[Enquête] Si les lesbiennes s’affirment dans le sport pro, côté amateur, elles ont encore des difficultés à pouvoir exister. Y compris, paradoxalement, dans des associations LGBT+.
“Dans les clubs LGBT+, les femmes qui jouent avec les gays sont hétéros. Nous les lesbiennes, on n’existe pas.” Amandine* fulmine. Il faut dire que son expérience dans une asso sportive LGBTQI+ lui est restée en travers de la gorge. Lorsqu’elle arrive à Paris, elle cherche à faire des rencontres et du sport. Elle s'inscrit à Contrepied, une asso de volleyball LGBTQI+. Mais très vite, elle observe un décalage entre la promesse et la réalité. Et elle n'est pas la seule. “Certaines fois, nous n’avions même pas de vestiaires pour nous changer, renchérit Myriam*, qui s'est elle aussi essayé au volley à Contrepied. Il est aussi arrivé que l’on se prenne des punitions parce qu’on part changer un tampon.”
Chez Contrepied, il existe des cours mixtes et des cours dits féminins. Sauf que, pour la dizaine de volleyeuses amatrices interrogées par TÊTU, les cours en mixte les ramènent parfois aux pires heures des cours d'EPS des années collège. “On nous reproche de ne pas venir au cours mixte et de vouloir jouer entre nous, ajoute Elsa*, mais quand nous sommes présentes, on ne nous passe pas la balle. On ne joue pas. On nous fait bien sentir que nous ne sommes pas les bienvenues.” En dehors du terrain, certains s'autorisent même à faire des remarques lesbophobes : "J’ai du mal à parler avec les butchs", a par exemple entendu la joueuse de volley.
"La parité pour un vagin ne sert à rien"
Bien décidées à faire du volley et à rendre cette association plus LBT-friendly, elles font remonter les problèmes rencontrés. “Nous pensions sincèrement que les responsables de l’association n'étaient pas au courant. Mais si, continue Elsa. Ils nous ont expliqué que si nous n’étions pas contentes, nous n’avions qu’à quitter l’asso. Sauf que pour faire du volley, il faut des terrains et que Contrepied est le seul club LGBT+ à Paris.”
Certaines militantes se lancent alors dans un nouveau combat : inscrire la parité dans les statuts de l’association pour tenter de stopper ces discriminations. En 2019, 2020 puis 2021, plusieurs d’entre elles se présentent au conseil d’administration (CA). Deux sont élues en 2020, sept en 2021. Depuis juin dernier, c'est même une femme qui préside l'association. “C’est une première et oui, nous avons des adhérents qui sont attentifs à ce changement”, souligne Nathalie, la nouvelle présidente. Mais là encore, pour certains hommes de l'association, cette mixité ne passe pas. “Est-ce qu’en se faisant élire, les femmes veulent nous manger ?” lâche un membre dans une conversation commune que TÊTU a pu consulter. “Je ne fais pas de pseudo-politique de bas étage comme certaines [qui veulent] donner un sens à leur vie insipide. De plus, la parité pour un vagin ne sert à rien”, ajoute un autre membre de l’association.
Pour Alain le secrétaire de Contrepied, également administrateur de la Fédération Sportive LGBT+, ce petit groupe de femmes “un peu extrémiste (…) prend en otage des bénévoles en menaçant de parler sur les réseaux sociaux.” Pour lui, si l’association ne compte que 20% de femmes, c’est parce que “c’est un sport qui les intéresse moins que les hommes ”, tente-t-il, assurant que dans les assos, les femmes sont minoritaires.
"Lesbienne washing" ?
“En interne c’est très dur, les propos sont dénigrants en permanence, mais pour les rendez-vous avec les politiques, ils nous demandent de venir pour avoir plus de terrains, ajoute Pauline*. Ils nous instrumentalisent, c’est clairement du lesbienne-washing.” Interrogée sur ces échanges, la présidente de l'association balaie la question d'un revers de main : les propos tenus sur les réseaux sociaux ne “l’intéressent pas”. Et d’ajouter : “Entre les homos hommes et les femmes, il existe parfois un monde, mais évidemment nous réagissons quand nous avons connaissance de ces faits”.
De son côté, la Fédération sportive LGBT+ dit avoir connaissance de situations problématiques au sein de cette association. “Cela fait un moment que la situation est difficile pour les LBT à Contrepied, souligne Eric Arassus, son président. Mais étant donné que nous sommes une fédération d’associations, nous n’avons pas le pouvoir d’agir. Cela serait vu comme de l’ingérence. Les seules choses que nous pouvons mettre en place, ce sont des formations et des médiations. Pour le reste, c’est à Contrepied d’agir.”
