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LGBTQI+LGBT, gay, homo, pédé, queer… Ce que le lexique dit de nous

Par Laure Dasinieres le 01/05/2021
lexique

"Gouine" ou lesbienne? "Pédé" ou gay ? Pansexuel, non-binaire, aromantique ? Tout simplement queer ? Pour se définir, il existe une multitude de possibilités. Un lexique, souvent emprunté à l'anglais, qui en dit long sur nos identités.

Dès 2014, Facebook propose à ses utilisateurs et utilisatrices 52 options pour définir leur identité de genre dans une liste ouverte allant d’homme (ou femme) cisgenre à non-binaire en passant par agenre, bigenre ou genderfluid. Cette proposition d’abord réservée aux anglophones s’est ensuite étendue aux utilisateurs et utilisatrices francophones avec des tentatives de traductions plus ou moins heureuses, des loupés (comme la disparition de "genderfuck") et un parti pris très blanc comme le signalait Sam Bourcier à l’époque dans un article paru sur Slate :  il y a "peu d’options qui mixent ethnicité et genres à part l’option 'two-spirit' [bispirituel en français, ndlr] qui correspond à une dénomination américaine pour les 'gays' ou les 'transgenres' chez les Native Americans".  Reste que cette liste – et quoi qu’elle semble assez peu utilisée par les membres de la plateforme – a le mérite d’exister. D’une part parce que sa conception est le fruit d’une collaboration avec des associations de concerné·e·s et d’autre part, parce qu’elle exprime une réelle volonté de s’extraire du carcan hétéro-cis-normatif. 

En revanche, à l’heure où nous écrivons ces lignes, la partie "attiré(e) par" (relative à l’orientation sexuelle) du profil Facebook est résolument binaire avec "hommes" et/ou "femmes" comme seules cases à cocher. Les utilisateurs et utilisatrices seront alors dépendant·e·s de la manière dont les autres voudront bien les définir et les nommer, enlevant ainsi la puissance militante de ceux et celles qui préfèrent s’identifier comme "queer", "pédé" ou "gouine" par retournement de stigmate. Celleux dont les orientations sortent des cadres "hétéro"/"homo"/"bi" seront également laissé·e·s pour compte. 

LGBT ou queer ?

Tout cela peut sembler bien anecdotique et ne relever que de l’univers de Facebook. Mais les possibilités et inventions lexicales – et leur emploi effectif – disent aussi beaucoup de la manière dont les groupes minoritaires/dominés et militants souhaitent prendre place dans l’espace public et dans le champ médiatique. 

C’est la position soutenue par Mireille Elchacar, professeure en études françaises (linguistique) et spécialiste des appellations issues de la diversité des identités de genre et orientations sexuelles.  Pour illustrer ses propos, elle prend l’exemple du choix entre les termes "LGBT" et "queer" : "Entre ces deux appellations parapluie, les groupes militants utilisent davantage 'LGBT' et ses variantes dans les contextes officiels face à la domination. Cela répond sans doute au fait que les dominants acceptent mieux un terme francophone – nous n’aimons pas les anglicismes au Québec – mais aussi parce qu’ils aiment les cases. Or, non seulement 'queer' est anglophone mais il met également l’accent sur la fluidité".  Une fluidité qui dérange la norme établie. Mais la linguiste insiste sur le fait que c’est bien l’usage par les concerné·e·s qui fait la norme (lexicale) : "L’Office Québécois de la Francophonie avait proposé des termes comme 'allosexuel' ou 'altersexuel' mais ces termes n’ont jamais eu qu’un usage métalinguistique et c’est bien le terme 'queer' qui s’est imposé". 

Pas de nécessité de traduction

En France, la situation est un peu différente car nous ne partageons pas tout à fait la même aversion pour les anglicismes. De fait, ceux-ci sont très présents dans les discours militants et dans les termes qui servent à l’autodétermination. 

Noémie Marignier, maîtresse de conférence en sciences du langage à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle et spécialiste des discours militants féministes, LGBTI et queers explique : "J'ai l’impression que, d’une manière générale, beaucoup de termes militants sont empruntés à l’anglais ou repris de l’anglais tels quels (comme mansplaining, call out, cancel culture…). Il y a vraisemblablement des espaces de militants qui circulent assez facilement entre le monde francophone et le monde anglophone". L'hypothèse principale de la chercheuse, c'est que le militantisme "que l'on voit sur les réseaux sociaux" serait le fait de personnes jeunes, éduquées, qui maîtrisent bien la langue anglaise. "En outre, les termes anglo-saxons ont un côté punchy, sexy… Ceci peut expliquer qu’il n’y ait pas vraiment de volonté ni de nécessité de traduction", ajoute-t-elle.

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Mais peut-être aussi que cette frange militante ne cherche pas à traduire les termes pour une autre raison. "Face aux questions de genre, s’oppose un discours conservateur et nationaliste : peut-être que l’emploi de termes non francophones révèle un militantisme qui se veut international, dans lequel il n’y a pas d’attachement au français, attachement au français et à l’identité que l’on retrouve au contraire chez des gens que les militants LGBT+  veulent combattre", avance l'universitaire. 

