Depuis un an, nos rapports aux autres ont été modifiés par les confinements et par ce maudit virus. A tel point qu'au moment des réouvertures, en se retournant depuis 2021 sur cette année parenthèse, certain-es racontent avoir perdu des amitiés fortes.
La cigarette aux lèvres, le regard plongé dans ses souvenirs, Jules, 28 ans, repense à son année. A cette fameuse année que dans dix ans on appellera comment : l'année du covid, l'année parenthèse, l'Année ? Les soirées à six max, les Zoom à n’en plus finir mais aussi ces amis dont il n’a plus aucune nouvelle. “Pendant le premier confinement, je me suis dit que c’était normal, qu’on était tous à se demander ce qu’on allait devenir et donc que ce n’était pas illogique de se recentrer sur soi.” Seulement, les quinzaines puis les mois de confinement ont passé, et les amis ne reviennent pas. “J’ai commencé à avoir très mal au second confinement, remarque Christopher, 21 ans, quand j’ai vu que celles et ceux qui étaient partis pendant le premier confinement n’étaient pas revenus.”
Les deux garçons décrivent les mêmes longues soirées à attendre des messages qui ne viennent plus, et cette sensation de vide qui grandit de jour en jour. “J’ai l’impression de n’avoir aucun ami, lâche Hasna, 20 ans. Avant les confinements, je n’avais pas réalisé que je n’avais pas d’ami.” Arrivée à Paris pour ses études à la rentrée de septembre, elle parle d’un environnement oppressant, d’une famille peu friendly et in fine en elle, d'un manque affectif fort. “Avec les cours en visio, je n’ai pas trop eu le temps de créer du lien et les gens avec qui je parlais, il faut croire que je n’étais pas une amie pour eux. Moi en tout cas, ils me manquent.”
La moitié des jeunes ont perdu des ami-es
Comme elle beaucoup, beaucoup des personnes contactées sur ce sujet racontent des amitiés qui se sont étiolées avec le Covid-19, voire qui ont disparu avec le monde d'avant, et cette sensation aujourd'hui, au moment des réouvertures enfin, de se retrouver seul-e. Doublement, quand il s'agit de personnes LGBTQ pour lesquelles la famille n'est pas toujours, loin s'en faut, un refuge. “Peu à peu, je me suis sentie complètement isolée, abonde Heloïse, 30 ans. J’avais beaucoup d’amis de soirées que je ne vois plus du tout. Cela m’a beaucoup interrogée, j’ai l’impression de n’avoir eu que de fausses amitiés. J’ai commencé à passer du temps avec ma mère au téléphone… Mais avec elle, c’est compliqué de parler du fait que je sois pan. Là, ça me manque vraiment d’avoir des amis avec qui discuter, c’est même oppressant.”
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Cette sensation d’avoir perdu des amis avec le Covid-19, beaucoup en France la partagent, à en croire une enquête réalisée par une équipe de chercheur-ses en sciences sociales de l’EHESS et du CNRS. Depuis un an, ils et elles explorent les conséquences de la pandémie sur la socialisation. Résultat : 46,6% des 18-30 ans font état d’une perte de contact pendant le premier confinement. Contre seulement 28,4% pour les plus de 60 ans. Pour eux, cette différence entre les générations s’explique par la façon dont les amitiés se construisent.
"Est-ce que j’ai perdu du temps avec eux ? Est-ce que c’étaient de vrais amis ?"
“Habituellement, la vie relationnelle des jeunes est plus intense (relations amicales nombreuses et se renouvelant assez fréquemment) et nous constatons ici qu’elle est effectivement particulièrement affectée par les restrictions liées au confinement, malgré l’importance du recours aux moyens contemporains de communication”, analysent les chercheurs avant de souligner qu’il faudra “d’autres études pour savoir si les changements affectant les relations ont été temporaires ou s’ils ont laissé des traces plus durables.”
