Le réalisateur Chris Bolan s'est penché sur l'idylle longtemps gardée cachée de ses grand-tantes, ensemble depuis 65 ans. Une œuvre à voir d'urgence, mouchoirs à portée de main.
Lorsqu'on voit le nom de Ryan Murphy apposé sur une œuvre quelle qu'elle soit, il est presque logique de s'attendre à une satire éminemment pop ou une anthologie bien manufacturée. Pourtant, une fois n'est pas coutume, le créateur s'est distancé de ses fictions habituelles afin de produire un documentaire, bien planté dans la réalité. Aux antipodes de Glee ou American Horror Story, il a choisi de produire A Secret Love, un récit de vie poignant et diablement inspirant.
Dans cette production intimiste, le documentariste Chris Bolan braque sa caméra sur ses grand-tantes, Terry Donahue et Pat Henschel, en couple depuis plus de six décennies. Les deux femmes se sont rencontrées en 1947, à une époque où l'homosexualité n'était pas bien vue. Depuis, elles ne se sont pas quittées, habitant ensemble depuis un moment, sans jamais divulguer pour autant leur relation. Ce n'est qu'à un âge avancé, quatre ans avant le tournage de A Secret Love, que les deux font enfin leur coming out et officialise leur histoire auprès de leur famille et leurs proches. D'une durée de 1min23 environ, ce docu retrace leur love story peu commune.
Une œuvre très soignée
Sur le plan technique comme esthétique, A Secret Love est impeccable. Le documentaire est un film au travail léché, sur la forme comme sur le fond, entremêlant images d'archives, anciennes pellicules fournies par les deux principales intéressées et interviews face caméra plus récentes. À travers tout ça, deux lignes temporelles se dégagent : la première s'apparente au présent et relate le déménagement de Terry et Pat dans un centre de retraités, contraintes de se rapprocher de leur famille au vu de leur âge et des complications que cela implique. La seconde, ancrée dans le passé, revisite leur parcours à chacune d'elles et expose les prémices de leur idylle.
Cette deuxième timeline est, sans surprise, la plus émouvante. A Secret Love laisse peu de zones d'ombre, couvrant l'intégralité de leur histoire sans lésiner ses aspects les plus anodins. C'est ainsi qu'on apprend, l'air de rien, que Terry a fait partie d'une ligue de baseball féminin professionnel, à Chicago. La même équipe dont s'est inspiré le long-métrage A League of Their Own, porté par Madonna et Geena Davis en 1992. Le documentaire évoque ensuite la vingtaine d'années qu'elles ont passées à travailler côte à côte pour une entreprise de design d'intérieur, continuant de taire leur relation aux yeux de tous. Leur trajectoire est irrémédiablement touchante et ne tombe jamais dans la surenchère émotionnelle. Il s'agit de leur vie, ni plus ni moins.
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En tout et pour tout, Chris Bolan aura passé cinq longues années à suivre ses grand-tantes. C'est dans cette période-là que l'on est mis au fait des doutes qui rongent les deux amantes, tracassées par la maladie de Parkinson dont souffre Terry et l'inquiétude croissante de la famille de cette dernière. Si l'accent est évidemment mis sur la love story des deux concernées, le documentaire ne néglige pas la dimension familiale qui occupe une place prépondérante dans leur quotidien.
Un pas pour la visibilité lesbienne
À un moment donné, alors qu'elle revient sur leur rencontre durant les années 40, Terry lâche une remarque pertinente, soulignant sa confusion à l'époque parce qu'il n'y avait pas de couples lesbiens sur lesquels elle pouvait se calquer. Un peu comme un pied de nez bien senti à cette période où la communauté LGBT+ était laissée sur le bas-côté, le documentaire participe à une forme de visibilité que le couple n'avait pas en grandissant. C'est un peu comme si A Secret Love corrigeait les erreurs du passé pour offrir une lueur d'espoir aux lesbiennes du présent.
Bien qu'elle ne comporte pas de rebondissements hollywoodiens, l'histoire d'amour liant Terry à Pat est singulière et symbolique, tout bonnement parce qu'on entend trop rarement parler de vécu lesbien de cette manière. Intime et bienveillant, A Secret Love s'impose comme une œuvre à ne rater sous aucun prétexte.
Crédit photos : Netflix