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témoignagesAvoir eu 20 ans dans les années 1970 : Roger Peyrefitte, "Gai Pied", premières manif

Par Tom Umbdenstock le 17/01/2022
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[Récit 2/5] Suite de notre série : après Gilbert qui nous a raconté sa jeunesse dans les années 60, Gérard se remémore ici des seventies où la question homosexuelle commence à émerger à la télévision, où naissent des lieux et une presse homos, mais aussi des passages à tabac, toujours, avec Dalida en bande-son…

Les années 1970 ont comme l’air d’avoir commencé en mai 1968. Du moins pour ce qu’on appellera la libération sexuelle. Pendant les “événements”, Gérard a 20 ans. Étudiant à Lyon, il se rend alors dans la capitale : “Je voulais me rendre compte moi-même de ce qu'il se passait à Paris”. Dans le bâtiment des Beaux-Arts, il trouve une jeunesse réunie autour d’idées dont il avait n’avait pas encore entendu parler, alors il écoute, et participe timidement : “J’ai un peu fréquenté ces assemblées générales et leurs prises de parole. Avec des personnages hauts en couleurs, des trans, des travestis ou des folles, comme on les appelait à l’époque : les Gazolines”.

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La jeunesse de cette décennie se dote donc d’un nouveau discours de libération qui a un impact sur la cause homosexuelle. “Quelque part, ça me conforte dans l’idée qu’on n’est pas seuls, qu’on peut se battre, qu’on mérite d’être respectés comme les autres”, se souvient Gérard, qu'on retrouve à l'âge de 71 ans. Avec le recul, il a le sentiment d’avoir trouvé à l'aube de ses vingt ans des compagnons d’infortune, homosexuels qui comme lui revendiquaient la liberté d’exister, et celle de jouir : “On ne parle pas encore de droits, à l’époque. On veut se libérer de toute une série d’images qu’on nous colle, dire qu'on existe, qu'on est des êtres humains comme les autres. On veut faire reconnaître nos identités.” Une image lui revient, celle du “Boulevard Saint-Michel noir de monde, et des gens qui se parlent et échangent. Mai 68, c’est vraiment la prise de parole.

Avoir eu 20 ans dans les années 1970 : Roger Peyrefitte, "Gai Pied", premières manif

Parole qu’il mettra en pratique dans sa vie personnelle, un mois plus tard. De retour à Lyon où il étudie, il disparaît subitement quelques jours. “Et donc mon père est venu me rechercher et c’est là qu’il me demande ce qu'il se passe, et moi je lui ai dit...” Un coming out en néo-militant, bravache, seul face à son père au volant de la voiture. “C’est comme ça, je suis homo et puis il faut pas m’emmerder, balance Gérard. Tu sauras jamais, quand je te présente quelqu’un, si je couche avec ou pas.” Des mots qu’il regrette un peu aujourd’hui. “Mais je crois que c’était par réaction par rapport à ce qu'il s’était passé avec ce garçon.“ Ce garçon de son entourage qui s'était suicidé, laissant derrière lui une question en suspens : “Est-ce que c’était lié à son homosexualité, au rejet par sa famille ?”.

Le père n’accueille pas bien la nouvelle. “Je crois que c’est une des rares fois où j’ai vu mon père pleurer.” La réponse est cinglante : “Pourtant on avait tout fait pour que tu sois… que rien ne se passe comme ça.” Sa mère se montre plus compréhensive – “Si pour toi, c’est ta vie, il n’y a pas de problème” – mais s’inquiète de ne pas avoir de petits-enfants, et puis du qu’en-dira-t-on. Ces choses-là sont dites, avant le grand silence : “On n’en a plus jamais reparlé”. Mais Gérard maintiendra dès lors son refus de se taire à jamais, comme font les morts, ou bien de faire semblant comme c'est courant à Beaune, la ville où il a grandi : “Je voyais dans ma petite ville les commerçants mariés qui venaient dans les pissotières pour rencontrer des hommes“.

