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BrésilMenaces de mort, LGBTphobies... : on a rencontré Jean Wyllys, ex-député brésilien en exil

Par Marion Chatelin le 27/03/2019
Jean Wyllys

[PREMIUM] L'ex-député brésilien ouvertement homosexuel, Jean Wyllys, a annoncé qu'il renonçait à effectuer son troisième mandat le 24 janvier 2019. Il vit depuis en exil à Berlin, et alerte la communauté internationale sur la situation des droits humains au Brésil depuis l'arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir. TÊTU l'a rencontré lors de son passage à Paris.

Fuir pour ne pas mourir. À 44 ans, l'ancien député brésilien Jean Wyllys est devenu un "ennemi public" du gouvernement. Membre du parti de gauche Socialisme et Liberté (PSOL, ndlr), ouvertement homosexuel, il a milité activement pour les droits des LGBT+ au Brésil. Il a été notamment l'auteur de lois pour accorder plus de droits aux travailleurs.euses du sexe et pour autoriser les unions civiles entre conjoint.e.s du même sexe. Des prises de position rares et précieuses, dans un pays hostile aux LGBT+, qui compte le plus de meurtres de personnes transgenres au monde.

Mais le député de Rio de Janeiro a décidé de renoncer à son mandat le 24 janvier dernier. Menacé depuis près d'une dizaine d'années, il a dû faire un choix. Face à l'imminence de sa propre mort, il a préférer vivre, loin des siens et de son pays. Il a donc profité d'un voyage en Espagne prévu de longue date pour s'exiler en Europe, et s'installer provisoirement à Berlin.

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Il considère que le président nouvellement élu, Jair Bolsonaro, est une menace réelle et sérieuse pour les minorités du Brésil, et plus particulièrement pour la communauté LGBT+. Jean Wyllys estime ne pas avoir été entendu par ses concitoyens alors qu'il essayait d'"éviter le pire". Il officie désormais à la manière d'un lanceur d'alerte, et espère se faire entendre par la communauté internationale sur la situation des droits humains au Brésil. TÊTU l'a rencontré au Centre International de Culture Populaire, dans le 11e arrondissement de Paris. Vêtu d'un pantalon en coton et d'un pull rouge, il semblait décontracté. Mais des cernes témoignent d'une fatigue et de nuits probablement très agitées.

"On menaçait mes soeurs de viol. On me disait que mes frères allaient se faire décapiter."

Comment en êtes-vous arrivé à renoncer à votre mandat de député ?

Jean Wyllys : Tout a été crescendo. Je suis la cible d'une campagne diffamatoire depuis mon tout premier mandat en 2011, sous la bannière du parti de gauche Socialisme et Liberté (PSOL, ndlr). Je suis devenu en quelque sorte un ennemi public. J'ai reçu par la suite de nombreuses menaces de mort. On s'en est pris à ma famille. Cela a été de plus en plus difficile à vivre à partir de 2016. Je recevais des messages téléphoniques et des e-mails très angoissants. On m'envoyait par exemple des photos de ma maison, ou de celle de ma mère. Le but était clairement de me prouver que des données personnelles, mais également des données appartenant à ma famille, étaient entre les mains de personnes qui me voulaient du mal.

En plus de tout cela, on menaçait mes soeurs de viol. On me disait que mes frères allaient se faire décapiter.

La seule condition pour que j'échappe à tout ça était que je me taise politiquement. J'ai donc profité d'un voyage en Espagne en février dernier pour m'exiler. 

Avez-vous craint pour votre vie ? 

Oui. Tout a basculé le 14 mars 2018, jour de l'assassinat de Marielle Franco, la conseillère municipale de Rio de Janeiro qui est métisse et ouvertement bisexuelle. C'était une amie. 

Elle n'avait reçu aucune menace, alors que moi, oui. Et pourtant, c'est elle que l'on a assassinée. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que les menaces n'étaient pas uniquement des paroles en l'air. Qu'elles pouvaient se concrétiser et peser sur ma vie professionnelle et personnelle. Voire me conduire vers une mort certaine.

"J'ai été totalement ignoré et délaissé par mon pays. C'est pourquoi j'ai décidé de renoncer à mon mandat de député."

Savez-vous de qui proviennent ces menaces ? 

J'ai évidemment contacté la police qui a ouvert une enquête. Au total, cinq dossiers sont en cours, mais tous au point mort. Je n'ai eu aucune réponse des forces de l'ordre. De mon côté j'ai une idée, même si rien n'est prouvé concrètement.

Peu après l'assassinat de Marielle, j'ai été placé sous protection policière. Les forces de l'ordre assuraient mes déplacements du travail à la maison, et inversement. Mais j'aurais eu besoin d'une protection beaucoup plus large. J'ai donc saisi la commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH). Je leur ai apporté des preuves flagrantes des risques que j'encourrais. Ils ont bel et bien conclu que ma vie était mise en danger et que la protection offerte par l'État brésilien était limitée.

Mais j'ai été totalement ignoré et délaissé par mon pays. C'est pourquoi j'ai décidé de renoncer à mon mandat de député.

"Le fait d'être député ne confère pas un statut protecteur lorsque l'on fait partie de la communauté LGBT." 

Vous étiez alors le seul député ouvertement homosexuel et fervent défenseur de la communauté LGBT+ brésilienne. 

