Comment appréhender le phénomène du sexe sous drogue, comprendre ses usagers, et plus globalement, penser le mal-être de certains dans la communauté LGBTQI et dans la société dans son ensemble ?
Dans la novlangue gay, le chemsex est de plus en plus inscrit au frontispice des profils sur les sites de rencontre, et plus encore des préoccupations d'assos de lutte contre le VIH et contre les dépendances. Chemsex = substances chimiques pendant et pour les relations sexuelles. La multiplication – non quantifiable – des cas de morts par overdose lors de sex parties ou de soirées clubbing pose question.
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Les décès s’enchaînent presque aussi vite que les messages Facebook évoquant des situations de mal-être, des dépressions, des tentatives de suicide ou autres burn-out en série. Des convergences ou des signes communs sont apparus : problèmes d’image de soi, difficultés financières, sentiment de solitude, et usage de produits... Il semble qu’un phénomène d’accélération s’opère, et que le chemsex soit pour certains une réponse, une aide, avant de devenir une mise en danger.
Le chemsex, "nouvelle hydre" gay
Après de nombreux signaux d’alarme, personnels sur les réseaux ou venus d'associatifs sur le terrain, des actions commencent à émerger pour tenter de lever ce qui mêle deux tabous : sexualité et consommation de drogues à usage récréatif. Un groupe informel, composé de militants associatifs, de journalistes et d’activistes (Erik Kaktus, Tim Joanny Madesclaire, Fred Bladou) a contribué sur le sujet lors des Etats Généraux LGBTQI d’Ile de France, fin janvier : "Une nouvelle hydre a recouvert nos communautés, qui symbolise ses mal-êtres : le chemsex, qui mélange en une recette vénéneuse sexe extrême, usage de produits et nouveaux modes de socialisation. Sans surprise, cela est apparu comme un coupable désigné bien confortable pour expliquer ces problématiques".
L’usage de produits, qu’il soit en contexte sexuel ou festif, n’est vraiment pas nouveau. Il est décrit par la culture gay comme dans la littérature scientifique depuis les années 70, rappellent-ils : "Le clubbing gay, l’Xta, la pilule de l’amour, la MDMA, les afters sex, les afters party d’after party ont toujours fait partie intégrante d’une expression de liberté qui échappe aux diktats hétéro-normatifs, mais aussi aux initiatives plus bienveillantes d’autosupport et d’accompagnement. Le sida, vos lois, votre morale, votre religion ou le sida dans notre communauté ne peuvent nous priver de ce qui nous appartient réellement : le cul et la fête et l’amour et l’amitié qui en sont le produit, aussi. (…) Notre liberté sexuelle est une arme contre l’oppression, la drogue est son carburant. Il ne s’agit pas pour autant de faire de l’angélisme et du prosélytisme en réaction à la stigmatisation faite à l’usage de produits. Les pédales de la morale qui condamnent les usagers, les consommations, les pratiques ont probablement leur part de responsabilité à porter dans l’émergence de l’isolement de certains d’entre nous. Ces nouvelles pratiques, ces nouveaux usages combinés à de nouvelles substances doivent interpeller la communauté et la prévention globale (à l’usage ou au mésusage de produit, sexuelle) doit devenir un objectif communautaire".
"Le mode gay d’expression de phénomènes sociaux plus larges"
Le constat est alarmant, et les pistes de réflexion émergent... On est dans l’urgence et dans l’effroi. La tribune pose un contexte de compréhension global du phénomène, interroge la société dans son ensemble : "Impossible dans ce contexte de faire l’impasse sur un sujet plus global, qui est de l’ordre du climat ambiant dans lequel nous évoluons tous. Le « désir normatif » qui a émergé dans la communauté au moment des débats autour du mariage pour tous, et le sentiment de victoire partielle obtenue contre la mobilisation de la manif pour tous a produit un effet pervers que nous avons tous observé. Dans cet environnement de plus en plus hostile, il nous est apparu que l’accélération du chemsex comme refuge est probablement un symptôme, mais pas le seul. La société actuelle promeut la vitesse, la performance, le dépassement de soi. Elle anéantit la faiblesse et le doute. Et elle entraîne chez beaucoup un culte du corps, de la perfection, une volonté de correspondre à des canons de beauté des magazines, des films pornos qui se traduit par une surconsommation des salles de sport. L’excès produit une forme de dépendance. Et le corollaire, pour ceux qui ne peuvent pas atteindre ces objectifs est autant un surcroît d’isolement qu’un sentiment de rejet de ses pairs de ne pas entrer dans ces canons supposément dominants. En ce sens, le « chemsex », moins qu’une spécificité gay en soi, nous apparait plutôt comme le mode gay d’expression de phénomènes sociaux bien plus larges."
C’est à la fois le recours à un espace artificiel pour échapper aux angoisses et aux douleurs du quotidien, autant qu’un usage dans une logique de groupe pour expérimenter le dépassement de soi.
Des groupes de soutien
Au SPOT à Paris (un accueil spécialisé dans la santé et le sexe gay), le groupe "Chillout Chemsex" réunit tous les mardis une douzaine de garçons pour échanger librement sur la sexualité, les produits, les descentes, le plaisir, la réduction des risques, etc. Et également la permanence de Aides aux Halles à Paris, chaque jeudi à partir de 19h, pour le groupe d'auto-support et de réduction des risques à destination des gays usagers de drogues.
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