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interview20 ans du Pacs : Roselyne Bachelot raconte les coulisses du vote

Par têtu· le 15/11/2019
Roselyne Bachelot

Le pacs a 20 ans ce vendredi 15 novembre. Seule députée de droite à voter le projet de loi à l’époque, Roselyne Bachelot revient sur ce combat marquant et règle quelques comptes.

Cette interview est initialement parue dans le numéro 220 du magazine TÊTU, toujours disponible en kiosques.

Ses éclats de rire sont devenus légendaires. Presque autant que son discours prononcé le 7 novembre 1998 à l’Assemblée nationale en faveur du pacte civil de solidarité (pacs). Au sein du groupe parlementaire RPR (le parti de la droite, devenu
l’UMP, puis Les Républicains), l’alors députée du Maine-et-Loire Roselyne Bachelot fut la seule à avoir le courage de défendre un texte qui ne sera adopté qu’un an après, le 13 octobre 1999.

Homophobie décomplexée

Le pacs, ce fut douze mois de débats, 120 heures de discussions, 2161 amendements déposés par l’opposition. Ce qui laissa le temps pour les anti de s’organiser. En janvier 1999, ils furent 100.000 à défiler dans les rues de Paris, hurlant des slogans haineux : “Les pédés, au bûcher”, “Pas de neveux pour les tantouzes”.

Le débat a libéré la parole homophobe, y compris à l’Assemblée nationale, à une époque où dévoiler son homosexualité n’était pas recommandé. Quand un sénateur du Parti radical de gauche accable les “fossoyeurs de l’humanité” dans une tribune, les parlementaires du RPR se déchaînent en plein hémicycle : “Il y a les zoophiles aussi”, compare le député des Yvelines Jacques Myard; “Stérilisez-les”, crie Pierre Lellouche, élu à Paris.

Une figure historique

Si le projet de loi sur le mariage pour tous, quelques années plus tard, a scellé la légende de Christiane Taubira, celui sur le pacs, porté également par la gauche, a fait émerger deux femmes députées de droite, aux convictions parfaitement opposées : Roselyne Bachelot, la gaulliste sociale, et Christine Boutin, la “catho tradi”.

Vingt ans plus tard, alors que s’ouvre la bataille de la PMA pour toutes, TÊTU revient sur cette page d’histoire, ce combat, l’un de ceux pour lequel il a été fondé. Aujourd’hui, il ne viendrait à l’idée de personne de revenir sur le pacs. Comme le dit Roselyne Bachelot, sans jeu de mots, “les faits sont têtus”.

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Quel souvenir marquant gardez-vous des débats sur le pacs ?

C’est évidemment le discours que j’ai prononcé à l’Assemblée. Je le dis sans fausse modestie, il est devenu mythique. Il a suscité une émotion, partagée d’ailleurs par des gens qui n’étaient pas supporteurs du pacs. En montant à la
tribune, je ne mesurais absolument pas le sentiment, les réactions qu’il allait engendrer. Je savais que je faisais un acte politique fort, car j’avais été l’objet d’attaques extrêmement violentes dans mon groupe parlementaire, et de la part d’organisations anti-pacs dans ma circonscription.

Ça m’amuse d’ailleurs quand je vois certains députés de la majorité actuelle venir pleurnicher parce qu’ils seraient l’objet de certaines oppositions. J’ai envie de leur dire : “Vous n’avez pas connu la violence suscitée par le pacs.” Il y a eu aussi des phrases magnifiques prononcées durant les débats. Un député m’a dit : “Je suis là depuis dix/quinze ans, je me suis toujours demandé quel était mon rôle et, en vous écoutant, j’ai compris pourquoi nous étions parlementaires.”

À quoi pensez-vous en montant à la tribune ?

