À l’occasion des trente ans de la mort de l’écrivain-photographe, plusieurs événements lui rendent hommage. Pour la journée internationale de lutte contre le sida, ce 1er décembre, Arte diffuse notamment le film documentaire Hervé Guibert, la mort propagande.
Hervé Guibert aurait eu 66 ans cette année. Mort à l'âge de 36 ans, le 27 décembre 1991, des suites du sida, il a laissé derrière lui une oeuvre iconique, emblématique des lettres gays. Écrivain français de la maladie, il reste ce visage d’ange aux cheveux blonds et bouclés, devenu célèbre à la publication d’À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (Gallimard) en 1990. Un livre vendu à plus de 400.000 exemplaires en trois ans, dans lequel il se racontait. La France lisait à travers lui le "cancer gay" dont l’ombre partout planait. C’est qu’Hervé Guibert fut une figure majeure de l’autofiction, courant dont les adeptes se sont depuis multipliés. Nombre d'écrivain·es aujourd’hui, queers ou pas, se réclament de son influence – Marie Darrieussecq ou Christine Angot, par exemple, ont plusieurs fois fait part de leur admiration à son égard.
Hervé Guibert, le docu sur Arte
Parmi les adeptes aussi, il y a David Teboul. Le documentariste signe Hervé Guibert, la mort propagande (du nom du premier livre de l’écrivain), son onzième film diffusé ce 1er décembre sur Arte et disponible sur le site de la chaîne pendant deux mois – pour cette journée internationale de lutte contre le sida, le documentaire fera suite au film Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré.
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David Teboul continue de tourner autour de ses idoles : après Saint-Laurent, Simone Veil ou Brigitte Bardot, il s’attaque à une autre figure de son adolescence. "J’ai découvert Guibert par À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, j’étais très jeune, nous dit-il. Depuis longtemps, je voulais faire un film non pas sur lui mais avec lui, par le prisme de ses propres images, ses propres mots." C’est chose faite : on (re)découvre les films d’enfance de Guibert ainsi que les rushes issus des quatorze heures tournées par lui-même sur sa maladie. Dans La Pudeur ou l’impudeur, diffusé en 1990 sur TF1, il se montre décharné, corps à nu et à deux pas de la mort. Un film comme un journal de bord, témoignage d’un quotidien bientôt enfoui. Le cinéaste utilise par ailleurs beaucoup de photographies et planches contacts de l’écrivain exposées en ce moment à Paris, à la galerie Les Douches, dans le 10e arrondissement. Nulle emphase ni afféterie, mais la même brutalité du réel. Si les images frappent, la prose de Guibert aussi – peut-être surtout.
Des textes sont lus par le comédien Nicolas Maury tout au long du film. "Le choix de Nicolas Maury était important pour moi, poursuit le cinéaste. Une forme d’altérité très belle. Sa voix ne ressemble pas du tout à celle de Guibert, c’était important. Il apporte une douceur en contraste avec ce qui est apporté dans le film." On retient, entre autres, les lettres bouleversantes que l’auteur adressait à Thierry, l’amour de sa vie. Le pari du réalisateur est réussi : donner envie de lire ou relire l’oeuvre de l’écrivain.
Objet littéraire du désir
En cet anniversaire de sa mort, par ailleurs, plusieurs livres d'Hervé Guibert paraissent ou reparaissent. L’Incognito est le roman qu’il a écrit sur la villa Médicis, Académie de France à Rome où il a séjourné deux ans, de 1987 à 1989. Un roman paru pour la première fois à son retour à Paris aux éditions Gallimard. Une peinture au vitriol à travers un double littéraire, Hector Lenoir de "l’Académie espagnole", où Guibert raconte les murs qui se craquellent, la vie lente du palais italien, l’amitié avec Eugène Savitzkaya ou Mathieu Lindon, écrivains eux aussi.
La nouvelle parution est accompagnée de deux préfaces, signées de pensionnaires de l’institution qui lui ont succédé : Oscar Coop-Phane et Jean-Baptiste Del Amo (lire la nouvelle inédite de ce dernier dans le nouveau numéro de TÊTU). "Hervé Guibert est resté l’un des pensionnaires les plus émérites de la villa Médicis, écrit Del Amo. Son nom s’y murmure encore, L’Incognito fait partie des romans les plus empruntés de la bibliothèque, dans lequel on se régale de lire quelques mesquineries ben senties et où l’on s’assure que les choses ne changent pas vraiment, que si la villa semble aujourd’hui avoir perdu un peu de son prestige, cela ne date pas d’hier."
"C’est une oeuvre de l’amour et du désir, de la maladie et de la mort."
Gallimard fait paraître également dans la collection L’Arbalète un corpus d’articles de Raymond Bellour, articles parus dans Le Magazine littéraire entre 1980 et 1995 à propos des textes de Guibert. Le critique avait rencontré l’écrivain quand celui-ci avait dix-sept ans et qu’il préparait le concours d’entrée à l’Institut des hautes études cinématographiques, auquel il échoua. Les deux homme étaient restés amis. À propos de L’Incognito justement, Bellour écrivait que l’on y mesure "le goût immodéré de Guibert pour le risque, la provocation et la trahison, dans le fil de sa passion du faux-vrai".
Notons qu’une nouvelle biographie paraît de son côté chez Louison éditions, Dans les braises d’Hervé Guibert, signée par Maxime Dalle, directeur de la revue littéraire Raskar Kapac. L’éditeur précise que Dalle "ne se contente pas d'évaluer grâce au recul du temps la portée et l'écho des textes d'Hervé Guibert ; il restitue aussi la présence et le mystère." Une présence qui traverse le temps. Selon David Teboul, les livres de Guibert sont "à la fois romantiques et baroques, ils nous plongent dans une époque. C’est une oeuvre de l’amour et du désir, de la maladie et de la mort. Une oeuvre universelle."
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Crédit photo : Hervé Guibert ("Moi, 1980")