sportDanse-la comme Bilal : dans les cours de danse "same-sex", corps et esprits se libèrent

Par Assia Hamdi le 25/11/2021
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À Paris, depuis 2013, l’association "Laissez-nous danser" propose une pratique enfin popularisée en 2021 par l'émission Danse avec les stars, grâce en France au couple Bilal Hassani-Jordan Mouillerac : des cours de danse pour des partenaires de même genre. Reportage.

Enfin en 2021, l'idée progresse que la danse de couple ne se pratique pas nécessairement entre un homme et une femme. Hasard du calendrier, l'émission populaire Danse avec les stars a propulsé cette saison sur le devant de la scène deux duos iconiques de même sexe, masculin en France avec Bilal Hassani et Jordan Mouillerac, féminin aux États-Unis avec JoJo Siwa et sa danseuse Jenna Johnson. Ce qui apparaît comme une révolution à la télévision se pratique pourtant déjà dans certaines associations.

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Ce jeudi soir, dans la salle de danse du gymnase Bréguet, dans le 11e arrondissement de Paris, le coach Julien Poli donne de la voix. "Et un et deux et trois, on essaye de monter le plus haut possible sur les demi-pointes, on serre les chevilles !" Fondée en 2013, l’association "Laissez-nous danser" propose ici des cours de danse à deux avec une particularité : la pratique n'y est pas genrée. Seul choix à faire, que l'on danse entre hommes, entre femmes ou toute configuration souhaitée : mener la danse comme "leader" ou bien être mené·e comme "follower".

Une danse leader-follower

"Il y a un réel besoin de se retrouver dans des espaces safe, et une envie de pouvoir danser dans n’importe quel rôle", explique à TÊTU Julien Poli, professeur et champion international de danse sportive. Christelle, 35 ans, suit ses cours depuis quatre saisons. "J’aime la danse de salon et l’expertise de Julien m’a plu. Sans oublier qu’on évite la discrimination ici : on danse avec des homos, des hétéros, avec des personnes malentendantes…" Diane, la femme de Christelle, abonde : "Je me sens en sécurité. On est dans un endroit safe, donc on n’a pas peur de coller le bassin contre son partenaire". Durant l’heure que dure le cours, les visages des danseurs alternent ainsi entre larges sourires et grande concentration.

"Si j’avais pu faire ça il y a 20 ans, je me serais éclaté. C’est un vrai pas en avant."

Michael, élève danseur

À la rentrée de septembre, chaque apprenti choisit de commencer les cours comme leader ou follower. Après une première année, l’apprenti peut continuer dans son rôle ou ajouter des cours de première année dans l'autre. Steven suit les cours depuis quatre ans, si bien qu'il a atteint les niveaux 4 comme follower et 2 comme leader. "Avec mon compagnon, Pierre, on cherchait un lieu où danser entre hommes pour apprendre une chorégraphie pour notre mariage." Bilan un an plus tard : une valse et un cha cha cha le jour de leurs noces ! Une fois la mission accomplie, le couple est resté inscrit et s’est même investi au bureau de l’association. "On est tombés amoureux de la danse, sourit Steven. Aujourd'hui on se connaît tous bien, il y a une super ambiance et une bienveillance entre les élèves. Et puis il n’y a pas que les cours : on organise des dîners, on va voir des ballets…"

Après quinze minutes d’échauffement, la trentaine d’apprentis de niveau 3 danse en solo, puis en duo pour la deuxième partie de l’heure. Homme-femme, homme-homme, femme-femme… La diversité sur la piste plaît à Michael, 59 ans dont trois comme apprenti danseur. "J’ai dansé plus jeune, mais à mon époque, la danse same-sex n’était pas du tout acceptée, se souvient celui qui a vu la première fois deux hommes danser en compétition lors des Gay Games de l’été 2018. Ça m’avait ému, j’avais pleuré de joie…" Ni une ni deux, à la rentrée suivante, Michael s’inscrit à l’association. "Si j’avais pu faire ça il y a 20 ans, je me serais éclaté. C’est un vrai pas en avant."

Un parcours né au Tango

Sur la piste, l'oeil de champion du prof scrute le moindre détail, chaque pointe, chaque pas de travers selon les rôles de chacun·e : "Le leader garde sa posture verticale, contracte ses abdos. Le follower pense plutôt à ses pieds", décrypte-t-il. Ce danseur charismatique de 41 ans a découvert la danse same-sex par hasard il y a déjà presque vingt ans, en 2004. "Mon truc, c’était la musique classique et la clarinette. Mais un soir, par hasard, je suis allé au Tango [incontournable boîte de nuit gay du Marais à Paris, ndlr]. J’ai alors vu deux hommes danser et ça m’a perturbé : j’étais gay mais je n’avais jamais pu imaginer que deux hommes pouvaient danser ensemble…"

"La danse same-sex n’est pas une question de sexe ou d’identité sexuelle. Cela consiste juste à laisser chacun danser comme on en a envie." 

Julien Poli

Séduit, Julien revient tous les week-ends et apprend à danser avec les habitués : au Tango, avant la soirée disco qui commence à minuit, c'est en effet danse de salon pour tous·tes sur la piste en parquet. Quelques mois plus tard, il s’inscrit aux cours du réputé maître de danse Jean-Jacques Schiemer, toujours dans le Marais. "Entre septembre et avril, je suis passé du niveau 1 à 4 en leader !". Quatre ans plus tard, avec un ami, Julien finit cinquième aux Eurogames, une compétition de danse sportive same-sex européenne. "Ça a été la révélation pour moi", se souvient-il. Les années suivantes, Julien continue la compétition et en 2011, il lance ses propres cours de danse : "Je voulais proposer des leçons non genrées pour la communauté LGBT". La première année, Julien n’a que quatre élèves : "Parfois, je rentrais en pleurs, c’était dur à vivre…" Mais le coach s’accroche et les aficionados finissent par affluer. L’association "Laissez-nous danser" naît deux ans plus tard. Cumulant son emploi, les cours et les compétitions, Julien Poli devient malgré tout, avec un ami danseur, champion du monde aux Gay Games de 2018. La consécration.

Aujourd’hui, les compétitions européennes de danse de même sexe ont leur instance, la European Same-Sex Dancing Association, mais n’existent pas dans les événements organisés par les fédérations française et internationale. "Ça reste un tabou", regrette Julien Poli. L’évolution peut-elle passer par des exemples comme Bilal Hassani ? Steven est fan : "À la troisième émission, il a fait un jive de malade ! Je suis jaloux de la façon dont il danse." Pour que les choses bougent partout, "il faudrait aussi que certains profs délient la sexualité et la danse, insiste Julien Poli. La danse same-sex n’est pas une question de sexe ou d’identité sexuelle. Cela consiste juste à laisser chacun danser comme on en a envie." En attendant que le monde continue d'évoluer, "Laissez-nous danser" trace sa route, tout comme une autre association parisienne, Rainbow Evidanse. Alors si vous hésitez encore à sauter le pas, en piste !

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Crédit photo : TF1, Danse avec les stars