Consacré par un Teddy Award (prix LGBT) au festival de Berlin, "Une femme fantastique" met en scène une femme trans à qui l'on refuse le droit de faire son deuil.
En salles à partir du mercredi 12 juillet, "Une femme fantastique" (Una mujer fantastica) est le cinquième long-métrage du réalisateur chilien Sebastián Lelio. Après Gloria, portrait d'une femme éprise de libertés, le réalisateur revient avec un nouveau portrait féminin co-écrit avec Gonzalo Maza. Ours d'argent du meilleur scénario au festival de Berlin 2017, "Une femme fantastique" met en scène une femme trans à qui l'on refuse le droit de faire son deuil.
Cette femme fantastique s'appelle Marina Vidal. Elle est interprétée par Daniela Vega, remarquable. Au départ consultante sur le film, Daniela Vega s'est imposée en Marina aux yeux du réalisateur à la fin de l'écriture du scénario :
Je me suis dit que c’était tout à fait impossible de faire le film sans une actrice transgenre. Pour moi, cela aurait été une aberration, un anachronisme esthétique dans une époque où l’on voit émerger un nouveau paysage des genres.
La violence de la "sainte famille"
Marina Vidal est certes une femme fantastique mais elle est aussi une héroïne mystérieuse, puissante et sublime. Marina a perdu son amour : Orlando, de vingt ans son aîné. Leur amour était tendre, sa mort brutale. Une rupture d'anévrisme, et la bulle qu'ils s'étaient construit à deux éclate. Dans son appartement à lui, avec leur chienne Diabla, Marina et Orlando détenaient leur havre de paix, loin des jugements extérieurs. A la mort d'Orlando, la coquille de cet espace protégé se fissure instantanément.
La violence peut alors pénétrer dans leur intimité, dans celle de Marina. La "sainte famille" d'Orlando s'y engouffre. Elle lui refuse toute humanité, la traite avec suspicion, dégoût et brutalité. L'ex-femme du défunt, son fils et son frère lui volent son deuil. Impossible pour elle d'assister aux funérailles, de voir Orlando une dernière fois, de rester dans l'appartement qu'ils occupaient ou même de garder la chienne qu'il lui avait offerte.
La bataille du corps
Daniela Vega, filmée de face et plein cadre une grande partie du film, offre aux spectateurs un regard à la fois apeuré, captivant et déterminé. De ses billes noires, elle transmet chacune de ses émotions. De la tristesse au dégoût, en passant par le désespoir, le mépris et la colère. Ces émotions, seul son regard les communique. Son corps reste souvent statique, tel un roc que personne ne pourra atteindre ni ébranler. Son corps, c'est sa bataille personnelle, celle dont il n'est jamais frontalement question dans le film. L'identité de Marina est un sujet pour les autres, ceux qui ne la regardent que par le prisme du "monstre" qu'ils voient. D'ailleurs, à aucun moment son corps n'apparaît dénudé entièrement à l'écran, il reste hors-champs. Le réalisateur s'en explique :
Souvent, on tombe dans l’erreur de réduire l’identité sexuelle à la forme de nos organes. J’ai considéré que le film devait respecter ce mystère et rester à l’écart de cette zone intime du personnage. C’est une manière de dire que l’identité n’est pas liée à la chair. Rien n’est figé, et personne n’est condamné à vivre dans ses formes. Tous les personnages veulent entrevoir son sexe, mais le film, dans un signe de complicité avec son héroïne, s’en abstient.
L'étouffement puis la respiration
Médecins, policiers, membres de la famille du défunt, tous y vont de leur petite phrase, de leurs insultes glissées habillement entre deux mots mielleux. Prostituée, voleuse, délinquante, pédale, perverse, tout y passe. Chaque remarque, chaque geste à son encontre touchera de plein fouet les spectateurs dotés d'un minimum d'empathie. Car la caméra ne quitte jamais Marina, son point de vue devenant celui du spectateur. Jusqu'à étouffement... puis la respiration.
La bande son est l'une de ses respirations vitales. Matthew Herbert, collaborateur de Björk, propose une musique hypnotique qui colle à ce film à la fois mystérieux et limpide, épuré et sophistiqué. Marina chante plus qu'elle ne parle, la musique fait parler ses silences. À noter une scène à vous coller des frissons sur (You Make Me Feel Like) A Natural Woman...
Un "Cheval de Troie"
Le film a remporté le "Teddy Award" 2017 de la Berlinale. Ce prix distingue le film du festival de Berlin traitant le mieux des questions LGBT. Sebastián Lelio n'a pas pensé ce film comme un acte militant mais se réjouit de la portée qu'il pourrait avoir :
Ce qui importe, c’est le film et sa résonance dans notre société. Autrement dit, même s’il ne s’agit pas d’un film militant, car il pose plus de questions qu’il ne donne de réponses, je serais ravi que des spectateurs militants s’en emparent. Qu’ils s’en servent, s’ils le souhaitent. Mon film est un Cheval de Troie. Il démarre comme un spectacle mais il contient d’autres sous-textes.
Couverture et corps d'article : ©Arne Höhne Presse