Mon orientation sexuelle est l'une des raisons pour lesquelles ont m'a attaqué. En tant que député, j'ai toujours voulu mettre les droits des LGBT+ à l'agenda parlementaire. Il est évident que cela n'a pas plu. Je me suis également toujours élevé contre Jair Bolsonaro. J'ai dit haut et fort qu'il était un homophobe invétéré. Le Brésil est l'un des pays où il y a le plus de personnes tuées en raison de leur identité de genre et de leur orientation sexuelle. Et j'ai pu voir que le fait d'être député ne confère pas un statut protecteur lorsque l'on fait partie de cette communauté. 

Mais ce n'est pas la seule raison. J'ai été l'un des rares parlementaires à m'élever contre les milices para-militaires, dont certaines ont des liens évidents avec la famille de Jair Bolsonaro.

Quelle a été votre réaction lorsque Bolsonaro est arrivé au pouvoir ?

J'ai d'abord été incrédule. Ensuite, je me suis senti frustré. Parce que personne ne m'a écouté. J'ai toujours clamé haut et fort que si rien n'était fait, le Brésil finirait par voir  arriver au pouvoir un homme d'extrême-droite. Il était de mon devoir, et de notre devoir à toutes et à tous, d'empêcher ce qui est arrivé. Or, même la gauche actuelle ne m'a pas écouté et a laissé faire Jair Bolsonaro. Nous avons échoué. 

Je ressens une immense tristesse. Car en plus de tout, cela n'a fait que confirmer le fait que le Brésil est homophobe structurellement. Ce que Jair Bolsonaro a compris. Et pire, il s'en est servi.

"Jair Bolsonaro a utilisé l'homophobie ambiante et la haine des minorités pour alimenter son discours et arriver au pouvoir."

Justement, comment s'est-il servi de cette homophobie pour devenir président, selon vous ? 

Il a utilisé l'homophobie ambiante et la haine des minorités pour alimenter son discours et arriver au pouvoir. Il a relayé de nombreuses "fake news" (fausses informations en français, ndlr). C'est sa méthode. C'est ainsi qu'il a pu discréditer ses adversaires.

Par exemple, pour évincer Fernando Haddad et Manuela D'Àvila (respectivement candidats du parti communiste à la présidence et à la vice-présidence de la République de l'élection de 2018, ndlr), il a déclaré que le parti communiste voulait mettre des "kits gays" dans les écoles primaires. Des manuels qui seraient destinés à apprendre aux enfants comment devenir transgenres, ou homosexuels. Mais c'était simplement un ouvrage d'un auteur français, Zep, intitulé le "Guide du zizi sexuel" et mettant un scène un personnage de BD !

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Il se trouve que Manuela D'Àvila est féministe et très proche de la communauté LGBT+. Jair Bolsonaro s'est donc servi de ce lien pour la discréditer en relayant cette fake news.

"Nous vivons un réel cauchemar ici."

Quel danger représente Jair Bolsonaro pour la communauté LGBT ? 

Entre les "fake news" et les annonces publiques appelant à la haine envers la communauté LGBT, on ne pouvait pas faire pire. Et son gouvernement représente une énorme menace pour les minorités, et notamment pour les LGBT+.

Il a nommé Damares Alves ministre des "droits de l'Homme" chargée des questions LGBT+. Mais c'est une fondamentaliste religieuse doublée d'une homophobe ! Et elle affiche clairement ces opinions rétrogrades. Par exemple, elle n'a pas hésité a affirmer très sérieusement que "les femmes sont nées pour être mères". Ernesto Araujo, est devenu ministre des relations extérieures. Pour lui, le mouvement LGBT serait "une conspiration marxiste visant à empêcher le retour de Jésus". Il va même jusqu'à dire que la terre est plate !

Nous vivons un réel cauchemar ici. La communauté LGBT+ est encore plus en danger depuis la prise de fonction de Jair Bolsonaro et de son gouvernement. J'ai pu me rendre compte que les LGBT+ se sentaient de plus en plus menacé.e.s et déprimé.e.s.

Menaces de mort, LGBTphobies... : on a rencontré Jean Wyllys, ex-député brésilien en exil
Crédit photo : Jean Wyllys.

Plus largement, que représente son élection à la tête du pays ?

C'est un anti-démocrate, il n'accepte pas l'opposition. Pour lui, les opposants politiques représentent l'ennemi et il faut les réduire au silence. Lui et son gouvernement y arrivent par trois moyens selon moi : soit par la prison, soit par la contrainte à l'exil, soit par la mort.

Du point de vue de la politique extérieure, on voit bien le rapprochement avec le président Donald Trump et le problème que cela pose. D'autant plus que la relation est déséquilibrée. Jair Bolsonaro est totalement soumis au milliardaire américain. Parallèlement, les relations avec les autres pays sont de plus en plus limitées. Le Brésil est en train de se fermer géopolitiquement.

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Comment comptez-vous continuer à vous battre pour votre pays depuis l'étranger ? 

Faire ce que je suis en train de faire à cet instant. Parler de mon histoire et de la situation de mon pays dans les médias pour alerter sur ce qui est en train de se passer au Brésil. Il faut que les opposants à Bolsonaro dénoncent ce qu'il est en train de faire. Pour cela, je compte également faire des interventions dans des organisations internationales et des institutions, notamment les institutions européennes.

Comptez-vous revenir au Brésil ? 

Je ne reviendrai pas si la situation ne change pas. Et malheureusement, c'est épuisant psychologiquement. Car à travers tous les entretiens avec les médias, les personnalités politiques et les organisations, je dois revivre l'horreur de ce que j'ai vécu. Au-delà de cela, je sais que ma famille et mes amis sont toujours là-bas. Le fait de ne pas avoir de perspective de retour est très difficile à vivre.

Crédit photo : Mauro Pimentel / AFP.