Les mesures de protection liées au COVID-19 entravent les projets d’enfant et pèsent lourd sur le moral des femmes engagées dans une démarche de PMA à l’étranger.
Pas toujours facile de vivre le confinement entre les pleurs d’un nourrisson et sa grande sœur de six ans qui trépigne de ne pas pouvoir retourner à l’école. Même dans une maison près de Marseille avec un jardin. Mais après des mois de galère à espérer la venue d’un second enfant, Rosine et Nathalie savourent de tenir leur bébé dans leurs bras. Avec le sentiment rétrospectif de l’avoir échappé belle. Si le COVID-19 s’était invité sur la planète un an plus tôt, il aurait balayé leurs espoirs d’agrandir la famille. Tony, leur fils, a vu le jour grâce à une PMA effectuée à Barcelone en mai 2019. Leur dernière tentative après quatre inséminations avec donneur infructueuses. A 39 et 44 ans, elles avaient décidé de mettre un point final à ces voyages qui leur chahutaient le corps et l’esprit.
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Replongées dans les couches, elles ont un pincement au cœur en songeant à toutes celles qui sont entrées dans le cycle infernal d’une PMA à l’étranger. Comme Laura, 33 ans, et Emilie**, 38 ans, à Grenoble. Depuis septembre 2018, en s’approvisionnant auprès d’une célèbre banque de sperme scandinave, les épouses ont pu procéder à onze inséminations avec donneur (IAD). Emilie en a enduré neuf, dont deux ont abouti à des grossesses… suivies de fausses couches. Avant le confinement, elle était prête à passer à une étape plus lourde et plus onéreuse : la FIV dans une clinique du Danemark, où la législation permet une levée d’anonymat à la majorité de l’enfant. Aventure stoppée net lorsque la France s’est claquemurée, le 17 mars à midi.
Solliciter un proche ?
Depuis, l’impatience le dispute à la colère. Laura enrage de voir leur désir d’enfant assujetti à la liberté de circuler. Privé d’action, le couple s’abîme dans des réflexions sur sa stratégie. Et étudie toutes les pistes. Après presque un mois et demi de confinement, les trentenaires songent à une hypothèse qu’elles n’avaient jamais envisagée : solliciter un membre de leur cercle relationnel.
Si les frontières demeurent fermées et que Sophie ne peut se rendre au Danemark avant des lustres, ce sera peut-être le seul moyen pour elle d’espérer porter un bébé. Par altruisme, un ami déjà père serait presque prêt à les aider. Mais on sent bien que cette option relève du compromis, plus que d’un choix réel. « Issu de notre entourage, le géniteur deviendrait bien présent, bien vivant. Cette configuration nous fait un peu peur, elle nous semble plus difficile à gérer. » Elles qui étaient « très fermes depuis le début » et voulaient un mode de conception guidé par le seul bien-être de leur futur enfant, redoutent un sentiment d’abandon. « Comment lui faire comprendre que cet homme ne s’en occupe pas comme il le fait avec ses frères et sœurs biologiques ? »
Incertitudes
Ces semaines « à blanc » rappellent sans cesse à Emilie que « sa réserve ovarienne diminue ». D’ailleurs, entre deux biberons, c’est surtout pour les plus âgées que Rosine s’émeut. « C’est pour elles que ce coup d’arrêt doit être le plus douloureux. Pour celles qui mesurent chaque jour que, plus le temps passe, plus elles perdent en fertilité. Pour les autres, cette suspension n’est ni confortable ni agréable, mais tout repartira dans quelque temps. Mieux vaut en profiter pour une vraie pause plutôt que tirer des plans sur la comète.»