Je monte avec le sentiment que je ne suis pas seule, accompagnée par celles et ceux qui ont mené le combat depuis des années : Gérard Bach-Ignasse, Jan-Paul Pouliquen... Ces gens dont on ne parle jamais quand on raconte le pacs, et c’est très injuste. Ce discours, je le leur dois. Certes, le projet de loi était porté par le Parti socialiste, mais, pendant les dix années précédentes, les Élisabeth Guigou et autres étaient absents. Quand on militait dans la semi-clandestinité, devant un parterre de militants et d’opposants dans la salle d’une banlieue improbable du 93, je ne les ai jamais vus. Je pense aussi à tous ces couples victimes de discriminations. Je monte en me cramponnant. L’émotion ne doit pas me gagner. Je dois garder mon sang-froid. Je n’y arriverai pas totalement, car la charge émotionnelle est forte. Et elle ne m’a pas quitté, vingt ans après.

Des histoires personnelles vous accompagnent-elles à ce moment-là ?

Christian, mon meilleur ami, est décédé du sida quelques semaines avant. Je l’ai accompagné jusqu’au bout et lui ai par la suite dédié mon livre sur l’histoire du pacs [Le Pacs entre haine et amour, chez Plon, 1999, NDLR]. Grâce à Christian et à son compagnon, Robert, le dossier prend de la chair. Ils n’étaient pas des militants du pacs, car ils n’en ressentaient
pas le besoin. Ils n’avaient pas eu à subir de discriminations, ils étaient entourés par un milieu familial compréhensif et
amical, ce qui n’est pas le cas de tous. À travers ces personnes parfaitement intégrées, j’ai ressenti la violence de la
discrimination, de façon charnelle. Et je me suis demandé, en voyant la difficulté rencontrée par des privilégiés, “comment
vit l’ouvrier, l’agriculteur, celui ou celle qui est rejeté par sa famille, son milieu social ?”

Lorsque vous retournez vous asseoir, submergée par l’émotion, que vous disent vos collègues ?

Plusieurs députés qui ont voté contre le pacs m’ont exprimé de l’admiration. Patrick Devedjian est de ceux-là. Jean-
Louis Debré m’a dit : “Tu as raison, il faut toujours se battre pour ses idées.” Ils saluent la combattante. C’était en général des vieux gaullistes qui ont donné à leur combat politique un autre sens que le vulgaire. Ils saluaient aussi la fille d’un compagnon de route [son père a été député gaulliste, NDLR].

Est-ce vrai que Philippe Séguin a coécrit votre discours ?

Il s’est créé une légende selon laquelle Philippe Séguin aurait écrit le début de mon discours. Il faut rectifier l’histoire. Il était à l’époque président du RPR et me demande de passer le voir et de lui donner mon discours : “Il faudrait que tu mettes dans ton introduction le fait que nous t’avons donné un temps de parole.” On a alors expliqué qu’il avait écrit l’introduction de mon discours et j’ai même entendu qu’il l’avait entièrement rédigé. J’aimais beaucoup Philippe Séguin. Il fait partie de ces vieux gaullistes qui ont admiré la combattante que j’étais, sans pour autant voter le texte – il s’est abstenu en seconde lecture.

Était-ce dur de sortir du rang?

Franchement, je ne me suis jamais posé la question. D’abord, parce que fille de deux résistants, mes racines politiques font que je ne me suis jamais sentie tenue par des réflexes majoritaires. Quand on parle en ce moment des référendums d’initiative populaire, je suis assez contente qu’en 1940 mes parents n’aient pas suivi la majorité. Suivre le peuple n’est pas un but en soi. La politique, c’est avoir des convictions, les structurer, les défendre au besoin, être minoritaire et continuer. J’ai tété ce lait dans ma famille et je n’en bougerai pas. Le réflexe majoritaire, ce n’est pas ma came.

Deuxièmement, je suis une femme. Je n’ai jamais fait partie d’un clan, d’un réseau. Je suis rentrée en politique dans un monde où les femmes étaient des indésirables ou des marginales. Personne n’a essayé de me récupérer. C’est une
faiblesse, mais c’est en même temps une formidable démarche de liberté. Et puis la politique n’a jamais été pour moi
un métier.

Le pacs n’a pas été une affaire isolée. J’ai incité mon groupe à voter pour le revenu minimum d’insertion [RMI, remplacé par le RSA, NDLR], en prenant la parole devant tout le monde pour expliquer pourquoi c’était important. Chirac a alors balancé : “Roselyne a raison.”

