INFO TÊTU - Pierre*, un ancien jeune du Refuge, accuse l'ancien président de l'association Nicolas Noguier, de l'avoir violé il y a 8 ans. Une plainte a été déposée auprès du parquet de Montpellier, qui a ouvert une enquête préliminaire.
Article mis à jour le 06/04/2021 à 12: 46
C'est un jeune adulte déterminé qui s'assoit dans la cour de la rédaction de TÊTU. À 25 ans, Pierre* - son prénom a été modifié -, vêtu d'un ciré jaune, ressemble encore à un jeune garçon. S'il se tient bien droit, ses jambes, elles, flageolent, tant son témoignage est douloureux.
Pierre souhaite témoigner de l'emprise qu'aurait exercé sur lui Nicolas Noguier, le fondateur du Refuge, débarqué par le conseil d'administration de la fondation en février dernier. Cet ascendant aurait abouti à un viol de la part de l'ex-président de l'association, un soir de 2013, alors que Pierre n'avait que 16 ans. Huit ans plus tard, il témoigne auprès de TÊTU, après avoir déposé, le 16 mars 2021, une plainte auprès du procureur de république de Montpellier contre l'ancien président de l'asso et son compagnon, l'ex-directeur général du Refuge, Frédéric Gal.
Cette plainte collective, déposée par L’Association de Défense des Ancien.ne.s du Refuge - et que TÊTU a pu consulter - dénonce des faits de "harcèlement moral", de "travail dissimulé", de "harcèlement sexuel", de "délaissement", de "corruption de mineur", "d'abus de faiblesse" et de "non assistance à personne en danger". Mais aussi d'"agression sexuelle" et de "viol".
"C'était mère Theresa pour moi à cette époque"
"Nicolas, c'était mère Theresa pour moi à cette époque. Il était toujours disponible pour moi, alors que j'étais totalement abandonné", raconte le jeune homme. Pierre a vécu une adolescence difficile en raison de son orientation sexuelle. Au collège, il séchait régulièrement les cours pour éviter les insultes homophobes de ses camarades. "J'évitais les récrés, et je n'allais pas à la cantine... Je passais mon temps dans ma chambre".
Un jour, le lycée a convoqué ses parents pour leur expliquer qu'il était maltraité par ses camarades parce qu'il est gay. "À partir de ce moment, mes parents sont devenus très distants", explique-t-il. Une distance qui s'est ensuite transformée en violence : après les insultes, son père le bat. Pierre a alors 13 ans.
À LIRE AUSSI : Ce que contient le rapport qui étrille la fondation Le Refuge
Le placement du jeune garçon est décidé par un juge. Durant son adolescence, Pierre connaitra trois familles d'accueil différentes. "C'est après être arrivé dans cette troisième famille que je passe de plus en plus de temps à Montpellier". Plus précisément au Refuge, dont il a appris l'existence sur les réseaux sociaux.
"Les places étaient chères"
"Là-bas, je me sentais apaisé", dit Pierre. Nicolas Noguier accepte qu'il passe du temps au siège, qu'il participe aux activités de l'asso et devient, selon le jeune homme "son protégé". Jusqu'à ce soir de 2013, où le président du Refuge aurait invité l'adolescent de 16 ans à la soirée annuelle de l'association. Pierre affirme s'être retrouvé seul dans une voiture avec le président de l'asso qui l'aurait alors violé : "Il m’a dit 'ça va s’améliorer. T’inquiète pas, je suis là pour toi, toujours'. Puis, sans que je ne le vois venir, il m'a imposé une fellation".
"Je ne l’avais jamais connu agressif et encore moins comme ça. Quand il a enlevé mon pantalon il a craché dans sa main, il a dit 'chut' et ça a commencé. Je me souviens de la douleur, je lui ai demandé plusieurs fois d’arrêter je ne me souviens pas qu’il m’ait répondu", explique aujourd'hui le jeune homme.
Dans les jours qui suivent, Pierre prend un rendez-vous chez le médecin pour faire un dépistage. Il se rend à la pharmacie pour acheter, avec ses économies, une crème et des suppositoires... "Il ne fallait surtout pas parler de ce qu'il s'est passé, sinon, cela aurait pu causer du tort à Nicolas", raconte-t-il, huit ans plus tard. Malgré son silence, Pierre tombe de son piédestal. "Nicolas est devenu distant, on se parlait moins, il m'évitait... Je pensais qu'il m'en voulait de quelque chose, alors que je n'avais rien dit".