A l'aube de la réouverture des bars, Christopher attend avec impatience de voir si ceux dont il n’a pas de nouvelles depuis un an, reviendront finalement. “Est-ce que j’ai perdu du temps avec eux ? Est-ce que c’étaient de vrais amis ? Je ne sais pas mais depuis un an, sans la présence de mes amis et sans lieux de rencontres, j’ai l’impression de ne plus exister comme LGBT. Et ça, c’est ultra-violent.”
Le covid comme révélateur d'amitié
Pour Florence Escaravage, coach en relations amoureuses, cette distance qui s’est construite dans les amitiés n’a rien d’étonnant. “Certaines personnes vont avoir beaucoup de difficultés à parler d’elles, à dire que ça va mal et donc, elles vont moins nourrir les relations amicales.” Certaines a contrario, n’arrivent pas à écouter ou à entendre ce que l’autre ressent ou vit parce qu’ils n’ont pas appris à le faire, poursuit-elle : “Nos amitiés ne sont pas toutes identiques. Certaines sont intimes, fortes. D’autres sont là pour faire du sport, pour sortir ou pour discuter de tout et de rien. Cela ne signifie pas qu’elles sont moins importantes, juste moins présentes dans les moments difficiles.”
"J’avais l’impression que l’on ne se comprenait plus depuis des mois"
A cette absence, s'ajoutent des échanges qui se tendent sans raison, et cette impression parfois de ne plus se comprendre, d'un écart qui se creuse inexorablement au long d'une année bizarre. “J’ai découvert des complotistes dans mes ami-es”, témoigne Stéphanie, 40 ans. Pendant un apéro entre deux confinements, elle s’embrouille avec certains de ses amis. “J’avais l’impression que l’on ne se comprenait plus depuis des mois, comme si tous ces moments passés ensemble n’avaient plus d’importance par rapport à nos divergences. On était là, avec nos verres, et on jugeait les choix des autres. C’était tellement triste.”
Pour d’autres, les confinements ont agi comme un révélateur. Amanda, 35 ans, décrit cette sensation amère de découvrir que l’on n’a pas d’importance dans la vie de ceux qui en ont pour nous. “On a attrapé le Covid avec ma copine et j’ai été assez malade.” Un bref séjour à l'hôpital, une fatigue qui s’installe et l’angoisse d’y rester la submerge. Elle poste un message dans un groupe d’amis WhatsApp pour annoncer qu’elles ont attrapé le Covid. “Certaines de nos amies ont été incroyables. Elles nous ont proposé de faire les courses, de s’appeler juste pour parler de tout et de rien, et ainsi ont aidé à calmer l’angoisse. A contrario, dans le groupe WhatsApps c’était flagrant, aucun homme n’a répondu, ni cherché à prendre de nos nouvelles.”
"Le maintien du lien social a été majoritairement assuré par les femmes"
Là encore, l’enquête du CNRS met en lumière une disparité de genre. “Le maintien du lien social a été majoritairement assuré par les femmes (...) et l’on observe une hausse générale de l’homophilie des relations, c’est-à-dire de la tendance à préférer le « même que soi », celui qui a le même âge, appartient au même milieu, etc.” Amanda, elle, se dit surtout que cette crise a permis de voir pour qui elle comptait vraiment.
Les amitiés qui auront résisté à cette année si particulière semblent en effet avoir trouvé un nouveau souffle. “J’ai l’impression que l’on a tous grandi, analyse Christopher. On est devenu plus matures, et puis on parle beaucoup plus de nos sentiments aussi. Même un de mes amis hétéros commence à me dire qu’il tient à moi, ce qui aurait été impossible à entendre il y a un an.” Même sensation pour Alyx, 20 ans. “J’ai toujours eu l’impression d’être mauvaise pour garder le contact avec les amis. Mais là, pendant les confinements, je ne sais pas, j’ai trouvé ça peut-être un peu plus simple. J’avais plus besoin de me signaler aux autres, de discuter et au final, c’était très agréable." A leur table en terrasse pour la réouverture, il y aura donc peut-être moins d'amis, mais des vrai-e-s.
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