Jacques Chirac vous a-t-il apporté son soutien sur le pacs ?

Il m’a fichu une paix royale! Mais il y avait aussi un petit peu de condescendance. Finalement, il devait penser que la parole d’une femme n’avait pas beaucoup d’importance. Celui qui a opéré la plus grande remise en question, c’est
Nicolas Sarkozy. Il sent les choses. Tout de suite, il a réalisé que la position du groupe ne fonctionnait pas et, dès les universités d’été, en 1999, il a dit : “On a fait une connerie [de ne pas voter le texte, NDLR].” Chirac n’a rien exprimé, mais si je suis devenue sa porte-parole en 2002, mon discours sur le pacs y est pour beaucoup.

Comment avez-vous jugé votre famille politique ?

Globalement, je n’ai pas fait l’objet de choses extrêmement méchantes, si ce n’est que je faisais partie du bureau politique du groupe et que je n’ai pas été réélue l’année suivante. C’est vraiment une bande de lâches. Dans ma circonscription, j’ai eu droit à un procès presque stalinien. C’est un des souvenirs les plus douloureux de ma vie politique. Assise sur un petit tabouret au milieu des militants RPR, ils m’expliquent que je vais perdre la prochaine élection législative, que ce mandat, ils me l’ont confié, qu’ils en sont les propriétaires. Je n’avais pas le droit de défendre des opinions contraires aux leurs. J’ai rétorqué que je n’étais pas là pour prendre des ordres auprès d’un comité Théodule, que nous étions un
parti gaulliste et que le général de Gaulle n’était pas parti à Londres en demandant l’avis d’un comité de circonscription.

Sur le terrain, y avait-il cette violence ?

Beaucoup. Elle était en particulier provoquée par une association qui s’appelait Avenir de la culture. Elle avait distribué, avec je ne sais quel argent, 25000 tracts appelant à ma démission. Il y avait un volet détachable à envoyer au président du groupe RPR. Je n’ai jamais su qui les avait financés et je n’ai pas cherché à le savoir. J’ai reçu des milliers de lettres. Plus de
20000 lettres d’amour et de haine. Les lettres d’amour sont plus souvent difficiles à lire que celles de haine. Les
lettres d’amour, elles vous obligent. Les lettres de haine, c’est comme une crotte de chien sur un trottoir, on les évite et on passe.

Deux personnalités de droite émergent à l’époque du pacs. Vous et Christine Boutin...

Cette symétrie me met en fureur! D’abord, nous n’avons pas eu la même position logistique : Christine Boutin était investie de toutes les bénédictions du groupe. Elle n’était pas isolée, elle était entourée, bichonnée, fêtée, félicitée, encensée par toute cette famille politique. Moi, j’étais toute seule.

Donc si je vous présente comme des sœurs jumelles, ça vous fait bondir?

Cela me met en rage. Car cela reprend l’idée d’Hervé de Charette [député centriste du Maine-et-Loire, NDLR] : “Il y a deux excitées, Boutin et Bachelot ; nous,  on est la voix de la raison entre les deux.” C’est une dévalorisation de la parole des
femmes.

À l’époque, quand vous entendez Christine Boutin s’élever contre le pacs, que vous dites-vous ?

Je la plains. Mais je me garde de jeter l’anathème. Il y a des gens qui sont sincères, même s’ils se trompent, selon moi. Vous n’imaginez pas le nombre de sollicitations reçues pour que nous ayons des débats conjoints, pour nous photographier ensemble. Des traquenards ont été lancés pour que l’on se rencontre inopinément. J’ai toujours refusé.

Ceci étant, Christine Boutin est une femme sincère et elle avait des positions argumentées, contrairement à certains qui n’avaient pas travaillé le dossier. Ce qui était d’ailleurs la caractéristique de la majeure partie de mon groupe. Quand vous pensez qu’au RPR on a convoqué comme expert, pour étayer ses positions, le père Anatrella [prêtre et thérapeute soupçonné d’abus sexuels sur d’anciens jeunes patients, NDLR]. Vous frémissez.