Des anglicismes faciles

On rappellera que "gay", terme désormais plus que conventionnel, est lui-même un anglicisme qui a largement détrôné "homosexuel", aujourd’hui essentiellement utilisé dans les domaines médical et juridique ou… par les homophobes polis. 

Édouard Trouillez est lexicographe aux éditions Le Robert et coauteur des mises à jour du Petit Robert, du Grand Robert et du Robert illustré. Il explique que ces anglicismes ne posent pas de problème spécifique : "Ce lexique ne me semble pas plus riche en anglicismes qu'un autre. Certains anglicismes peuvent poser des problèmes de régularité par rapport au reste du vocabulaire (prononciation, règles d'accord…), mais les anglicismes qui appartiennent au lexique LGBTQIA+ ne posent pas de problèmes particuliers". 

Un dictionnaire qui s'adapte

De fait, un terme comme "queer" est présent dans le dictionnaire. "L’entrée d’un mot dans le Petit ou le Grand Robert est déterminé par le vote des membres en fonction de différents critères : le nombre d'occurrences, la connaissance du mot par une large part de la population ou des personnes concernées par le domaine en question, le fait que le sens soit fixé, l'importance de la chose ou du concept désigné, l'intuition linguistique, etc", précise le linguiste.

Et d’ajouter : "Nous rédigeons les définitions en consultant la documentation qui est à notre disposition (ouvrages spécialisés, documentation interne que nous constituons au fil du temps) et en observant l'usage dans les médias. Il nous arrive également de consulter des spécialistes". Il annonce l’arrivée de nouveaux termes du lexique LGBTQI+ dans la prochaine édition à paraître dans quelques semaines… Mais suspense ! "Je ne peux pas encore les dévoiler !", dit-il avec un sourire.

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Mais, en guise de teasing, Édouard Trouillez évoque "une tendance qui s'impose de plus en plus : la représentation non-genrée et non-binaire de la société. La séparation du monde entre hommes et femmes ou entre homos et hétéros évolue, et la langue s'en ressent, avec l’émergence d’un vocabulaire qui permet de critiquer les représentations anciennes ('genré', 'hétéronorme', 'hétéronormé') et de mettre des mots sur d'autres réalités ('asexuel', 'intersexe', 'sexe neutre', 'pansexualité', 'pansexuel'…)".

Recherche de la dénomination parfaite

Noémie Marignier, en fine observatrice des usages, constate également cette volonté de sortir des cases avec l’émergence de termes qui permettent de se catégoriser de manière extrêmement fine et précise, ce qui suscite une certaine créativité lexicale : "Certains termes sont aujourd’hui bien installés comme 'asexuel', 'aromantique', 'non-binaire'. D’autres ont des existences fulgurantes et durent quelques jours comme 'cyclogenre'. On lit parfois des dénominations très longues avec une recherche d’un genre et d’une orientation sexuelle presque uniques. Il y a aussi des dénominations que l’on retrouve surtout sur le mode métadiscursif mais peu dans les usages, par exemple 'boreasexuel' [qui désigne une personne qui a une orientation sexuelle définie mais avec une exception]. Il existe peut-être une logique consistant aujourd’hui à chercher la dénomination parfaite".

Pour la linguiste, ce mouvement est très tourné vers l'individu et le ressenti avec peut-être un côté dépolitisant : "Quand on se dit 'pédé' ou 'gouine', c’est pour dire son identité mais aussi pour faire communauté et se positionner politiquement sur les normes de genres ou sexualité. Quand on se dit demi-genre ou aromantique, on n’est pas dans la revendication, le rapport à la violence n’est pas le même que quand on s’affirme comme 'pédé' ou 'gouine'. Cela explique sans doute une incompréhension ou un décalage entre générations". Elle nuance cependant ce propos en expliquant que dans cette recherche de la définition parfaite, il y a aussi peut-être quelque chose qui relève du questionnement identitaire adolescent. 

Une jeunesse qui se réinvente

Dans le même mouvement, Noémie Marignier constate une relative perte de vitesse de l’usage du terme 'queer' chez les plus jeunes : "Il sert à désigner les réunions et les organisations mais plus tellement des personnes. Le terme 'non-binaire' semble l’avoir un peu supplanté et je suis étonnée par le peu de place que prend le mot 'queer' aujourd’hui alors qu’il est pour moi LE terme vraiment disponible. Il s’agit peut-être d’une question de générations. L’histoire autour du mot (le retournement de stigmate, les travaux de Butler ou Bourcier…) ne parle pas aux plus jeunes. C’est un peu comme si 'queer' était en France un mot d’intello. Sans cette histoire, on ne peut pas comprendre sa force militante. C’est aujourd’hui un terme hyperonyme (ou parapluie) qui circule et voyage de différentes manières selon les contextes. Reste que l’emploi du terme 'queer' se rapporte à un désir de ne pas se mettre dans des cases et d’être moins lisible".

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