LGBTQI+"Les talibans nous traquent, ils vont nous tuer" : l’appel au secours des Afghans LGBT

Par Laure Dasinieres le 25/08/2021
Afghanistan

Alors que l'Afghanistan est entièrement livré aux talibans et que les Américains évacuent dans le chaos ceux qu'ils peuvent, celles et ceux qui n'ont pas pu fuir vivent dans un état d'angoisse absolue. Ils appellent la communauté internationale à ne pas oublier la communauté LGBT.

Au téléphone, la voix est étouffée, presque suffocante. Shahram (les prénoms des témoins sur place ont été modifiés) ne trouve plus les mots pour dire sa situation. Deux de ses amis sont morts au cours des derniers jours, tués par les talibans. Le jeune homme n’arrive plus qu’à répéter : "Les talibans vont nous tuer. Ils nous traquent, ils nous pourchassent, ils vont nous battre et nous tuer. Aidez-nous." Comme celles d'innombrables Afghan.e.s, la vie de Shahram est en danger depuis que les fondamentalistes islamistes ont repris l’Afghanistan.

"Parce que je suis gay, je dois me cacher, je ne peux pas sortir", nous explique Najib, professeur d’anglais à Kaboul, actuellement reclus dans l’appartement de son oncle en espérant pouvoir quitter le pays, cette semaine, avant que l'évacuation américaine ne prenne fin. Sauf que non seulement les talibans empêchent les gens de se rendre à l’aéroport, mais il semble que seuls les détenteurs d’un visa ou d’une green card américaine soient pris en compte par les soldats envoyés par Joe Biden. Plus tard dans la journée, Najib nous envoie un message de détresse : "Aidez-nous, contactez les autres journalistes, les associations et les activistes LGBT pour porter nos voix. Nous devons quitter le pays."

Les talibans tuent aussi l'espoir

Pour essayer de mieux comprendre la situation dans le pays désormais livré aux talibans et promis à la charia, nous avons contacté Nemat Sadat. Journaliste, romancier, militant des droits humains et ancien professeur de sciences politiques à l'Université américaine d’Afghanistan, il habite désormais à New York, d’où il essaie de coordonner l’évacuation de près de 250 membres de la communauté afghane LGBT en danger immédiat. 

Notre premier échange, prévu ce lundi 23 août, est annulé : à l’heure du rendez-vous, Nemat Sadat apprend que l’un de ses amis vient de recevoir des coups de couteaux de la part d’un taliban. Le lendemain, lorsque nous parvenons à le joindre, il nous donne d’emblée des nouvelles : le jeune homme a pu s’échapper, mais il n’a pas mangé ni dormi depuis deux jours. Il n’est pas sur la liste d'évacuation des Américains et attend, blessé, dans une cachette insalubre. L’avenir est sombre et les prochains jours seront décisifs pour celles et ceux qui tentent de quitter le pays pour simplement pouvoir survivre. 

"La société commençait à évoluer, doucement mais sûrement."

Pourtant, l’espoir subsistait il y a encore quelques mois. Avant le retour des talibans, retrace Nemat Sadat, les personnes LGBT étaient bien sûr loin de vivre une vie paisible : "Sous Hamid Karzai puis Ashraf Ghani, elles n’avaient pas d’existence légale et les relations homosexuelles pouvaient être punies de prison. Celles et ceux qui vivaient dans des familles conservatrices pouvaient être l’objet de violences." Néanmoins, poursuit-il, des changements commençaient doucement à se profiler : "Autrefois, les relations homosexuelles se résumaient à des rencontres discrètes. Or, au cours de ces dernières années, certain.e.s parvenaient à vivre avec leur compagnon ou leur compagne. C’était une avancée considérable, il y avait un vrai début de changement dans les mentalités." Arthemis Akbary, activiste queer d’origine afghane aujourd’hui réfugié en Turquie, confirme : "Il y avait de plus en plus d’articles sur la communauté LGBT afghane dans les journaux kabouliens. La société commençait à évoluer, doucement mais sûrement."

La fuite, désespérée

Le retour des talibans sonne évidemment le glas de ces évolutions sociétales, même embryonnaires. Nemat Sadat reprend, plein d’amertume : "Dans leurs conférences de presse, les talibans disent qu’ils ont changé, c’est absolument faux, les talibans restent des talibans." Avec eux, c’est le retour des persécutions et des exécutions en perspective. "Les personnes LGBT afghanes sont purement et simplement en danger de mort, s'alarme Arthemis Akbary. Je reçois énormément de messages. J’ai échangé avec une jeune femme lesbienne : à l’annonce de l’arrivée des talibans, elle s’est empressée d’épouser son meilleur ami, gay, afin de s’assurer un semblant de sécurité." Il ajoute : "La plupart se cachent, certain.e.s essaient de fuir. Mais n'ayant pas de visa, ils ne peuvent pas franchir légalement la frontière. Alors, ils partent, en laissant leur vie derrière eux, pour essayer de quitter le pays mais la plupart du temps, ils se font refouler aux frontières. Ils n’ont rien, ni toit, ni argent."

Que faire aujourd’hui pour venir notre aide aux personnes LGBT afghanes ? "Je vous en prie, faites pression sur votre gouvernement pour qu’il agisse. Les Afghans ont besoin d’aide, implore Nemat Sadat. Il faut évacuer d’urgence toutes les personnes dont la vie est en danger du fait de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle." Et d'appeler ceux qui se sentent impuissants à user de leurs droits de citoyen.ne.s pour relayer cet appel, impératif.

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Crédit photo : illustration/Kaboul, août 2021, Shutterstock