Lors d'un débat télévisé entre les candidates à la mairie de Paris, Agnès Buzyn a reproché à Rachida Dati de s'être abstenue au Parlement européen lors d'un vote condamnant les "thérapies de conversion".
À dix jours du second tour des municipales, la tension monte à Paris et, chose complètement inédite, les "thérapies de conversion" s'invitent dans le débat politique. Mercredi 17 juin à 18 heures était organisé sur France 3 et France Info un débat entre les trois candidates qui se disputent encore la mairie de la capitale : Agnès Buzyn (LREM), Rachida Dati (LR) et Anne Hidalgo (soutenue par le PS et EELV). Alors que l'ex-ministre de la Santé se disait en mars ouverte à des alliances "par arrondissement" avec sa concurrente de droite conservatrice, avant de refuser sa main tendue pour une alliance, elle a tenu à rappeler ce qui l'opposait idéologiquement à cette dernière.
.@datirachida a réconcilié les Le Pen. Vos positions sur le mariage pour tous, contre lâinterdiction des thérapies de conversion, votre soutien à Sens Commun, vos propos sur les migrants suite à un attentat raciste sont de nature à vous attirer les votes de lâextrême droite. pic.twitter.com/VhXWucCNuV
— Prof. Agnès Buzyn (@agnesbuzyn) June 17, 2020
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"Madame, vous avez soutenu Sens commun (émanation politique de La Manif pour tous, ndlr), vous avez voté contre le mariage pour tous, vous avez voté au Parlement européen contre l'interdiction des "thérapies de conversion" pour les homosexuels, je pense que la communauté LGBT doit s'en souvenir", a attaqué frontalement Agnès Buzyn. Rachida Dati s'en est vigoureusement défendue : "Sur les "thérapies de conversion", au Parlement européen, il y avait un débat, évidemment, sur, effectivement, des questions qui relèvent du droit national. Notre groupe s'est abstenu, ce sont des décisions de groupe, parce que le droit national était plus protecteur pour la communauté LGBT." La candidate LR a ajouté qu'elle aurait "porté aussi" l'ouverture de la PMA à toutes les femmes au Parlement européen, alors qu'elle avait estimé en juin 2019 que la réforme allait "fracturer un peu plus la société", et avait manifesté aux côtés de La Manif pour tous et d'autres associations au mois d'octobre.
Consigne officielle d'abstention
Face à tant d'imprécisions, il convient de reprendre les points un par un. Début mars 2018, pour la première fois, le Parlement européen appelle les États membres de l'Union européenne, dans le cadre d'une résolution, à interdire à l'échelle nationale les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre des personnes, connues sous le nom de "thérapies de conversion". 435 eurodéputés votent pour, 109 y sont défavorables, 70 s'abstiennent. Comme l'a relevé à l'époque le journaliste David Perrotin pour BuzzFeed, dans la délégation française, 34 élus de d'extrême droite, de droite et du centre s'abstiennent ou votent contre l'amendement en question.
Si la consigne officielle du groupe LR est bien l'abstention, consigne suivie par une majorité d'eurodéputés, trois d'entre eux votent tout de même pour le texte. Rachida Dati n'en fait pas partie, puisqu'elle en est référente et est elle-même à l'origine de la consigne. Interrogé par BuzzFeed, son cabinet a expliqué ce choix : "La délégation PPE-France reste attachée au principe de subsidiarité en Europe. Nous considérons que les questions de société doivent être traitées dans le cadre d'un débat national, et que l'UE doit arrêter de s'occuper de tous les sujets, pour se consacrer à l'essentiel."
Pratiques interdites dans deux pays de l'UE
Cette défense de la "souveraineté" est bien éloignée de l'argument brandi par Rachida Dati mercredi soir. À entendre l'actuelle maire du 7e arrondissement parisien, la législation française réprimerait déjà les "thérapies de conversion". Le candidat LR dans la circonscription de Paris Centre Aurélien Véron est même allé plus loin sur Twitter samedi 13 juin, en écrivant : "Vous savez que ce texte qui visait des pratiques déjà interdites partout en Europe." C'est faux. À l'heure actuelle, seuls deux États membres de l'Union européenne, visés par la résolution des eurodéputés, ont adopté une interdiction nationale des "thérapies de conversion" : Malte en décembre 2016, et l'Allemagne le 7 mai dernier - seulement pour les mineurs. On peut ajouter 5 régions autonomes sur 17 en Espagne.
Non @datirachida, le droit français concernant les #therapiedeconversion n'est pas + protecteur que le droit européen. 2018â¡ï¸le Parlement européen vote un texte appelant les Ãtats membres à les interdire. 2020â¡ï¸les TC ne sont tjs pas interdites en France, et donc tjs pratiquées. https://t.co/eyXQD01lPR
— Laurence Vanceunebrock (@LaurenceVanceu) June 17, 2020
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Plusieurs pays planchent sur des législations qui suivraient l'exemple maltais, et la France en fait partie. En effet, au cours de la mission d'information qu'elle a tenue sur le sujet avec son collègue LFI Bastien Lachaud, la députée LREM de l'Allier Laurence Vanceunebrock a constaté que, s'il existe des infractions s'en rapprochant (comme l'exercice illégal de la médecine ou l'abus de faiblesse) existent dans le droit français, aucune disposition n'interdit explicitement les "thérapies de conversion". C'est pourquoi elle a déposé mercredi 3 juin, comme l'a révélé TÊTU, une proposition de loi visant notamment à introduire un nouvel article dans le code pénal pour qualifier et punir ces pratiques, comme le demandent plusieurs victimes qui se sont exprimées. Elle espère que le texte sera examiné fin 2020 ou début 2021 à l'Assemblée nationale.
Des ex-Manif pour tous sur la liste de Buzyn
Les explications de Rachida Dati face à la remarque d'Agnès Buzyn sont donc plus que bancales. Il faut toutefois rappeler que le bilan de l'ex-ministre de la Santé sur les droits LGBT+ n'est pas non plus exempt de critiques. Le projet de loi bioéthique déposé par son ministère exclut les hommes trans capables de procréer de l'accès à la PMA. Alors que le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale était favorable à leur inclusion, Agnès Buzyn avait rappelé la position du gouvernement selon laquelle "un homme qui garde un utérus fonctionnel n'aura pas le droit à la PMA, il ne peut pas tomber "enceinte"".
Mme Buzyn se glorifie d'avoir viré M. Dubus de ses listes car "très engagé dans la Manif Pour Tous".
En revanche, elle maintient Pierre Gaboriau dans le 16e qui ne l'est pas moins... https://t.co/lsLyfLgqvl pic.twitter.com/WBOCAIIOMq— Ian Brossat (@IanBrossat) March 11, 2020
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De même, d'anciens soutiens actifs de La Manif pour tous se sont retrouvés sur des listes LREM un peu partout en France, y compris à Paris. Fin février, Jérôme Dubus, candidat dans le 17e arrondissement parisien, dont le nom figurait sur la page "Élus, nos soutiens" du collectif d'associations anti-mariage pour tous, a été écarté de la liste. Cependant, comme l'a relevé en mars Ian Brossat, adjoint PCF d'Anne Hidalgo, Pierre Gaboriau, candidat en sixième position sur la liste LREM dans le 16e arrondissement, avait défilé en 2013 aux côtés de La Manif pour tous, s'était réjoui sur Twitter du succès des manifestations et avait appelé à un référendum sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. Contrairement à d'autres candidats, à l'instar de Jérôme Dubus, il ne s'en est pas, à notre connaissance, expliqué publiquement.
Crédit photo : France Télévisions