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LGBTQI+Après la tribune de JK Rowling, la colère et la douleur des fans trans d’Harry Potter

Par Florian Gallant le 12/06/2020
J.K. Rowling

L'autrice britannique J.K. Rowling publiait mercredi sur son site personnel une énième sortie transphobe qui marque un point de non-retour pour les fans transgenres d’Harry Potter. Passé de l’incompréhension à la colère, iels nous racontent comment iels envisagent désormais leurs vies de « Potterhead ».

« J’y ai cru. J’y ai cru jusqu’au bout. Je m’étais persuadé qu’en se renseignant elle comprendrait et changerait d’avis sur les personnes transgenres. » Eliott ne le cache pas, il est bouleversé. « L’univers d’Harry Potter — pour moi — c’est plus qu’une passion, c’est toute ma vie. Je sais que le mot “trahison” peut paraitre excessif, mais je suis désolé, c’est ce que je ressens… », explique-t-il au téléphone. « Je tremble régulièrement en y pensant. Lorsque j’ai lu le billet de blog de J.K. Rowling sur son site personnel, j’ai dû m’arrêter en route, car je commençais à faire une crise de panique », reprend-il en prenant soin de contrôler ses émotions.

L'affront de trop

Ce mercredi 10 juin, l’autrice britannique J.K. Rowling publiait sur son site personnel un billet de blog dans lequel elle revenait sur les accusations de transphobie qui lui sont faites, et notamment concernant le fait qu’elle soit considérée par beaucoup de militants de la cause LGTQI+ comme une « TERF » — pour Trans-Exclusionary Radical Feminist. Autrement dit une militante féministe qui adhère à des positionnements essentialistes et transphobes, s’opposant à l’avancée des droits des personnes trans. 

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Un texte qui a fait office d’électro-choc pour nombre de fans de la saga Harry Potter ayant entamé.e ou terminé.e une transition. « On savait que “J. K.” (sic) tenait régulièrement des propos de TERF. Elle l’avait déjà fait en soutenant publiquement Maya Forstater, une fiscaliste dont le contrat n’avait pas été renouvelé dans son entreprise, car elle avait écrit sur Twitter qu’on ne “peut pas changer son sexe biologique” », résume Noémie (*), femme trans. « Néanmoins, ce billet de blog, c’est l’affront de trop », complète-t-elle avec aplomb. 

Et  pour ses « Potterheads » — le nom que se sont donnés les fans d’Harry Potter, c'est particulièrement douloureux. Beaucoup ont grandi.e accompagné.e par les aventures du jeune sorcier. 

« Harry Potter m’a aidé avec ma transidentité »

Aujourd’hui âgé de 20 ans, Eliott se souvient avoir découvert le monde d’Harry Potter grâce à un DVD amené par son cousin à un Noël familial. « À ce moment-là, j’ai commencé à être passionné par cet univers, dévorant les livres et regardant les films en boucle dès qu’ils sortaient. J’ai aussi commencé à trainer sur les forums de fans et c’est également sur ceux-ci que j’ai appris plus tard ce qu’était la dysphorie de genre. Et je me suis reconnu » Il prend de la testostérone depuis deux ans — « dès que j’ai été majeur » — et explique qu’il n’aurait jamais entamé de transition s’il n’avait pas discuté en ligne de sa transidentité avec d’autres Potterheads. « C’est indirectement les aventures d’Harry Potter qui font celui que je suis aujourd’hui et que je suis bien plus à l’aise avec mon corps », complète-t-il.

« Si c’est presque devenu une blague sur internet, le fait que J.K. Rowling rajoute de l’inclusivité a posteriori à son œuvre — du style 'au fait, Albus Dumbledore est gay' — était tout de même perçu comme une bonne chose chez les Potterheads. C’est ce qui a aidé nombre de fans à s’identifier, à se construire une identité et à grandir. Aujourd’hui, c’est terriblement douloureux de voir cette même personne affirmer que nous ne serons jamais réellement des femmes — ou des hommes. Que notre sexe assigné de naissance restera pour elle la seule manière de nous définir. C’est contraire à toutes les valeurs que nous avons tenté de développer sur les forums et groupes Facebook de fans », résume Noémie*, le cœur serré. Au point de remettre en question leur passion pour cet univers magique ?

 

« Je ne sais plus si je veux m’appeler Luna… »

« C’est définitivement une question que je me pose », évoque Luna, un nom qu’elle a choisi dès le début de sa transition. « Quand ‘J. K.’ affirme qu’elle ‘connait et aime les personnes trans’, je ne ressens aucune compassion dans ses écrits. Vous imaginez ? Même mon prénom en tant que femme est un hommage au personnage Luna Lovegood d’Harry Potter — auquel je me suis toujours identifiée. Je m’apprêtais à faire officiellement ma demande en mairie de changement de prénom pour celui-ci. Aujourd’hui, tout ce que me rappelle ce prénom, c’est que certaines personnes ne me considèreront jamais comme je le suis. Ça me répugne autant que m’énerve. Je ne sais plus quoi faire…”, s’emporte la jeune femme de 24 ans, avant de se questionner sur les nombreux tatouages hommage à l’univers d’Harry Potter qui parsèment son corps. “Heureusement, j’ai la chance d’avoir de nombreux proches qui viennent prendre de mes nouvelles. Beaucoup savaient que la publication de cette tribune de ‘J. K.’ allait beaucoup m’affecter et ils ont répondu présents”, reprend-elle.

Pour d’autres “Potterheads”, la tribune de J.K. Rowling fait office de divorce officiel avec l’univers qu’iels ont tant chéri. “J’adorais l’univers d’Harry Potter, mais je refuse de continuer d’entretenir la richesse d’une multimillionnaire qui veut m’empêcher d’aller dans les toilettes publiques où je me sens en sécurité”, revendique Lou, agenre. “Ça peut avoir l’air ridicule, mais ça implique que je change toute ma décoration d’intérieur. Mon appartement est rempli de produits dérivés.”, explique t-iel. “Le plus dur sera de ne plus s’intéresser à ce qui continuera d’alimenter cet univers à l’avenir. Difficile pour moi de ne pas voir la suite des Animaux Fantastiques, mais si c’est pour passer un mauvais moment en me rappelant que c’est J.K. Rowling la scénariste, non merci.”

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Le soutien des grands sorciers et sorcières

En ce moment, je pense souvent à la phrase « You either die a hero, or live long enough to see yourself become the villain.» qui n’a rien à voir avec Harry Potter, mais j’ai l’impression que c’est ce qui se passe concernant J.K. Entre nous, on discute souvent du fait que J.K. est en train de devenir Voldemort », évoque Eliott. Lui continuera de graviter autour de la communauté « Potterhead » : « Que ce soit dans les livres ou ce que nous les fans en avons fait, la Dumbledore’s Army  - ou «Armée de Dumbledore » en français – a pour but de lutter contre les oppressions. Les fans d’Harry Potter connaissent et généralement soutiennent le mouvement #TransRightsAreHumanRights. Je ne doute pas que la communauté continuera de s’engager dans la reconnaissance de nos droits sociaux », souffle le jeune homme. 

« Le plus rassurant, c’est de voir toutes ces autres célébrités gravitant autour de la saga Harry Potter telles que les acteurs et actrices Daniel Radcliffe, Emma Watson ou Eddie Redmayne condamné ouvertement les propos de la femme qui leur a plus ou moins offert le rôle décisif de leurs carrières. C’est ce genre de soutien qui nous permet de comprendre que définitivement, J.K. Rowling n’est pas du bon côté de la barrière et que nous sommes légitimes », conclut Noémie.

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