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interviewYadam après "Nouvelle Star" : "Ce disque, je l’ai fait seul et j’en suis fier"

Par Romain Burrel le 01/04/2020
Yadam

Deux ans après sa participation à Nouvelle Star sur M6, Yadam sort un premier EP chic et autoproduit. Rencontre avec le jeune chanteur venu du Venezuela au parcours poignant.

Il y a deux ans, le public de Nouvelle Star découvrait Yadam Andrés. Son timbre doux et émouvant, sa larme facile, ses reprises habitées de Sam Smith ou de Coeur de Pirate, faisaient de ce jeune Vénézuélien âgé de 19 ans le gagnant tout désigné de l'ultime saison du télécrochet de M6. Mais l'histoire en décida autrement.

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Depuis, Yadam a pris son temps. Peaufinant dans son coin un premier EP, sans label, sans pression et produit grâce à une campagne de financement participatif. Intitulé "Safeplace", ce premier effort regroupe une collection de chansons pop élégantes écrites en trois langues (l'anglais, le français et l'espagnol), cartographie d'une vie nomade et déjà bien remplie. Le temps d'une entrevue réalisée par Skype, confinement oblige, Yadam retrace avec nous son histoire éclatée entre son pays d'origine, le Venezuela, les États-Unis et la France. Il en profite pour évoquer spontanément, et pour la première fois en interview, son homosexualité. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup.

Ton EP, sorti il y a un mois, s'appelle "Safeplace" ("abri"). En ce moment à cause du covid, on est tous réfugiés dans nos "safe places". Pourquoi l'avoir baptisé ainsi ? 

Yadam : Je l'ai appelé "Safeplace" car, dans ce grand délire qu’est ma vie où tout change en permanence, j’ai besoin d’un refuge. Je me sens souvent perdu et jamais content de moi. Mais dans mes chansons, il n'y a pas de place pour le doute. Quand j’ai quitté le Venezuela pour venir en France, au départ ça ne devait être que le temps d'un simple séjour. Et puis j’ai voulu rester. Mais je sentais quand même un peu perdu. Cet EP raconte cette quête d'un refuge après avoir quitté mon pays, ma famille mais aussi l’amour. Et je pense qu'on a tous besoin d'un abri.

Est-ce que la France est une "safeplace" pour toi ?

La France a effectivement été un refuge pour moi. Pas seulement parce qu’elle m’a permis de quitter un pays en crise. Mais aussi parce qu’ici, j’ai pu développer mon talent et vivre mon rêve. C’était impossible au Venezuela. J’adore la France. Mais est-ce que je vais rester ici toute ma vie ? Je ne pense pas. J’aime trop bouger. J’aime devoir me reconstruire à chaque fois.

Lors de ton passage à Nouvelle Star, on te comparaît beaucoup à Sam Smith, que tu as d’ailleurs repris pour l'émission. Mais la production de ton album est très loin de sa musique. Quelles sont tes influences musicales ?

J'adore James Blake et Florence and the machine mais aussi d'autres artistes comme RY X et Banks. Coté pop, j’aime aussi beaucoup Lorde. Je dis que je fais une pop alternative avec une production un peu décalé. On a vraiment beaucoup bossé pour que cet EP sonne classe même si c’est un projet indé qu'on a fait avec quasiment rien.. Ce disque, je l’ai fait seul. Sans label. Et j’en suis fier.

Est-ce que la participation à Nouvelle Star t'a permis de choisir ton style ?

On ne m’a pas demandé de choisir. On m’a obligé à faire des choses. J’ai fait Nouvelle Star sans savoir où je mettrais les pieds. Je viens d’un pays où l’on n’a même pas le droit de faire des choix. Alors quand tu arrives en France et que tu viens d’un pays où il n’y a pas de liberté, tu n’as pas envie qu’on t’impose quoi que ce soit. Je n’ai pas quitté une dictature pour me retrouver dans une dictature musical !

Au sortir de Nouvelle Star, j’avais l'opportunité de faire un album entièrement en français, à la Loïc Nottet. Ce n’est pas désobligeant. J’aime ce qu’il fait. Mais moi, j’avais envie d’explorer mon univers et faire quelque chose qui me ressemble. Mais dans un sens, le fait qu’ils aient cherché à m'imposer un style m’a, forcé à trouver le mien. Je suis beaucoup inspiré par Yseult (finaliste de la saison 10 de Nouvelle Star). Je trouve son parcours incroyable. Ça fait six ans qu’elle bosse. Mais je ne veux pas vendre mon âme pour un instant de célébrité. J’ai déjà vécu mon moment de gloire à Nouvelle Star. Et ça ne dure que le temps de l’émission. Après c’est mort.

Tu regrettes d'avoir fait Nouvelle Star ?

Non. C’est comme un ex, tu ne peux pas regretter des choses que tu vis et qui te font grandir. Nouvelle Star, ça a été une porte, même si c’était une "porte vide" pour reprendre un titre de mon EP ("Empty Doors"). Cette porte m’a permis de faire mes premiers pas. Est-ce que j’aurais aimé que ça se passe autrement ? Si j’avais été conscient de ce que je faisais ? Si je n’étais pas obligé d’accepter ces compromissions, car sinon, je devais rentrer au Venezuela ? Sûrement.

Si tu ne participais pas à l’émission, tu devais rentrer au Venezuela ?

