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LGBTphobieTrois témoignages poignants de victimes de harcèlement scolaire

Par Youen Tanguy le 24/01/2020
Harcèlement scolaire

TÊTU est allé à la rencontre de plusieurs élèves harcelés en raison de leur orientation sexuelle. Et sans surprise, leur souffrance est immense.

Ces témoignages ont initialement été publiés dans le numéro 217 du magazine TÊTU à l'occasion d'une enquête sur le harcèlement scolaire. Nous les republions à l’occasion de la Journée Internationale de l’éducation, et suite à l’appel de l’Inter-LGBT au ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, ce vendredi 24 janvier 2020.  

Marc*, 17 ans : "Je me suis scarifié" 

"J’ai fait une partie de ma scolarité dans une petite ville de 2000 habitants. Le harcèlement a commencé dès les premiers jours au collège, avec des moqueries et des insultes comme “pédé” ou “pédale”. Là où j’ai vraiment craqué, c’est quand des garçons ont commencé à me donner des coups de règle dans les bras avant de rentrer en cours. J’en ai parlé à mes professeurs et j’ai changé de classe tout de suite.

J’ai commencé à faire des grosses crises d’angoisse quelques mois plus tard, par rapport à tout et n’importe quoi. Je n’avais plus trop confiance en moi et je paniquais sans arrêt. Ça a duré jusqu’en janvier et c’est revenu en cinquième, quand mon meilleur ami a arrêté de me parler et est devenu copain avec mes harceleurs.

"Il n'y a jamais eu de sanctions"

Avec sa bande, ils ont commencé à m’insulter de manière plus régulière, à mal me regarder quand je passais, me montrer du doigt... L’incident le plus violent a eu lieu à Halloween. Je portais un masque, mais plusieurs gars m’ont quand même reconnu. Ils m’ont poussé devant les casiers, je suis tombé et ils sont partis en courant. J’en avais parlé à ma professeur principale qui a dû aller les voir. Quand je les ai revus, ils se sont foutus de ma gueule.

J’ai été jusqu’à me scarifier quand j’étais en quatrième. Je faisais exprès de me remonter les manches pour que mes amis voient que j’allais mal. Ils savaient, ils entendaient les remarques mais ne réagissaient pas plus que ça. Je voulais juste avoir un vrai ami, quelqu’un qui soit là pour moi, qui s’occupe de moi, qui me défende.

J’ai souvent été convoqué dans les bureaux des CPE avec mes harceleurs. Parfois plusieurs fois avec les mêmes personnes. Ils ont toujours eu le droit à des remontrances, ou on leur demandait de s’excuser et de ne pas recommencer. Mais il n’y a jamais eu de réelles sanctions. Après tout ça, j’ai essayé de changer, d’être moins efféminé. Il y a des choses que je ne fais pas car je veux paraître “bien” aux yeux des autres. J’essaie d’être discret, de ne pas trop attirer l’attention sur moi, de me couler dans le moule. Encore aujourd’hui, je ne sais pas vraiment si je suis moi-même ou si je suis la personne que j’ai essayé de devenir pour mes harceleurs."

 

Valentin*, 15 ans : "Je ne fonctionnais plus" 

"Pour moi, le harcèlement a commencé en classe de quatrième. Des personnes que je connaissais, mais aussi des inconnus, ont commencé à me traiter de “pédé” et à me faire des petites tapes derrière la tête quand je passais dans les couloirs. Parfois plusieurs fois par jour. C’était comme une attraction. Les gens avaient envie de se défouler sur quelqu’un et j’étais leur souffre-douleur. Ça a duré quatre mois. Quatre mois d’enfer où je me sentais constamment visé, tout le temps. J’avais l’impression que tout le monde était contre moi.

Les surveillants s’en fichaient totalement. Ils passaient et détournaient les yeux, comme si de rien n’était. Certains enseignants ont réagi, comme ma prof d’histoire-géo qui m’a incité à en parler. Je suis allé voir la proviseure, qui a dit que c’était inacceptable. Le harcèlement a stoppé, mais personne n’a été exclu. Ils ont seulement eu des avertissements. Ça a recommencé en troisième, à la faveur d’une rumeur. Le bruit courait que je me mettais des choses dans les fesses, comme des légumes. Ça a duré trois semaines non-stop jusqu’à la fin de l’année scolaire. À chaque insulte, je perdais un peu plus foi en l’humanité. J’étais au plus mal. Je ne marchais plus correctement, je ne fonctionnais plus. J’étais dépité par ma vie. Je me demandais très souvent: “Pourquoi ? Pourquoi c’est comme ça ?” J’ai eu envie de gommer qui j’étais, de me faire une mise à jour et d’effacer cette partie de moi pour qu’elle ne se voit plus.

