prostitution"Je suis travailleur du sexe et j'aimerais qu'on arrête d'être indifférents à nos vies"

Par Timothée de Rauglaudre le 19/12/2019
travailleur du sexe

Awen, 24 ans, travailleur du sexe, fait partie des 250 travailleurs et travailleuses du sexe qui ont saisi la CEDH aujourd'hui. Loi prostitution, loi Avia, discriminations quotidiennes... Il témoigne.

Je suis travailleur du sexe depuis sept ans. Plus jeune, j'étais inspiré par les travailleuses du sexe. C'était quelque chose de poétique pour moi, elles étaient remplies d'énergie, de vie, de sensualité. C'était clairement du fétichisme à l'époque, même si je ne m'en rendais pas compte. À 17 ans, un homme m'a proposé de me payer pour du sexe, j'ai accepté. Ça s'est super bien passé. Pendant une période, je travaillais en crèche à côté. Depuis trois ans, j'ai lâché la crèche et mon appartement, et je suis maintenant nomade.

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Le premier message que j'aimerais faire passer pour la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux travailleuses et travailleurs du sexe, c'est qu'on a besoin d'aide. On a besoin que tout le monde déconstruise sa vision du travail du sexe. La diabolisation de notre métier, les certitudes qu'on peut en avoir, entretiennent un stigma. Et ce stigma nous tue. Il y a trois jours, une de mes amies s'est suicidée. Elle se faisait harceler juste parce qu'elle voulait faire son taf. C'est très dur et c'est une réalité qu'on vit au quotidien. Tous les jours on lit des messages comme : "La prostitution c'est du viol tarifé." Propager cette idée est dangereux et indécent pour les vraies victimes de viol.

"La loi Avia risque de m'impacter directement"

Le deuxième message, c'est qu'il faut arrêter d'être indifférents. On a besoin d'un soulèvement. En manif de travailleuses et travailleurs du sexe, on est quarante et on ne voit que des putes. Certains me disent qu'ils respectent mon métier, mais visiblement pas assez pour venir en manifestation. Pourtant, on crée des lois qui sont précarisantes et dangereuses pour toutes les façons de travailler, sur Internet comme dans la rue.

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Moi, j'utilise les applications gays. Je me fais bannir de Grindr régulièrement. J'ai créé un compte Instagram, "TDS vs. Grindr" pour montrer la réalité que vivent les travailleuses et travailleurs du sexe et faire de la pédagogie pour expliquer en quoi c'est problématique. Par exemple, sur l'appli, on peut recevoir : "Fais la tapin ailleurs" ou "Pour nettoyer Grindr des indésirables, pensez à signaler les escorts". J'ai aussi mon propre site Internet, où j'écris ma vie et qui me permet de trouver des clients. La loi Avia entend lutter contre la haine, mais elle inclut le proxénétisme. Or, d'après la loi sur le proxénétisme, dès que tu es visible, tu es considéré comme proxénète. Cette nouvelle loi va entraîner la fermeture de sites indépendants, et risque de m'impacter directement.

"J'ai chopé le VIH parce qu'un client n'a pas voulu mettre de capote"

Je fais partie des 250 travailleuses et travailleurs du sexe qui ont saisi aujourd'hui la Cour européenne des droits de l'homme. Nous demandons le retrait de la loi prostitution de 2016 mais aussi une modification de la loi sur le proxénétisme. La loi de 2016 est complètement illogique. C'est comme si tu pouvais ouvrir une boulangerie mais pas travailler dedans. Cette loi a encouragé le VIH, la précarité, voire la mort chez les travailleuses et travailleurs du sexe.

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Il y a deux ans, j'ai chopé le VIH parce qu'un client n'a pas voulu mettre de capote. Depuis 2016, on a moins la possibilité d'imposer la capote. Avant, je demandais plus cher pour du sans capote. Maintenant, j'ai moins de clients donc je prends ce qui passe et j'ai baissé mes tarifs. Je n'ai pas le choix. L'année dernière, Vanesa Campos s'est fait tuer au bois de Boulogne. Elles et ses collègues devaient aller se prostituer plus loin que d'habitude dans le bois pour protéger l'anonymat de leurs clients. Elle a voulu prendre la défense d'une de ses collègues contre des rôdeurs et s'est fait tuer. Plus on est cachés, moins notre sécurité est garantie.

 

Crédit photo : Pixart