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homoparentalité“Mes parents ont tous les deux fait leur coming out”

Par Camille Lamblaut le 03/11/2020
Coming out

Amandine a 21 ans. Il y a trois ans, une annonce bouleverse sa vie. Sa mère leur annonce qu’elle est lesbienne, et qu’elle et leur père vont divorcer. Et dans la foulée, son père, lui aussi, va sortir du placard. Témoignage.

"Juin 2017, j’ai bientôt 19 ans et je rentre de presque un an aux Etats-Unis. Dix mois passés au sein d’une famille américaine, à refaire l’équivalent d’une classe de terminale dans un lycée américain. Une immersion totale. À l’aéroport, mes deux parents sont là. Ma mère rayonne. Elle a maigri, elle prend plus soin d’elle, ça se voit. Quelques jours plus tard, elle insiste auprès de mes deux frères et moi pour nous parler. C’est bizarre. On n’a jamais de conversations de famille d’habitude. On est tous très pudiques, et ma mère a beaucoup de mal à se confier, elle garde tout pour elle. Je me dis tout de suite que c’est grave, qu’elle va nous annoncer qu’elle a un cancer ou quelque chose du genre. On est tous réunis dans la cuisine, sans mon père, et c’est là qu’elle a fait… son coming out. 

"L'annonce du divorce m'a plus chamboulée que le coming out"

Elle a été très directe dans sa façon de nous l’annoncer. Il y a eu un grand silence. Et j’ai fondu en larmes. Car elle nous a aussi dit qu’elle et mon père allaient divorcer. Elle lui avait fait son coming out quelque mois plus tôt, en février. J’ai pensé aux dimanches en famille et à tous ces moments passés ensemble qu’on ne vivrait plus. Mes frères et moi, on n'avait jamais imaginé que mes parents divorceraient un jour. Mais j’ai aussi pleuré de soulagement qu’elle ne soit pas malade. 

L’annonce du divorce m’a plus chamboulée que le coming out de ma mère. J’étais plus inquiète de l’impact sur notre famille que sur mes parents individuellement. Les habitudes qui se cassent ça me chamboule, et je mets du temps à m’adapter. Alors, des trois enfants, c’est moi qui me suis sentie la plus concernée. Je me souviens que Robin, mon petit frère qui avait 15 à l’époque, a dit "ok cool", et puis il est parti dans sa chambre. Pierre, mon grand frère, qui a un ans de plus que moi, écoutait mais ne pleurait pas. Moi j’ai posé pleins de questions, à commencer par : "est-ce que tu es heureuse ?" Elle a répondu que oui. Elle était émue elle aussi, car même si elle savait qu’on était ouverts, elle ne savait pas exactement comment on allait réagir. Le soir, mon père est rentré. Il a vite compris que maman nous avait mis au courant et on a discuté de tout ça ensemble. 

"On a aidé mon père à se trouver"

Après le coming out de ma mère, mon père a broyé du noir. Il a mis au moins un mois à s’en remettre. Ils étaient mariés depuis presque 15 ans, alors forcément il était perdu. Et puis très vite, il a commencé à se poser des questions sur sa propre sexualité. Ma mère a vécu à la maison pendant encore un an après son coming out. Elle était de plus en plus intégrée à la communauté LGBT et elle disait à mon père : "mais tu sais Jean-Baptiste, tu l’es toi aussi !".

Elle lui montrait tous les signes qui le prouvaient, comme le fait qu’il ait lu TÊTU pendant longtemps par exemple. Ce n’était pas un secret, je le savais moi aussi. Je voyais les mecs torse-nu en couverture, mais ça ne m’avait jamais interpelée et je ne savais pas que c’était un magazine gay à l’époque. Le fait que ma mère soit "un garçon manqué" explique peut-être l’attirance que mon père a ressenti pour elle. Elle le dit elle-même. Elle a les cheveux très courts et n’est pas du tout féminine, surtout pas dans son style vestimentaire. Je me suis toujours considérée comme la seule fille de la maison. 

Mon père n’a pas eu besoin de faire son coming out auprès de nous. On était les seuls à qui il pouvait en parler, alors il nous posait les questions qu’il se posait à lui-même. C’est comme ça qu’on l’a accompagné tout au long du chemin et qu’on l’a aidé à se trouver. Il a très vite rejoint un club de cyclistes gays, les Dérailleurs. D’abord parce qu’il aime beaucoup le vélo, mais aussi parce qu’il voulait des réponses. Il a rapidement rencontré quelqu’un et nous l’a présenté. Ils ne sont pas ensemble, l’attirance vient plus du côté du mon père je crois. Mais ils font souvent des ballades à vélo le dimanche, donc il a fini par passer à la maison pour déjeuner et ils sont même partis en vacances ensemble.  

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Questionnement

Même si je n'ai aucun problème avec l'homosexualité de mes parents, je me suis posé quelques questions. Certaines étaient très bêtes, je l’avoue. Je me suis demandé si j’étais lesbienne moi aussi, en pensant que comme mes deux parents étaient homo, c’était peut-être dans mes gênes. Je n’avais jamais eu de relation à ce moment-là, donc j’ai pensé que c’était peut-être à cause de ça. A priori j’aime les garçons, mais je pense que les choses ne sont pas aussi binaires que le fait d’être lesbienne, gay ou hétéro. Une amie à moi est tombée amoureuse d’une fille alors qu’elle ne sortait qu’avec des garçons. Alors qui sait si je ne vais pas, moi aussi, tomber amoureuse d’une fille demain ?

