[Témoignage] Dans le chemsex, le plus dur, c'est d'arrêter. Fabien raconte comment il a réussi à changer de vie après de longs mois d'abus.
"La première fois que j’ai eu envie d’arrêter le chemsex, j’ai mis tout ce qu’il me restait dans les toilettes. J’ignorais encore que j’allais faire ce rituel au moins dix fois ensuite. On se réveille souvent trop tard. Quand on prend conscience qu’on est allé trop loin, c’est qu’on est allé vraiment trop loin pour pouvoir revenir d’une brasse sur la bonne rive.
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Peu à peu, on s’est éloigné de nos vrais amis. Parfois, c'est eux qui ont mis une distance entre nous, et on culpabilise encore plus. On a vécu dans une bulle de secret, de honte, qui nous a rapproché de toute une faune pas mirobolante, mais qui, au moins, vit la même chose que toi. Ça n’a l’air de rien, mais un jour, j’ai pris conscience de l’effort que ça demandait de mentir tout le temps aux gens du jour. Comparé au réconfort de dire simplement la vérité aux gens de la nuit.
Bloquer large, et radical
J'avais déjà essayé d'arrêter les chems. Mais je m'étais vite rendu compte que ce n’était pas seulement renoncer à la drogue. C'était renoncer à tout le réseau dans lequel on s’est plongé. A tous ces mecs avec qui tu passes tes week-end à baiser. J'ai avancé doucement. J'ai bloqué quelques types, les plus insistants, les moins sexys. Et puis je me suis rendu compte qu'à chaque fois que je bloquais un mec, il me retrouvait sur Facebook. Si je le bloquais sur Facebook, il arrivait d'une façon où d'une autre à me contacter sur Instagram. Quand un mec que tu n'avais pas bloqué partout te retrouve à un moment où tu es vulnérable, t'es mort. J’ai commencé à bloquer de plus en plus large, de plus en plus radical. Mais j’arrivais pas à bloquer certains garçons que je considérais comme de vrais potes.
"Tu vois, j'ai encore gagné"
En parallèle, j'ai effacé les numéros de mes fournisseurs de 3MMC (une des drogues du chemsex, ndlr). Mais quand l'envie me prenait soudainement, c’était facile de retrouver leur numéro dans mon iPad ou sur mon ordinateur. Au fond, on se laisse toujours des moyens de les retrouver. Un jour, j’ai même téléchargé une appli pour récupérer les numéros que l'on a effacé. Cinq minutes plus tard, j’avais le numéro de mon fournisseur préféré, et j'ai commandé aussitôt. Et là, l’autre Fabien disait au Fabien qui voulait arrêter : « Tu vois j’ai encore gagné ».
Les textos de trop
J’ai vraiment décidé d’arrêter quand je me suis rendu compte que les quinze premiers textos sur mon iPhone venaient tous de mes "nouveaux potes". Je me suis dit : "franchement, si ces mecs disparaissaient de ta vie, qu’est ce que tu perdrais ?" Des conversations enrichissantes ? Non. Des sorties sympas ? Non. Du réseau professionnel ? Non. Des mecs avec qui tu peux parler des choses qui t'intéressent ? Non.
La seule chose qui allait me manquer, c’était un moyen rassurant d’occuper le vide de mes week end en ayant l’impression de jouir. J'ai réalisé que le seul moyen de m’en sortir, c'était de ratiboiser complètement ce monde dans lequel j’étais tombé. Mais surtout, qu'il fallait que je reconstruise le précédent. Sinon, le vide risquait de me faire revenir en arrière.
Retour à l'authenticité
J'ai eu cette prise de conscience en attendant mon train pour partir une semaine dans une maison avec des amis - des vrais - en Aveyron. Ca tombait bien. Pourtant quelques heures avant, je cherchais encore des excuses pour annuler, tellement j’avais envie de rester dans mon ambiance de bites et de chems. Mais dans un coin de ma tête je savais que c’était une chance de m’en sortir.
"Au début, c'est vertigineux"
Là bas, j'étais dans le vrai monde, avec des vrais gens, et de la vraie nourriture. Pas des haribos que je picorais sur le coin d'un table basse. Quand je suis revenu, ma résolution n’était plus vraiment la même : ce n’était plus d'arrêter le slam ou la 3MMC. C’était reconstruire une vie d’authenticité, inspirante avec des gens bienveillants, parce que je savais que la drogue ne s’insinuerait pas dans ce monde là.
A mon retour, j’ai demandé à un copain de mettre un contrôle parental sur mon smartphone et sur mon iPad. Et j'ai dit adieu aux applications. C’était vertigineux : je vis avec les applis de rencontres depuis des années. Mais en fait au bout d’une semaine, on se rend compte à quel point on était piégé, et à quel point on a perdu du temps.
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Des rechutes, mais...
Quand tu comprends que le secret, ce n’est pas d’arrêter les chems mais de changer de vie, même les rechutes ont un effet différent. C’est ce qu’on appelle l’étiolement, comme quand tu décides d’arrêter de fumer. Quand tu as gouté à quelques semaines sans tabac, tu peux rechuter mais ça t'apparaîtra beaucoup plus vite comme toxique. Cette rechute ne sera qu'une péripétie sur le chemin de l’arrêt.
"Je me terminais chez moi devant un porno"
Ca m'est arrivé de rechuter. L'autre Fabien disait au Fabien qui veut arrêter : "ah ouais tu crois que tu as tout verrouillé, ben moi je vais te montrer que dans deux heures tu auras des prods, et tu slameras". Et ça marchait. Sauf que sans les applis et avec pas mal de contacts en moins, ça limitait les dégâts : pas de touze foireuses, pas de mecs tarés ajoutés à mon carnet d’adresse. Je me terminais chez moi devant un porno, et je faisais subir à mon corps une seule nuit blanche, au lieu de deux ou trois.
Ensuite j’ai téléchargé une appli qui supprime vraiment en profondeur les contacts et messages que tu as effacé. Même si je suis sûr qu’il y a un moyen de la contourner, ça atteint un niveau de complexité décourageant.
Changer de téléphone
Enfin y’a eu l’ultime étape, quand j’ai changé de téléphone. Mais je ne crois pas que c'est judicieux de le faire au début. Changer de téléphone, ça peut être un peu facile quand tu décides d'arrêter, mais si tu n’as pas fait tout le cheminement, que tu n'as pas étouffé tous les foyers de tentation, trois semaines après ton réseau sera redevenu le même.
Il y a quelques jours, un mec m’a retrouvé sur Instagram. Un « salut ça va ». Je n’ai pas répondu. Je sais que si j’avais dit « ouais et toi », je cédais le soir même. Je me suis senti fort. Mais ça a créé une petite faille dans ma muraille. Qui sait si un jour de vulnérabilité, je ne vais pas le débloquer, et lui envoyer un « salut ça va »…"
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