Des "boys clubs"
Contrepied n’est pas la seule association où certain·es LBT ont du mal à se sentir accueillies correctement. Une vingtaine de lesbiennes, bies et pan rencontrées par TÊTU racontent leur difficultés à faire du sport sans stigmatisation au sein des assos pourtant affichées comme queer. Peut-être parce qu'historiquement, les assos sportives ont toujours été plutôt plébiscitées par les hommes gays qui les ont créées. Selon les chiffres de la fédération, sur les 66 associations de sports LGBT, les femmes ne représentent que 20% des personnes inscrites. “On a un vrai problème de parité dans le milieu, poursuit Eric Arassus. Aujourd’hui, on reste dans une logique de domination des hommes cis gays, des boys clubs en somme.”
Au Paris Aquatique, les femmes, trans ou cis, représentent 30% (contre 10% il y a dix ans) des adhérents. Ce qui peut occasionner des difficultés pour certain·es. “Je n’ai pas ma place dans ce club”, déplore Gaëlle*, 26 ans, qui raconte des propos discriminatoires, des insultes uniquement au féminin mais aussi la sensation de passer après les hommes. Deux autres personnes décrivent des propos misogynes (“ça pue la chatte ici”) et des remarques humiliantes. En 2017, l’une des personnes interrogées par TÊTU raconte avoir subi une agression sexuelle. “Je dansais avec une femme et un homme gay est arrivé, m’a attrapé par les seins et a mimé une sodomie.” Une autre raconte une soirée, juste avant le Covid, où ce même homme a baissé le tee-shirt d'une serveuse, sans son consentement et devant une assemblée hilare.
Misogynie assumée
Comme pour Contrepied, les personnes interrogées décrivent une ambiance où seuls les hommes sont mis en avant pour leurs prouesses. “Je me souviens d’une entraîneuse qui nous a dit qu’elle était déçue d’entraîner des femmes, qu’elle aurait préféré s’occuper des hommes parce que là, au moins, ça avait de l’intérêt”, ajoute Gaëlle.
De son côté, Brice Murray, président du Paris Aquatique, dit découvrir ces faits. “Nous n’avons pas eu de mails ou de plainte en interne, sauf en 2018 où il y avait eu un accrochage entre un homme du club et une femme d’un autre club LGBT avec dépôt de main courante pour des remarques sexistes.” Il affirme que le nageur en question a été suspendu trois mois et n’a pas été en mesure de participer à un événement organisé l’année suivante.
Une situation qui se répète aussi dans l’association des Front Runners Paris, en 2021. “Dès le premier jour, ça a été la douche froide, raconte Jessica*. Que des hommes gays et clairement, je n’étais pas la bienvenue.” Dans ce club LGBT+, les échanges se font par mails. Une façon de parler de tout et de rien et de programmer les prochaines compétitions. En mars dernier, un “toustes” dans un message avait suscité des dizaines de mails peu bienveillants. Deux mois plus tard, un membre ironisait sur Alice Coffin. “Suite à un pari douteux, je suis obligé de chroniquer 'Le Génie Lesbien' d'Alice Coffin [...] Je sais, faut pas parier bourré…”, peut-on lire dans le mail. “Globalement dès que l’on ose parler ou dire, on nous remet à notre place pour bien nous faire comprendre que c’est avant tout une culture gay et que nous n’avons pas de place”, ajoute Emilie*. Contactée, l’association n’a pas répondu à nos demandes d’interview.
Former les assos
Au-delà de ces trois associations, cette ambiance de boys-club empêche une partie de la communauté de pratiquer du sport. “Où que l’on aille les hommes nous font bien comprendre que c’est un effort de nous avoir accepté, ajoute Chloé. Je ne sais pas combien de fois je suis repartie en pleurant alors qu’à la base, j’étais juste venue faire du sport.” “Dans les clubs classiques, les hommes occupent tout l’espace, sont lourds et insistants, souligne-t-elle. Mais quand on se tourne vers les clubs LGBT, c’est parfois pire. Jamais un hétéro ne viendrait nous parler de l’odeur supposée de notre vulve.”
Depuis, Myriam et Elsa réfléchissent à trouver un autre sport. De leur côté, Emilie et Jessica ont quitté les Front Runners Paris. Jessica a fini par s’inscrire dans un autre club LGBT où elle a plaisir à aller. “Au final, quand la bienveillance et la formation sont au rendez-vous, ça peut être très agréable de faire du sport dans un club queer."
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C'est peut-être aujourd'hui le plus grand défi des assos sportives LGBTQI+. Comment s'ouvrir au plus grand nombre et répondre à la demande grandissante en s'assurant d'être un safe space pour tout le monde ? “Jusqu'à présent, il n'y avait aucune formation au sein des clubs LGBTQI+”, admet Eric Arassus. La fédération sportive LGBT+ veut donc prendre ce problème à bras le corps et compte organiser, dès l’année prochaine, un ambitieux programme de formation, pour éduquer tous.tes ses adhérent.e.s sur les questions LGBTQI+. Quand on entend un membre du bureau de Contrepied décrire les personnes trans comme des “hommes qui se sentent femmes”, on se dit qu’effectivement, ces formations sont plus que nécessaires.
*Les prénoms ont été modifiés
Suite à cet article, l'association Contrepied nous a envoyé un droit de réponse que nous avons publié ici.
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