Avec mes frères, on s’est aussi demandé si nos parents nous avaient vraiment voulus, s’ils nous aimaient vraiment ou s’ils avaient fondé une famille par obligation. Ils nous ont répondu que pas du tout, qu’ils nous aimaient vraiment et qu’ils s’étaient vraiment aimé. Mais vu les circonstances, je me demande quand même avec quel degré d’amour. 

Mon coming out d’enfant d’homo

Aujourd’hui, presque tous mes potes savent que mes deux parents sont homosexuels. Mais au début je me suis dit, "merde à qui je peux le dire ?" Je ne raconte pas trop ma vie de famille d’habitude. J’ai mis du temps avant de décider à qui j’allais en parler, et ça m’a pris quelques semaines. Même si je connais mes amis, je ne savais pas exactement comment ils pourraient réagir. Je leur ai annoncé face à face, je ne me voyais pas le faire par texto. Pour certains j’ai profité de l’occasion qu’on se voit, pour d’autres c’était plus anticipé et je leur avais demandé qu’on se voit spécifiquement pour leur annoncer. Aucun de mes amis ne m’a déçue. Ils m’ont tous soutenue, même s’ils étaient tous hyper étonnés. Celles à qui j’ai mis plus de temps à le dire sont mes deux amies d’enfance, car nos parents sont amis.  

"Si je choisis de ne pas en parler parfois, c’est aussi pour protéger mes parents des cons"

C’est pas notre coming out à nous, c’est celui de nos parents, il leur appartient de le dire ou pas. Mais je ne pouvais pas le garder pour moi, j’avais besoin d’en parler. Je demandais toujours l’autorisation à ma mère avant de le faire, pour être sûre que ça ne la dérangeait pas que telle personne le sache. C’était plus compliqué pour mon père, qui avait peur que cela affecte son travail.  Je n’ai pas du tout honte de parler de l’homosexualité de mes parents. Mais je ne le crie pas sur tous les toits. Je me contente de dire que mes parents sont divorcés, et j’explique pourquoi seulement si on me le demande. Je n’ai jamais menti à ce sujet. J’ai juste besoin de tâter le terrain avant, pour savoir si la personne est ouverte d’esprit. C’est pour ça que certains de mes potes de l’université ne le savent pas, car ils ont déjà tenu des propos sur les LGBT qui me montraient que je ne pouvais pas leur en parler. Si je choisis de ne pas en parler parfois, c’est aussi pour protéger mes parents des cons qui pourraient leur faire du mal. 

L’étape d’après

Peu de temps après son coming out, ma mère aussi a rencontré quelqu’un. Une femme qui avait fait son coming out après avoir eu des enfants elles aussi. Elles ne sont pas en couple, mais je les vois un peu comme des âmes sœurs. Ma mère m’a donné son numéro de téléphone en me disant de l’appeler si quelque chose lui arrivait, et quand je pars en voyage, maman me demande de ramener un cadeau pour ses enfants. J’avoue que si elle ne me le demandait pas, je ne le ferais pas. Je n’ai jamais rencontrée l’amie de ma mère, mais elle m’a appelée par accident un jour, et on a fini par parler 20 minutes. Elle disait qu’elle voulait me rencontrer. Si l’occasion se présente, pourquoi pas. Mais c’est là que ça coince un peu pour moi : revoir mes parents en couple avec quelqu’un. J’aurais ressenti la même chose s’ils avaient été hétéro. J’aurais l’impression qu’ils essaient de reproduire le couple de mes parents.  

Le sens des responsabilités

Je suis fière de ma famille, et que mes parents soient tous les deux homos et heureux. J’ai très vite pensé que c’était trop cool. C’est unique en son genre. Je pourrais même écrire un bouquin ! Aujourd’hui, mon père et ma mère sont toujours en contact, ils sont devenus des potes gays. Maman a déménagé, mais elle n’habite pas loin et elle passe à la maison au moins une fois par semaine. On fête Noël et les anniversaires ensemble, c’est un peu moi qui est insisté pour ça. On n’est pas moins une famille qu’avant. On pose beaucoup plus de questions à nos parents depuis leur coming out que quand ils étaient mariés. On est tous moins pudiques, et le fait que mes frères et moi soyons plus vieux joue aussi, car quand on est petit on se dit qu’il y a une barrière à ne pas franchir avec ses parents. Maintenant quand je vois passer un mec mignon, et que je le dis à mon père, il renchérit. C’est marrant cette petite compétition. Il me parle aussi de ses problèmes d’amour, même s’il va parfois trop loin et que je le remets gentiment à sa place. 

J’ai le sentiment d’avoir une responsabilité dans la communauté LGBT maintenant, de ne pas être ignorante, d’éduquer les gens sur ses questions et de remettre à leur place ceux qui disent n’importe quoi. Mais je ne me sens pas obligée de préciser que mes parents sont homosexuels quand je défends la communauté. Mes parents participent à la Gay Pride, et je ne les accompagne pas parce que j’ai peur de la foule, mais maintenant je me sens concernée et je soutiens la démarche.

Cet article a été réalisé par un.e étudiant.e en journalisme, en partenariat avec le Centre de Formation Professionnelle des journalistes. 

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Illustration : Thibault Milet pour TÊTU

 

Cet article a été réalisé par un.e étudiant.e en journalisme, en partenariat avec le Centre de Formation Professionnelle des journalistes.