Aucune association de soutien au pacs n’était venue présenter ses arguments devant le groupe ?

Vous rêvez. Rétrospectivement, il y a quand même eu des moments de franche rigolade. Je me souviens d’un
collègue m’expliquant qu’Anatrella était susceptible de me faire changer d’avis.

A-t-on tiré les leçons du pacs en 2012 lors du débat sur le mariage pour tous ?

À l’évidence, le débat sur le mariage pour tous trouve son origine dans celui sur le pacs. En 2012, comme en 1998,
les opposants ont vu la nécessité de se structurer, et on leur a laissé le temps. Ça s’est accompagné d’un mouvement de radicalisation de l’opinion publique, pas seulement en France, mais aussi en Europe et dans toutes les démocraties occidentales. Un certain nombre de partis extrémistes, de mouvements réactionnaires, marginaux jusque-là, tiennent le haut du pavé. Ensuite, il y a quelque chose de paradoxal entre la montée des droites extrêmes, à défaut d’extrême droite, et en même temps la crise existentielle de la droite. Cette dernière a tenté de la résoudre par l’adhésion à des questions sociétales, car elle avait du mal à s’exprimer sur le plan économique. C’est évidemment une politique de gribouille totalement stupide. Elle aboutit au choix de François-Xavier Bellamy, à l’infiltration des instances de l’UMP, puis des Républicains, par Sens commun et La Manif pour tous, et au désordre absolu qui règne dans la droite républicaine.

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Comment percevez-vous l’homophobie qui règne aujourd’hui dans notre pays ?

Elle est clairement affichée. C’est un bruit de fond de la société. De temps en temps, il y a des gros glouglous de merde qui arrivent à la surface. (Elle se baisse, sort de sous son canapé une grande boîte rouge dans laquelle elle conserve soigneusement les lettres d’insultes et de menaces qu’elle continue de recevoir. Elle en lit quelques-unes.) “Nulle à chier”, “la boniche à Macron”, “la putain des juifs qui veut nous imposer son Europe de Schumann avec les juifs et les pédés”, “la grosse salope de gouine”, “t’es toujours en manque de cul, espèce de grande vicieuse”, “jouis bien salope avec tes pédés”.

Pourquoi conserver ces messages ?

Je les lis à mon équipe de rédaction. Je ne veux pas les protéger. Je veux leur montrer ce que c’est que d’avoir été une personnalité publique et de le rester. Il faut combattre cela. Et d’abord savoir que ça existe. Certains, en raison du milieu
dans lequel ils vivent, pensent que tout va bien, mais non tout ne va pas bien.

Comment combat-on cette intolérance ?

En en parlant, en militant dans des associations qui défendent les homosexuel·les menacé·es dans d’autres pays, pour la PMA et pour son remboursement. Soit dit en passant, je trouve la position de la ministre de la Santé,
Agnès Buzyn, courageuse et forte, sans ambiguïté.

Mais ceux qui écrivent ces lettres sont-ils récupérables ?

Il y a différents degrés dans l’ignominie. Certains sont irrécupérables. Ce sont des malades, des psychopathes. Mais
il y a aussi des gens qui sont accessibles au raisonnement. Certains ont changé d’opinion après le pacs. Les faits sont
têtus. On a bien vu que la famille n’avait pas explosé, que tous les arguments avancés à l’époque ont été contredits par les faits. Je crois à l’intelligence, au raisonnement. Je veux aussi être à l’écoute. Des gens sont de bonne foi. Et face à ceux qui sont susceptibles de changer, il faut éviter d’avoir des positions manichéennes. Il y a beaucoup de travail à faire.

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J’assiste à beaucoup de mariages de couples de même sexe. On y croise des gens pour qui, il y a quelques années, il était impossible que deux hommes se marient. Récemment, à une cérémonie, j’ai surpris la conversation de deux vieilles dames : “C’est bien quand même, ils s’aiment.” Quand vous entendez ces propos, ne vous dites-vous pas que le combat mené il y a vingt ans a été utile ? J’ai toujours su que je gagnerais, à terme, cette bataille-là.

Crédit photo : Jules Faure