"Ils me mettaient dehors pour ne pas que je parle"
Puis, trois ou quatre mois après cette soirée, Pierre est prié de quitter Le Refuge. "Me mettre dehors, c'était pour le couple (Nicolas Noguier de Frédéric Gal, ndr) une façon de se protéger", analyse-t-il. "Ils me mettaient dehors pour ne pas que je parle. Et si je le faisais, ils auraient pu décrédibiliser mon témoignage...". Il vit difficilement d'être une fois de plus "mis à la porte", mais il s'exécute et coupe les ponts.
Devenu adulte, Pierre part travailler à l'étranger. Il économise et monte son entreprise, à des milliers de kilomètres de Montpellier où Nicolas Noguier continue de présider l'association. Mais en décembre 2020, Mediapart sort une enquête qui témoigne de lourds dysfonctionnements au sein du Refuge. Alors que les deux dirigeants se mettent en retrait, un questionnaire est envoyé à tous les jeunes passés par l'association. Finalement, Pierre témoigne, de manière anonyme pour que le Boston Consulting Group puisse fournir un rapport sur les dysfonctionnements de l'association.
Les résultats sont accablants. Surtout, un signalement auprès de la justice a été réalisé. "Je ne m'y attendais pas. Au début, je ne voulais pas participer, c'était trop difficile. Mais finalement, il faut le faire pour que les victimes soient entendues. Je ne voudrais pas que leurs témoignages soient un coup d'épée dans l'eau", dit-il aujourd'hui. "Ce qui me soulagerait, c'est que Nicolas reconnaisse qu'il m'a détruit. Je ne veux surtout pas d'argent et je ne souhaite pas qu'il aille en prison", dit Pierre.
Une plainte déposée
L'Association de défense ancien·ne·s du Refuge (ADAR) a déposé une plainte auprès du procureur de Montpellier. Une enquête préliminaire a été ouverte "suite aux faits dénoncés par la fondation elle-même ainsi qu’une association d’anciens", indique le procureur à TÊTU. "Il y a autant de plaintes que de plaignants" indique à TÊTU Me Eric Morain, avocat des plaignant.e.s, et rappelle au passage que "les faits dénoncés sont divers et reflètent les histoires de chacun des plaignants".
"La mission qui est la nôtre fait que nous serons toujours naturellement du côté des victimes", a réagi la fondation. Joint par TÊTU, Nicolas Noguier, présumé innocent, déclare : "S’il s’agit d’une plainte collective, il m’est complexe de répondre sans en connaître le contenu. Si une enquête préliminaire a été ouverte, je laisse les enquêteurs faire leur travail et me convoquer le moment venu". "L’enquête préliminaire étant ouverte, je ne peux logiquement rien commenter à ce stade, au sens strict du terme d’ailleurs puisque je n’ai eu que cette information là, et non ce qu’elle contient", dit quant à lui Frédéric Gal.
Nicolas Noguier réfute
Malgré nos sollicitations, Nicolas Noguier n'avait pas souhaité répondre davantage à TÊTU sur cette accusation avant la publication de l'article. Le 3 avril dernier, il a publié un texte sur les réseaux sociaux dans lequel il dénonce un "témoignage idéal envers un homme à abattre dans cette période troublée."
Dans ce texte, il réfute les accusations de Pierre et dit détenir "des éléments très précis" sur le jeune homme, qui font état "d'antécédents familiaux divergents", "d'une grande fragilité psychologique" et d'une "'nécessité de prise en charge médicale importante' selon le travailleur social ayant réalisé l'entretien préliminaire le 09 mars 2013". "C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il n'a été hébergé qu'une seule nuit au sein du Refuge, du 12 au 13 avril 2013, avec les autorisations adéquates. Il a par la suite fréquenté l'accueil de jour par intermittence jusqu'à son exclusion le 25 août 2014 à la suite de propos en mémoire du Maréchal Pétain tenus en pleine permanence."
Sensible aux souffrances et à la fragilité du jeune qui a porté de fausses déclarations sur moi et que Têtu a relayé...
Publiée par Nicolas Noguier sur Samedi 3 avril 2021
Il ajoute également : "Du 7 aout 2015 au 16 mars 2021, le jeune garçon m'a fait vivre un cauchemar en m'envoyant plus de 1000 SMS. Lors de ces échanges constatés par huissier, il m'a proposé à plusieurs reprises (et encore très récemment) des fellations, et ce, malgré mes refus successifs."
Crédit photo : Le Refuge