on vous voit seule au milieu de six hommes.
Ils me font doucement rigoler : « Je serais tout à fait à l’aise s’il y a des femmes dans mon gouvernement », a-t-on entendu. Formidable ! Et dans la cuisine et la chambre à coucher ?
Le collectif Les Glorieuses a appelé les femmes à cesser de travailler aujourd’hui à 16h34 [en ramenant les salaires sur une année, les femmes commenceraient en moyenne à travailler bénévolement aujourd’hui jusqu’au 31 décembre, ndlr] pour protester contre les écarts de salaire. Pourquoi ne vous arrêteriez-vous pas de travailler aussi ?
Je soutiens ce mouvement. Mais je suis un porte-voix, et ce serait paradoxal de l'éteindre, justement au moment où nous sommes lancés dans une camapgne d'explication sur ce sujet ! L'inégalité salariale en France est un scandale. Même à diplôme équivalent et à responsabilité équivalente, il reste 16% d’écart inexplicable dans les salaires des hommes et des femmes. 16% c’est un mois et demi de boulot dans l’année ! Pendant un mois et demi, on travaille pour le roi de Prusse. C’est inacceptable. La société française a beaucoup de mal à bouger sur ces sujets et je crains qu’elle ne subisse un mouvement régressif en ce moment. Un rapport de l’UNESCO paru il y a deux semaines marque une régression de la place des femmes au niveau mondial. Je sens qu’en France, il y a un vrai questionnement sur la place des femmes, que ce soit dans les milieux marqués par la dérive islamiste, que ce soit dans les milieux populaires qui vivent sous pression économique, ou que ce soit dans les milieux plus sophistiqués où l’on assiste à un retour du religieux qui emporte parfois des conséquences sur le regard porté sur les femmes.
Établissez-vous un lien entre les droits des femmes et les droits des minorités sexuelles ?
Tous les opprimés sont liés. L’Histoire est faite comme ça. Je ne vais pas entrer dans une analyse marxiste de la société mais nous subissons des systèmes de cooptation entre des gens qui se ressemblent et qui ont tendance à tenir à l’écart tous ceux qui, de leur point de vue, représentent une diversité. Je m’insurge contre l’idée que les femmes soient une diversité et une mode. Nous ne sommes pas à la mode, nous ne sommes pas une diversité, nous sommes la moitié de l’humanité.

Nathalie Kosciusko-Morizet, vendredi 4 novembre 2016. Photo : Adrien Naselli
Nathalie Kosciusko-Morizet, vendredi 4 novembre 2016. Photo : Adrien Naselli

 
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Crédit photo couverture Nathalie Kosciusko-Morizet/ Flickr