Les élèves LGBT+ sont en première ligne du harcèlement scolaire, souvent dans le plus grand silence. Une chape de plomb scellée par leurs bourreaux, avec la complicité involontaire des équipes pédagogiques impuissantes et des pouvoirs publics, coupables de passivité...
Cette enquête a initialement été publiée dans le numéro 217 du magazine TÊTU. Nous la republions à l'occasion de la Journée Internationale de l'éducation, et suite à l'appel de l'Inter-LGBT au ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer, ce vendredi 24 janvier 2020.
La porte d’entrée grince. Elle est encore plus rouillée que dans mes souvenirs. Je descends quelques marches et me retrouve face à l’imposante façade de mon ancien collège. Rien n’a changé. Les volets sont toujours bleus. Le macadam, toujours gris. Seuls les arbres me paraissent plus grands, mais la boule au creux de mon ventre est la même.
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Les souvenirs reviennent par flash. Je dépasse les vestiaires, où l’on m’isolait pour que je ne regarde pas les autres garçons se changer. Je longe les casiers à codes, où tous les matins deux types me décoiffaient. Je passe devant la cantine aux murs jaunis, où une bande de filles avait une fois moqué ma démarche “trop féminine”. Devant les grandes marches noircies de l’entrée, où Keïta m’avait glissé à l’oreille “sale pédé, je vais te régler ton compte à la sortie”. Devant les toilettes, où je refusais de mettre les pieds pour ne pas me retrouver muré avec eux – jusqu’à en avoir mal au ventre. Devant le couloir qui mène au bureau du proviseur, où je n’ai jamais osé me rendre pour raconter ma souffrance.
Cette histoire, j’ai longtemps tenté de l’occulter. C’est aussi celle de milliers d’autres filles et garçons taquinés, brimés, humiliés, insultés, bousculés, parfois violentés à l’école parce que différents. Parce que “trop efféminés” ou “trop masculines”, “pas assez baraqués” ou “trop minces”, “follasses” ou “camionneuses”, parce que supposés “pédés”, “gouines”, “bi” ou “trav”.
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Des mesures timides
L’orientation sexuelle et l’identité de genre sont deux des principales causes du harcèlement scolaire. Selon une récente étude, la moitié des jeunes LGBT+ français ont déjà été victimes d’insultes, de brimades ou de moqueries durant leur scolarité. Une autre enquête révèle que la majorité de celles et ceux qui ont été agressés verbalement l’ont été dans un établissement scolaire. “Pédé” reste la première insulte prononcée dans les cours de récréation, constate l'ex-président de SOS Homophobie Joël Deumier. L’homophobie et la transphobie ne sont pas traitées comme les autres formes de haine.”
En France, des actions ont été menées ces dernières années pour lutter contre les stéréotypes de genre et les LGBTphobies à l’école : l’ajout de la lutte contre l’homophobie au programme scolaire, la mise en place d’une campagne de sensibilisation spécifique, la création d’un numéro d’écoute... D’autres projets n’ont jamais vu le jour, à l’instar des “ABCD de l’égalité” de l’ancienne ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, tués dans l’œuf face à la pression des lobbys réactionnaires. Mais quid de mesures vraiment concrètes, à la hauteur de ce qu’endurent les victimes ? Rien n’est fait. Ou si peu.
Joël Deumier réclame la formation systématique des équipes pédagogiques, de l’enseignant au proviseur en passant par le personnel de santé ou les surveillants. Et ce, dès l’école primaire. Car c’est souvent là que se joue la construction des stéréotypes de genre.
“ Pédé", une ponctuaction
C’est ce que constate Jérôme, professeur des écoles dans le nord de la France. “Si jamais un gamin dit “fils de pute” ou “salopard”, on va immédiatement le sanctionner. Par contre “pédé” ou “enculé”, on ne réagit pas forcément. “Pédé”, c’est une ponctuation, pas de l’insulte. Des victimes nous disent régulièrement avoir vu leur enseignant sourire à une blague homophobe”, dénonce-t-il. “Il n’y a aucune hésitation à avoir quand on identifie dans la classe ou dans la cour un propos ou une violence homophobe. Toute hésitation est coupable.”