Tuileries, saunas et chasses aux pédés

Poursuivant ses études, Gérard emménage à Paris l’année suivante, en septembre 1969. Il file droit vers les années 1970 où sa vingtaine trouvera des espaces plus accueillants. “Quand j’arrive à Paris, même de Lyon, c’est le jour et la nuit.” Son premier contact avec un milieu gay, ce sont les Tuileries, lieu historique de drague entre hommes, traversées par bien des jeunesses au fil des décennies. “Autour de l’Orangerie, la journée, ça tournait en rond sans s’aborder ou en faisant des minauderies, et tout ça qui n’en finissait pas, qui s’éternisait”, rit-il encore. Pendant ces rendez-vous, “il y avait des petits groupes, en général toujours avec un monsieur plus âgé. C’est comme ça que j’ai pu rencontrer des gens comme Jean Sénac ou Hubert de Luze, qui avaient une cour parce que c’étaient des intellectuels.” Leur quotidien, là-bas : “On papote avec les copains, on regarde les nouveaux qui arrivent aux Tuileries, et puis la journée passe comme ça”.

Bref, dans le grand parc du XVIe siècle, “l’après-midi on faisait salon, le soir c’était la baise”. Gérard lui ne s'y rendra qu’une fois de nuit, par “peur de se faire cogner”. Et pour cause : quelques années plus tôt, “je m'étais fait castagner et dévaliser dans les allées du parc à Dijon, par des voleurs qui voulaient casser du pédé”. Il subira une autre agression à l'âge de 22 ans, Boulevard Sébastopol à Paris, où il est “attaqué par une bande de jeunes parce qu’on était dans une pissotière. Ils vous cognent, ils vous prennent du fric.” Résultat : “Je n’aime plus du tout draguer le soir, la nuit dans des lieux extérieurs”. Les années 70, c'est aussi une décennie où, à seulement 22 ans, on s’est déjà fait tabasser deux fois parce qu’homosexuel.

Du coup, après, moi je préférais aller au sauna.” Trois de ces bains sensuels de l’époque lui reviennent à l’esprit. “Le premier c’était vers la place des Ternes, rue Poncelet, les Bains Poncelet”, à l’esthétique contrastée : “C’était quand même glauque, mais avec des magnifiques garçons. Des garçons arabes en particulier.” Puis plus tard, le Miromesnil, “plus moderne, plus élégant, plus sympa, avec des meilleurs équipements”. Dans le troisième qu’il fréquentera, le Guillaume Tell vers la place Péreire, il rencontre Denis à la fin 1976. Leurs douze années de vie commune seront sa “première relation suivie, alors qu’avant, c’était ou les relations purement physiques d’un soir, ou anonymes dans des lieux comme les saunas ou autres.

J’ai vu pour la première fois deux garçons danser un slow ensemble et ce fut un choc !

Encore célibataire au début de la décennie, la vingtaine bourgeonnante, un ami rencontré aux Tuileries lui confie qu'“il y a une boîte où les hommes qui aiment les hommes se retrouvent le soir et dansent ensemble”… C’est La Mendigotte, quai de l’Hôtel de Ville. “J’ai vu pour la première fois deux garçons danser un slow ensemble et ce fut un choc !”,  se rappelle le septuagénaire cinquante ans plus tard. Un lieu “extrêmement folklorique et sympathique” où “la personne qui gardait l’entrée était une femme imposante”. Restaurant au rez-de-chaussée, puis un escalier raide pour descendre dans “la petite discothèque”.

Sa vingtaine suit dès lors de nouvelles amitiés, au fil d’un Paris gay en pleine construction. “On m’avait parlé d’un bar, le soir, rue des Trois Bornes dans le XIe arrondissement, il y avait des grilles à ouvrir et à fermer et il y avait une lumière rouge le soir. Il fallait sonner. C’était tenu par une 'folle' de 50 ou 60 ans.” Description du Chapiteau, où l'on trouvait “un style, une ambiance qui a complètement changé avec l’ouverture des bars de jour comme Le Village, dans le Marais, à la fin des années 70”. Un lieu qui fut également un restaurant, et dont Gérard a “des souvenirs un peu angoissés, parce que c’était un monde extrêmement maniéré, pas du tout mon genre.”

Au printemps de sa vie, “il y avait aussi le mythe de Saint-Germain-des-Prés”, reprend le retraité. “Saint-Germain, c’était the place to be ! Il y avait des boîtes pour les femmes lesbiennes aussi, pas loin.” Lui fréquentait de temps à autres le Café de Flore : “On m’avait dit qu’au premier étage ça draguait, et qu’on pouvait rencontrer des garçons”. Il se consacre là-bas à de chastes activités : “On prenait le thé, on mangeait des gâteaux et on faisait connaissance”. Il y trouve aussi, au hasard des rencontres, un certain Paris : “C'était un peu mondain quand même.” En face, d'autres activités nocturnes : “Le Drugstore Saint-Germain, un des premiers, ouvert jour et nuit au croisement de la Rue de Rennes et du Boulevard Saint-Germain, c’était les tapins, la prostitution masculine.” Les films porno trouvent aussi une place dans le quartier. Gérard ira quelques fois dans un des premiers cinémas diffusant du porno gay, rue du Dragon : “Je trouvais que c’était moins sordide que les cinémas pornos dits hétéros, avec beaucoup de misère sexuelle”.