Sans l’émission, je n’aurais pas pu demander un visa d’artiste donc, oui, j’aurais dû rentrer. Les producteurs connaissaient mon histoire mais ils ne savaient pas tout. Ils me disaient juste: "Faut que tu règles tes problèmes." Mais la vérité, c’est que si je n'arrivais pas en finale et donc si je n’avais plus de contrat de travail, je devais quitter la France. C’est pour ça que je pleurais tout le temps ! On parlait beaucoup de moi dans les médias mais si je me faisais éliminer, c’était mort. À l’époque, je n’avais même pas l’ambition d’être artiste. Je n’avais même pas de logement. J’habitais à l’hôtel payé par la production. Que faire après ça ? Je me répétais "Dieu est avec moi. Et ce qui doit arriver arrivera."

Dans RuPaul’s Drag Race, il y a plusieurs drag queens qui semblaient devoir gagner la compétition mais à qui la victoire a échappé. Les fans les surnomment les "robbed queens". Est-ce que tu as l’impression d’être une "robbed queen" de Nouvelle Star ?

Bien sûr qu’on m’a volé le titre ! (Rires.) Mais gagner Nouvelle Star ne m’aurait pas aidé du tout. Je n’aurais pas eu la liberté de raconter mon histoire comme je l’entends. J’aurais fini comme le gagnant (Xavier Mateú) qui, au final, a sorti un disque mais pas celui qu’il aurait voulu faire. Je voulais publier un premier projet qui me permette de gagner le respect des gens en France mais aussi d’aller ailleurs. Pour répondre à ta question : oui, je me sens comme une "robbed queen" parce que je méritais le titre. C’est sûr, la nouvelle star, c’était moi ! (Rires.)

Sur ton EP, il y a une très belle chanson en anglais qui s'intitule "(Say you’re) Sorry". Elle s'adresse à qui cette chanson ?

C’est une chanson que j’adresse aux États-Unis. Comme si ce pays était une personne... ou un ex que j’aurais eu. (Rires.) Je raconte la séparation entre moi et cette nation que je pensais être ma maison. Avant de venir en France, j’ai vécu aux USA de mes 4 ans à mes 14 ans. Après dix ans dans le processus d’immigration, toute ma famille a eu des papiers américains... sauf ma mère. Mon frère et moi pouvions rester aux États-Unis mais ma maman, elle, devait partir. Alors on est rentrés tous les trois au Venezuela.

Pendant longtemps j’ai eu beaucoup de colère. Je ne comprenais pas pourquoi ce pays que je considérais comme le mien me demandait de partir. J’avais quitté le Venezuela très jeune, je n’étais pas super heureux à l’idée de rentrer dans un pays où tout le monde me disait que j’allais mourir car les problèmes avaient déjà commencé. Finalement, j’ai appris à l'aimer. "(Say you’re) Sorry" est une chanson de vengeance où je règle des comptes. C'est ma façon de dire : "Tu m’as dit que j’étais nul et que je devais partir. Mais regarde je suis en train de faire ce que j’aime dans un autre pays et je suis encore plus heureux que lorsque j’étais avec toi ." C’est ma façon de dire à mon passé : "Fuck you but thank you."

Tu as l’air d'être très proche de ta maman. Est-ce que venir en France t’a aussi permis de couper un peu le cordon ?

Ces deux années passées en France sans elle ont changé l’homme que je suis. J'ai dû prendre ma vie en main. Ma mère ne peut pas me juger. Ce que j’aime dans cette distance, c’est qu'elle nous permet de nous apprécier beaucoup plus. Tu sais, le fait d’être homo, c’est pas simple au Venezuela ou plus généralement en Amérique latine. Ma mère, par exemple, n’arrive même pas à dire que je suis gay... Mais désormais quand j’évoque ce sujet avec elle, et à cause de cette distance, elle ne peut pas me détester pour ça. Ce serait prendre le risque de nous séparer davantage. L’année dernière, je lui ai dit : "Si tu veux arrêter de me parler à cause de cela, très bien. Je ne te parlerai plus. Mais c’est toi qui choisis de nous séparer. Pas moi." Elle a compris. Mais je t’avoue que j’ai très hâte qu’elle arrive. J’en ai marre d’attendre !

Être ouvertement gay au Venezuela, ça n'est pas envisageable ?

Quand j’étais plus jeune au Venezuela, j’étais mal dans ma peau. Les hommes vivent dans une pièce, les femmes dans l’autre. Du coup, je ne savais pas dans quelle pièce je devais être. Les hommes regardaient du foot et parlaient des femmes. Et les femmes, elles, faisaient la cuisine. Moi j’étais tout le temps dans la cuisine avec ma mère. Je ne me sentais pas accepté par les hommes.

L’année dernière je suis rentré pour refaire mon visa.  Cette fois, j'étais dans la pièce avec des hommes car désormais je suis sûr de qui je suis. Même si je les jugeais un peu, ces machos qui vivent encore comme si c'était les années 50 ! (Rires.) Mais bien que je sois gay, je ne me sentais pas moins homme. Je suis juste un homme qui aime aussi les hommes. Mais je ne veux pas parler de mon homosexualité au Venezuela. Ça serait très bizarre. Et très mal vu. 

Récemment tu as fait la première partie de Carly Rae Jepsen. Il paraît que l’atmosphère était assez gay et que tu as adoré ça…

C’était magique. Quand je suis sur scène, j'adore regarder les gens et sentir qu’ils sont avec moi. Je me suis senti totalement chez moi. Je pouvais parler de ce que je voulais avec le public. Critiquer mon ex, par exemple (Rires.) C’était très chouette ! Un public pareil, c'est le rêve !

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Crédit photos : Diane Moyssan