Quand le corps enseignant opte pour le silence, il se fait complice de la violence. “Déceler le harcèlement n’est pas évident quand il a le plus souvent lieu dans la cour, voire en dehors de l’établissement ou sur les réseaux sociaux”, reconnaît David, professeur de SVT dans un lycée de région parisienne. “L’homophobie et la transphobie ne sont pas traitées comme les autres formes de haine. Le silence autour de l’homophobie à l’école est organisé et entretenu par les agresseurs eux-mêmes.”
Des bonnes pratiques
Car le harcèlement n’existe plus seulement dans l’enceinte de l’école. Il se poursuit bien souvent sur les réseaux sociaux via Facebook, Instagram, Snapchat ou Twitter. Comment déceler et endiguer un tel un acharnement numérique, qui ne laisse aucun répit aux victimes ? Certaines bonnes pratiques sont à chercher chez nos voisins. Dans les écoles néerlandaises, plusieurs initiatives ont fait leurs preuves.
Le Purple Friday, inspiré du Spirit Day américain, a été instauré en 2010 dans le pays et se tient chaque deuxième vendredi du mois de décembre. Ce jour-là, les établissements scolaires doivent aborder la question de l’homophobie et de la transphobie à l’école et les élèves sont invités à porter du violet en soutien aux personnes LGBT+. Toujours aux Pays-Bas: des groupes de lutte contre les LGBTphobies ont été créés dans les établissements scolaires pour libérer la parole des victimes.
"Sentinelles"
Mais il n’est pas nécessaire de passer les frontières pour trouver l’inspiration. L’initiative “Sentinelles” a vu le jour il y a quelques années dans un collège d’Evry, dans l’Essonne. Elle part du principe qu’il existe quatre postures dans une situation de harcèlement: le bouc-émissaire, le harceleur, le spectateur et le rebelle. Plusieurs dizaines d’élèves, les “rebelles”, sont identifiés et formés dès le début de l’année afin de détecter les cas de harcèlement.
“Ils peuvent aller voir le bouc-émissaire, s’adresser aux personnes qui gravitent autour du harceleur ou prendre des notes et évoquer le sujet lors des réunions bi- hebdomadaires des Sentinelles”, explique Max Tchung-Ming, à l’origine de ce projet inédit. Il est aujourd’hui principal- adjoint du collège Chantenay en Loire- Atlantique, où il a également mis en place le dispositif. “Avant de lancer “Sentinelles”, je ne voyais pas trop le harcèlement, reconnaît-il. Maintenant, on a de nouvelles remontées de cas toutes les semaines. Des choses qui ne semblent pas très graves mais qui pourraient le devenir si on n’y remédie pas.”
Briser le silence
Selon une étude américaine publiée en 20163, le risque de suicide chez les jeunes LGBT+ est presque cinq fois plus élevé que chez les hétérosexuels. En 2015, une autre étude rapportait que 40% des adultes trans’ avaient déjà fait une tentative de suicide, la grande majorité avant l'âge de 25 ans. Un chiffre vertigineux, alimenté notamment par le silence dans lequel se murent les victimes. Preuve en est: seuls des hommes ont accepté de témoigner à visage découvert dans les colonnes de TÊTU. Ce qui ne veut pas dire que les femmes et les personnes trans’ ne sont pas concernées par le harcèlement.
Ce silence s'explique en partie parce qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, pour une personne LGBT+ de parler de son harcèlement sans dévoiler sa propre sexualité. Une sexualité dont elle n’a parfois pas encore pris conscience. Le silence aussi parce qu’être insulté et violenté est vécu comme une honte. Le silence enfin par crainte des représailles, que le harcèlement ne fasse que s’aggraver si l’on parle. “Le silence autour de l’homophobie à l’école est organisé et entretenu par les agresseurs eux- mêmes”, abonde Joël Deumier. Faut-il attendre de passer un palier de violence supplémentaire pour que les choses bougent ? Il est plus que temps d’agir.
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