Rue Saint-Anne, la Tunisie et Mykonos

Après il y a la rue Sainte-Anne, qui a pris le relais au milieu des années 70. J’y allais assez souvent parce que j’aimais bien danser, et puis il y avait l’une des premières 'backroom'… Le Marais n’existait pas encore à l’époque.” Apparaissent dans cette rue des bars, des boîtes, des restaurants homos comme Le Vagabond. “Rue Sainte-Anne j’ai rencontré un garde du corps du président Valéry Giscard d’Estaing, un bel homme noir du service présidentiel”, un certain 13 juillet de 1975 ou 1976… Dans son appartement parisien, Gérard tapote sur son téléphone pour retrouver le nom de lieux qui ont bercé sa vingtaine. “Le premier sex-club que j’ai connu et que j’ai fréquenté, c’était Le Bunker, rue Sainte-Anne.” Le Sept et Le Colony furent parmi les plus emblématiques discothèques de l’époque, dans une rue qui concentre aujourd’hui la communauté japonaise.

Loin de la rue Sainte-Anne, de Paris et même de France, la décennie pour Gérard est parsemée de voyages aux vertus initiatiques. D’abord la Tunisie, sa première excursion hors d’Europe, “où l’homo-érotisme était présent partout dans la rue, les plages, les lieux publics, et où je fus outré du comportement de certains Allemands bedonnants qui achetaient les faveurs des jeunes Tunisiens de Sousse en sortant leurs billets de deutschemark, me donnant honte d’être homosexuel car je ne sentais pas de respect envers ces jeunes”.

Il y a eu Mykonos aussi, où le jeune Gérard est allé plusieurs fois. “Il fallait faire des heures de marche le long d'un chemin caillouteux pour aller jusqu’à l’autre bout de l'île, la dernière crique, tout ça pour pouvoir rencontrer un mec...” Dans les années 70, pas de boîte sur l'île. “Il n’y avait que les plages et les criques où ça baisait et ça draguait. On se faisait aussi piquer par des méduses épouvantables !” Enfin les États-Unis, en mai 1976, qui lui laissent le souvenir ému de “tous ces jeunes Américains sportifs, musclés, qui revenaient avec leur vélo à minuit pour prendre le bac afin de rejoindre Staten Island". Celui aussi "d’un érotisme, d’une excitation en débarquant quelques heures à Central Park, au milieu des magnifiques gratte-ciel, avec l’odeur des premières fleurs printanières. Un moment très intense.

Jean-Louis Bory, Roger Peyrefitte, Playgirl, Gai Pied

En France, l’homosexualité commence discrètement à se creuser une place dans les représentations et les imaginaires du grand public, via le petit écran. Quand on lui parle de sa vingtaine, Gérard a en tête “des émissions à la télévision qui ont marqué les débats autour de l’homosexualité”. Il se souvient d’un routier gay qui parlait face caméra de son orientation sexuelle, “c'était la première fois que je voyais un routier avec tout ce qu’on imagine de l'ordre du fantasme, un bel homme en plus, très masculin.” Une nouveauté car “pour une fois, on présentait un garçon extrêmement masculin, alors que d’habitude on trouvait toujours la 'folle de service' ou le garçon un peu maniéré". Heureux donc qu’à cette image on en ajoute de nouvelles, même si l’intéressé en a subi les conséquences : “Le pauvre, après il en a pris plein la gueule et il a été obligé de changer d'emploi”.

