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chemsexChemsex : ne pas juger pour mieux aider, et autres solutions contre l’addiction

Par Jérémy Patinier le 15/11/2017
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Le chemsex est une spirale. De la recherche effrénée du plaisir à l’accumulation des prises de risque, il n’y a souvent qu’une bonne occasion. Sauf que depuis plus d’un an, les cas d’overdose dans la communauté gay s’additionnent. Les associations de lutte contre le sida et de santé gay s’organisent pour éviter que ce phénomène ne détruise une partie d’entre nous.

Cet article est extrait du numéro 216 de TÊTU, disponible exclusivement en version numérique.

La commercialisation à bas coût sur internet de nouvelles drogues de synthèse a ouvert pour certains gays une ère de consommation où tout est plus facile. Souvent dans le cadre de marathons sexuels, à deux ou en groupe, facilités par les applis de drague : c’est le chemsex (pour chemical sex), l’alliance du sexe et des « produits ». GHB, méthamphétamines ou cathinones, qu’on sniffe, avale ou prend en intraveineuse (on appelle ça le slam), procurent un plaisir sexuel plus important et plus intense. Mais aident aussi à régler un problème d’estime de soi et d’angoisse de la performance…

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C’est un appel de détresse que lançait Aurélien Beaucamp, le président de l’association AIDES, à la mi-juin dans Libération : "Les situations de décrochage social et d’overdoses liées à cet usage de drogues se sont accrues ces dernières années, illustrées par les annonces fréquentes de perte de travail ou de décès aussi soudains que prématurés. Il s’agit bel et bien d’une crise sanitaire." Sur les 24 morts par overdose toutes drogues confondues recensées par la brigade des stupéfiants en 2016, au moins un quart l’ont été en contexte sexuel. La culture de l’injection se répand, les drogues sont plus addictives… Ce qui inquiète aussi, c’est que le chemsex participe au maintien de la dynamique de l’épidémie de VIH et à l’augmentation des infections au VHC (hépatite C), notamment dans la population homosexuelle.

Réduction des risques

L’usage de produits, qu’il soit en contexte sexuel ou festif, n’est pas une nouveauté. Il est représenté dans la culture gay comme dans la littérature scientifique depuis les années 70. Dans une tribune parue en janvier dernier, un groupe informel, composé de militants associatifs, de journalistes et d’activistes (Erik Kaktus, Tim Joanny Madesclaire, Fred Bladou) appelait d’abord à ne pas juger les usagers : "Le clubbing gay, l’Xta, la pilule de l’amour, la MDMA, les afters sex, les after parties d’after party ont toujours fait partie intégrante d’une expression de liberté qui échappe aux diktats hétéro-normatifs (…) Le sida, vos lois, votre morale, ne peuvent nous priver de ce qui nous appartient réellement : le cul et la fête et l’amour et l’amitié qui en sont le produit, aussi (….) Notre liberté sexuelle est une arme contre l’oppression, la drogue est son carburant. Il ne s’agit pas pour autant de faire de l’angélisme et du prosélytisme en réaction à la stigmatisation faite à l’usage de produits. Les pédales de la morale qui condamnent les usagers, les consommations, les pratiques ont probablement leur part de responsabilité porter dans l’émergence de l’isolement de certains d’entre nous. Ces nouvelles pratiques, ces nouveaux usages combinés à de nouvelles substances doivent interpeller la communauté et la prévention globale (...) doit devenir un objectif communautaire."