"C'est une angoisse constante"

Depuis, je suis entré au lycée, mais le harcèlement continue. En septembre, j’ai reçu un message sur Instagram d’un garçon que je ne connaissais pas. Il m’a demandé si j’aimais toujours me “mettre des concombres dans le cul” et qu’on allait “régler ça comme des hommes”. J’essayais d’avoir le moins possible d’élèves de ma classe parmi mes contacts sur les réseaux sociaux, mais il arrivait parfois que des gens viennent m’insulter et me dire des choses sales gratuitement.

Aujourd’hui, dès que quelqu’un vient me parler, j’ai peur que ce soit pour se moquer de moi ou me frapper. Quand je traverse un couloir, je redoute d’entendre les réflexions et de voir les regards se poser sur moi. C’est une angoisse générale et constante, qui se transforme en paranoïa."

Hugo, 20 ans : "Une institutrice a suggéré à ma mère de me faire dépister"

"Mes premiers souvenirs de harcèlement remontent à mes 6 ans, quand j’étais en CP. Un enfant de ma classe a commencé à m’insulter régulièrement sous prétexte que j’étais différent des autres garçons, “trop féminin”. Il est même allé jusqu’à m’étrangler pendant la récré.

J’ai changé d’école l’année suivante, mais ça a continué. Un mec plus âgé que moi me harcelait constamment, me traitait de “pédé” et me donnait des coups de pieds. Ce n’était pas tous les jours, mais toutes les semaines j’avais le droit à deux ou trois insultes et des violences occasionnelles. Les élèves de mon école savaient aussi que mon père était décédé du sida. Des parents avaient demandé à ce que leurs enfants ne m’approchent pas, ce qui n’a rien arrangé. Une institutrice avait même suggéré à ma mère de me faire dépister, pour être sûr que je ne sois pas séropositif. C’est au collège que ça a commencé à devenir vraiment grave. À la différence de l’école primaire où mes amis me soutenaient, là mes principaux harceleurs étaient mes propres “amis”. Les insultes fusaient surtout au moment des récrés. On me traitait de “femme”, de “faible”... C’était un peu le défouloir. Dès qu’il y avait moyen de lancer une insulte, elle était pour moi. Toujours sous l’observation des surveillants qui n’ont jamais rien fait pour que ça s’arrange.

"Pas un jour sans injure"

J’ai compté les jours de la quatrième à la troisième. Il ne s’est pas passé une seule journée sans que je ne reçoive une injure. Ça s’est surtout intensifié au niveau de mes “amis” garçons. Je continuais à les voir car je n’avais personne d’autre avec qui traîner, et je me refusais à rester avec les filles, pour ne pas accentuer le harcèlement. Le pire, c’était les vestiaires. Je me souviens d’une anecdote, en troisième, où les mecs s’étaient concertés pour me foutre à poil. Ils voulaient voir si j’allais bander, pour avoir la certitude que j’étais gay. Heureusement ils n’ont pas réussi – mais je ne me suis jamais autant senti en danger.

Ça a été une période traumatisante. Aujourd’hui, je ne peux plus être ami avec des mecs. J’imagine tout de suite qu’ils ont des pensées homophobes. J’ai aussi eu beaucoup de mal à construire mon identité. Je n’ose pas aller vers les filles – je suis bisexuel –, car on m’a rabâché toute ma vie que je ne rentrais pas dans les critères de masculinité et de virilité. Mais si le comportement de mes harceleurs a créé des traumatismes chez moi, ça aussi forgé mon caractère. Je suis engagé, je ne fais aucune concession sur ce que je suis. C’est paradoxal de me dire que ce sont mes harceleurs qui ont développé mon identité queer, mais c’est bien le cas.

*Les prénoms ont été changés