[PREMIUM] Il est gay, avocat et co-fondateur de la principale association de défense des LGBT+ en Tunisie. À 48 ans, Mounir Baatour s'est déclaré candidat à l'élection présidentielle tunisienne du 10 novembre prochain. Une première historique dans le monde arabe.
La pugnacité. C'est certainement ce qui pourrait qualifier le mieux Mounir Baatour. À 48 ans, celui qui incarne le visage de la lutte pour les droits des LGBT+ en Tunisie se lance dans la course à la présidentielle du 10 novembre prochain. Président du Parti Libéral Tunisien, il a recueilli les 10.000 signatures nécessaires et continue de rassembler les parrainages.
Arrêté pour délit de "sodomie"
Il ne faut pas manquer de courage pour être le premier candidat homosexuel à la magistrature suprême. Surtout dans cette Tunisie post-révolution, dominée par la présence des islamistes d'Ennahda. L'homosexualité y est encore criminalisée par l'article 230 du code pénal - "un héritage français" selon lui - , et punie par trois ans d'emprisonnement. Mais dans les faits, c'est un peu différent.
Contacté par TÊTU, il explique : "Quand un homme sort des geôles, il ne va pas devenir hétérosexuel. Il sera donc susceptible d'être à nouveau arrêté et d'y retourner. Un homosexuel n'est pas condamné à trois ans de prison, il est condamné à perpétuité." S'il est élu, l'abolition de cet article sera évidemment la toute première mesure prise par son gouvernement.
Heureusement, Mounir Baatour ne manque pas de cran. En 2013, alors qu'il est à la tête du parti libéral tunisien, il est arrêté pour délit de "sodomie". Condamné, il connaît l'enfer des prisons tunisiennes. Personnalité politique, son nom est alors jeté en pâture à la presse. Il sera forcé de faire son coming-out publiquement. "Les médias ont écrit des centaines d’articles. À l’époque, on ne parlait pas du tout d’homosexualité. C’était une honte. Tout cela à défrayé la chronique."
Cette médiatisation soudaine, il décide de la tourner à son avantage. En 2014 il créé - avec d'autres hommes qui ont été emprisonnés - "Shams", aujourd'hui la principale association de lutte pour les droits des LGBT+ en Tunisie. Il devient ainsi l'une des figures de proue du militantisme dans ce pays d'Afrique du nord.
Jamais mieux servi que par soi-même
S'il a décidé de se présenter c'est simplement parce que "rien ne change". "Cela fait des années que je me bats pour les libertés individuelles, pour les droits des minorités et notamment pour les LGBT+. Sur le plan législatif et politique ça n'avance pas", explique-t-il d'un ton vif. D'ailleurs, les autorités tunisiennes ont tenté à multiples reprises de dissoudre l'association Shams, sans succès "J'estime que je serai le mieux placé pour faire ce travail, si je suis élu président de la République."
Si le pays s'est doté, en 2014, d'une Constitution garantissant le droit à la dignité et à la vie privée, le candidat raconte que les répressions sur les personnes LGBT+ se durcissent. En 2017, 79 personnes ont été arrêtées. Un chiffre qui a quasiment doublé en 2018, pour atteindre les 127 arrestations. Un triste record. "Agressions en cascade, chantages, meurtres... c'est ça le quotidien des gays en Tunisie. Pour les femmes c'est plutôt de la persécution familiale, les mariages forcés, ou le fait d'être obligée de porter le voile."
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Bouger les lignes
Nul doute que la campagne présidentielle se jouera sur le terrain des "bonnes moeurs". Le très conservateur parti islamiste Ennahdha, membre de la coalition gouvernementale, est pointé du doigt par ce spécialiste en droit des affaires. "C'est à cause d'eux qu'on a un durcissement de la politique menée envers les LGBT+. Ils sont hostiles à tout ce qui touche de prêt ou de loin au mouvement LGBT+. Ce parti est pour moi l'incubateur de l'intégrisme et de l'extrémisme."
Le candidat Mounir Baatour souhaite en tout cas "faire bouger les lignes" et "libérer la Tunisie des vieux partis". Parmi ses mesures sociétales phares, l'abolition de la peine de mort, la légalisation du cannabis, et l'égalité femmes-hommes érigée en valeur cardinale de son programme. Le candidat du parti libéral tunisien veut aussi moderniser le pays. Économiquement en libérant l'investissement et en augmentant le pouvoir d'achat des tunisiens. Écologiquement, en développant les énergies renouvelables.
Pour l'instant, "90% des retours sont positifs", même s'il est devenu une cible sur les réseaux sociaux. "Cela va des simples sarcasmes, aux insultes. Ça me dérange pas, tout candidat peut avoir un point sur lequel il est attaqué." Mais parfois, ça peut aller plus loin. Comme en décembre 2017, où il a été menacé de mort par Daesh lors du lancement de "Shams Rad" la radio de l'association. Réponse de Mounir Baatour : "Cela a fait du buzz au moment du lancement. Aujourd'hui la station marche très bien et n'est plus la cible d'attaques. Tant mieux, le but c'est de banaliser les choses."
Crédit photo : Shams / Facebook.