À la suite de nombreux signaux d’alarme, tant personnels sur les réseaux qu’associatifs sur le terrain, des actions se sont mises en place pour essayer d’aider ceux qui se débattent avec le double tabou de la sexualité et de la consommation de drogues à usage récréatif. Cyril Martin dirige l’antenne nîmoise de AIDES : "D’habitude on rencontre des gays dans les saunas ou les lieux de rencontre. Mais une personne qui organise aussi des partouzes nous a contactés. On lui a proposé d’intervenir sur ces soirées-là. Tous les 15 jours, entre 30 et 90 personnes y participent. Les gens viennent de Lyon, de Marseille… On s’installe en début de soirée dans un coin et on laisse les personnes venir à nous, mais on n’arrête pas, entre le dépistage, la discussion, la distribution des outils (« Roule ta paille », kits d’injection…). On fait aussi de l’accompagnement à l’injection pour réduire les risques et éviter que les personnes se charcutent. Nous avons eu une discussion intéressante avec une personne qui venait trouver des partenaires dans la soirée pour avoir une pratique plus « safe » du chemsex à la maison. Mais dans la plupart des cas, la difficulté est de prendre conscience de son addiction, d’où l’importance de la présence communautaire qui fait le lien vers les professionnels de santé en addictologie ou sexothérapie si besoin. Car parfois on est dans une addiction à la drogue autant qu’au sexe..."

Groupes de soutien

Au Spot Beaumarchais à Paris (un accueil spécialisé dans la santé et le sexe gay), le groupe « Chillout Chemsex » réunit tous les mardis une douzaine de garçons pour échanger librement sur la sexualité, les produits, les descentes, le plaisir, la réduction des risques, etc. Stephan Vernhes, 44 ans, responsable du centre de santé sexuelle, a organisé 29 soirées depuis un an et reçu plus de 100 personnes. Il nous explique ce qui a changé récemment : "Les cathinones et le GHB sont très addictifs, et aussi très facilement accessibles par les plus jeunes ou ceux qui ont moins de moyens car ils sont moins chers que la cocaïne ou le crystal. Mais beaucoup de personnes ont du mal à consommer "correctement", ce qui entraîne des situations compliquées. Les soirées se transforment en marathons de 12 à 24h, et il est très difficile de s’en remettre le lundi sans que ça ait de conséquences sur la vie sociale. Dans nos soirées, les profils sont très différents : des garçons en recherche de trucs pour réduire les risques, certains en manque de soutien. Beaucoup témoignent d’un engrenage très rapide dans l’addiction : on passe du festif à une bulle pour s’échapper d’une vie de solitude, on fuit le stress et la dureté des applis excluantes… En confiance, ils retrouvent un espace sécurisé d’échange avec des garçons comme eux, de 22 à 61 ans. On fait venir des spécialistes avec qui ils échangent sur le VIH, comment mieux s’injecter, une sophrologue pour apprendre à régler des moments difficiles… Mais aussi retrouver du plaisir dans une sexualité sans drogue."

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D'autres solutions se sont mises en place face à la demande et l'urgence. À Paris, le Chekpoint propose des kits de réduction des risques et des consultations psy et addicto. La permanence de AIDES située aux Halles, chaque jeudi à partir de 19h, tient un groupe d’auto-support à destination des gays usagers de drogues. Toutes les associations envisagent d’accélérer l’accompagnement, à travers de nouveaux rendez-vous et modes d’information, avec l’espoir de toucher les jeunes qui échappent aux circuits de prévention habituels (bars, saunas, bordels…). Pour Aurélien Beaucamp, « il ne s’agit ni d’être manichéen ni de faire preuve d’angélisme. Il faut une vision pragmatique sans exclusion, appels alarmistes ni jugements. Considérer nos pairs comme irresponsables est délétère. Cette crise sanitaire nous impose de revoir le traitement de ces consommations par la communauté, les autorités de santé, le législateur. L’importance de l’usage de produits psychoactifs en France illustre l’échec de la politique répressive mise en place depuis les années 70. Les possibilités de prise en charge sont cruellement insuffisantes. Les addictologues, comme les acteurs de la réduction de risques, sont trop peu nombreux et relativement désarmés », conclut-il.

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En attendant, AIDES a mis en place une hotline sur le web et par téléphone. Cette plateforme d’urgence doublée d’une ligne d’appel 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, est gérée par trois militants formés au dépistage et à la prévention. Si vous ou l’un de vos proches êtes concernés, il existe :

- Une service de messagerie anonyme via l’application WhatsApp : 07 62 93 22 29
- Un numéro d’appel d’urgence : 01 77 93 97 77
- Un groupe fermé sur Facebook dédié au Chemsex : Info Chemsex (tenu par AIDES)