Reste un climat très anxiogène. « Quand tu affrontes ces parcours-là, tu as vraiment besoin d’être sereine.» Sereine, Laura ne l’est pas vraiment. Elle est même très préoccupée par son sort professionnel. Ingénieure, elle a prévu une formation à la rentrée pour se reconvertir. Musicienne, sa femme est intermittente du spectacle. Si leurs finances s’érodent avec le marasme économique annoncé, leur budget PMA risque d’en pâtir. « L’incertitude fait partie de la démarche, mais le COVID lui rajoute une énorme couche d’inconnues et de contraintes. »
Changement de plan
Confinées à Lyon, Constance, 30 ans, et Elodie, 33 ans, ont déjà dû emprunter par le passé. En pure perte. Depuis décembre 2018, leur quatre IAD à Espagne ont été des flops, malgré un bilan médical encourageant. En mars dernier, Constance devait passer une hystérosalpingographie en vue d’un autre essai. Faute de rendez-vous, l’examen avait été repoussé en avril. On connaît la suite… Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elles se consolent à l’idée que Constance aurait pu se retrouver en Espagne en pleine épidémie. Et gambergent, elles aussi, sur leur futur plan d’attaque. Puisque ça n’a pas marché avec Constance, Elodie doit-elle prendre le relais et devenir celle qui porte ? De son propre aveu, Constance ne vit « pas si mal » cette parenthèse, mais elle est démunie car elle sent qu’elle « ronge » sa femme, entourée de gens « qui font des bébés en permanence ». Sa coque de protection est fragile.
Or, depuis que le COVID enferme les familles à domicile, c’est comme si les coups redoublaient. Il y a ces collègues qui geignent de devoir cohabiter avec leurs mômes ou cette rengaine exaspérante : « Pas trop dur le confinement avec des enfants ? » « Moi, j’aimerais bien pouvoir m’en plaindre ! », tempête Elodie. Constance ne trouve d’autre solution que de lui proposer « des stratégies d’évitement des bébés des autres. A chaque appel de son collègue, elle entend babiller le sien. Il pourrait comprendre et l’éloigner. Il sait ce que c’est, il a lui-même eu du mal à avoir un petit.»
Car les heureux évènements fleurissent toujours. « Mon frère m’a annoncé il y a dix jours qu’il attendait son quatrième. Avec sa nouvelle compagne ils ont formulé ce désir en janvier. En février, elle était enceinte !, soupire Laura sous le coup d’un sentiment d’injustice. Je suis évidemment contente pour eux mais, en ce moment, la joie des autres est d’autant plus dure à encaisser que, nous, nous ne pouvons rien faire. »
Et la loi ?
Le destin du projet de révision des lois de bioéthique, qui prévoyait l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, rajoute au blues ambiant. Alors qu’on pouvait raisonnablement l’imaginer adopté cet été, Laura craint qu’il n’atterrisse sous la pile des urgences législatives. Avec tout ce qu’il représentait : une sortie de la clandestinité, le soulagement de ne plus exposer les soignants qui les aident à des poursuites et l’espoir de bénéficier d’une FIV légale en France si leur couple était à bout de ressources pour se rendre à l’étranger. Constance et Elodie évoquent aussi ce symbole englué si près du but, lorsqu’elles se perdent en conjectures plus ou moins rationnelles sur les modalités du déconfinement. « Nous espérons que les gouvernants penseront aux personnes pour lesquelles ils sont censés faire une loi et permettront leurs déplacements. »
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Mais quid de l’ouverture des frontières ? Sans visibilité, Laura et Emilie rongent leur frein. « Au début, on se disait que ce n’était pas grave, qu’on ferait la FIV cet été. Là, on ne sait même pas.» En attendant, elles se raccrochent aux points positifs. Leur « super gynéco » n’a pas cessé son activité par conscience professionnelle. Laura a appelé plusieurs fois le Danemark. La banque de sperme dit continuer d’assurer ses livraisons. La clinique est « très présente, très réactive par mail. Elle encourage les téléconsultations pour préparer les FIV des mois à venir ». En France, elles peuvent à nouveau compter sur les labos, même si ce n’est pas tout à fait selon leurs conditions habituelles. « Le seul qui fonctionne d’ordinaire le dimanche et se situe près de chez nous, n’ouvre pas encore ce jour-là. Or, nous pouvons avoir besoin d’examens tout le week-end ».
« Empêchées », enlisées dans une Europe barricadée, toutes n’ont d’autre choix que de « faire avec ». De cultiver le mental pour imaginer en rose ou bleu layette un avenir dont elles ignorent les contours. Comme des athlètes dans leurs starting-blocks auxquels on refuserait le top départ d’une course d’obstacles. Et d’endurance.
*les prénoms ont été changés.