Car même en apparaissant à la télévision, l’homosexualité doit encore se justifier, laborieusement. Jean-Louis Bory, journaliste et écrivain, devient un peu malgré lui le porte-parole de cette cause, “à l’occasion de la sortie de son livre 'Ma moitié d’orange'." La vingtaine, pour Gérard aussi, c’était un peu ce “droit à l’indifférence” que réclamait Jean-Louis Bory : “J’ai accepté ce que j’étais et je l’ai défendu, je l’ai assumé totalement, sans provocation mais sans me débiner”. En 1973, l’écrivain qui défend son livre abordant son homosexualité apparaît dans l’émission Samedi soir. “Il y a beaucoup de types qui ont honte, qui se camouflent et justement, je me suis dit 'y en a marre'”, explique-t-il sobrement. “On vous laisse tranquilles”, rétorque Philippe Bouvard avant de questionner la part de féminité de son invité. Bory ne se débine pas : “Je pense à tous ceux qui, parce qu’ils ne vivent pas dans ce milieu parisien qui est assez ‘permissif’, comme on dit aujourd'hui, qui parce qu’ils n’ont pas la possibilité d’avoir une certaine notoriété qui les protège, qui parce qu’ils n’ont pas la possibilité de pouvoir s’épanouir et dire ‘je suis comme ça et puis merde’…” Et de se faire objecter par le présentateur, signature d’une époque : “Si j’avais un fils de 16 ans, je ne vous l'enverrais peut-être pas ce soir.

Avoir eu 20 ans dans les années 1970 : Roger Peyrefitte, "Gai Pied", premières manif

Loin de ces discours, le jeune homme peut trouver refuge dans les livres. “Il y a eu les romans de Roger Peyrefitte, qui m’ont beaucoup plus marqué que Gide ou Proust.” Les écrits de cet auteur, qui parfois accompagnait Jean-Louis Bory en plateau, ont nourri la vingtaine de Gérard. Il se souvient des Amitiés Particulières, Les amours singulières, ou encore Les Américains. Plaisir ou réconfort se trouvaient aussi dans les pages glacées de certains magazines. Sortait à l’époque le premier Playgirl, qu'il a “découvert tout à fait par hasard dans un hall de la presse". Au milieu de la décennie, il se rappelle l’avoir acheté régulièrement, pour “le plaisir de voir des beaux hommes. Des hommes à femmes, mais très appétissants. Ni honteux ni provocant.” Tout simplement un “moyen d’acheter un truc homo-érotique. Moins vulgaire que Playboy, plus fin dans l’approche”. En avril 1979 paraît Gai Pied, premier magazine gay vendu en kiosque, dont il sera lecteur régulier.

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Les années 1970 avaient aussi une bande-son, qui disait tout doucement le désir des homos de se faire entendre. Dalida, bien sûr, qui chantait la beauté des hommes dans “Gigi l’Amoroso” ou “Il venait d’avoir 18 ans”. Charles Aznavour chantait de son côté “Je suis un homo, comme ils disent”, fredonné par Gérard qui l’entend pour la première fois à 24 ans, en 1972. Pour le reste, le jeune homme achète plutôt des vinyles de musique classique, dont il a découvert les merveilles dans les salles de concert parisiennes.

On a participé dans les années 70 aux premières marches de revendication.”

Pour Gérard, être gay et avoir 20 ans il y a 50 ans, c’était vouloir dire ce qu’on est, sans trop faire de vagues. Lui a milité dans un Groupe de Libération Homosexuelle à Paris, dont il a le souvenir “de garçons qui abordions franchement nos problèmes d’homosexualité et tout ça”. Des rencontres un brin trop formelles pour lui, en comparaison avec les grandes assemblées de mai 1968, “alors que des militants chez les uns et les autres, c’est plus discret”. Grâce à eux pourtant, les homosexuels se rendent dans la rue le 1er mai : “On a participé dans les années 70 aux premières marches de revendication”. Il se rappelle d’ailleurs que “la CGT ne voulait pas nous voir dans ses manifestations prolos, populaires.” Un litige qui se soldera positivement : “C’est vraiment un choc que j’ai eu 30 ans plus tard, quand j’ai aperçu la banderole de la CGT dans une Gay Pride descendant le Boulevard Saint-Michel. J’avais encore le souvenir des bagarres de l’époque avec le service d’ordre de la CGT. Je me suis dit que le militantisme, l’activisme qu’on a porté a quand même servi à quelque chose !” Il s’éloignera de ces combats : “Je trouvais le militantisme homo un peu excessif.

Infecté par le VIH au début des années 1980 à New-York, il rappelle que “beaucoup mouraient inexorablement avant la découverte des multi-thérapies. Mais certains, de façon un peu incompréhensible, étaient stables, comme moi.” Il luttera pour l’information et la prévention face à cette nouvelle maladie : sur Fréquence Gaie, avec Marc Imbert, “j’animais une rubrique santé sur l’hépatite B, avant de passer aux questions VIH”. Il militera chez Aides dès 1985 puis créera l’association Santé et Plaisir Gai (SPG) en 1987. Un engagement qui ne cessera jamais, pour continuer de libérer la parole et lutter contre ce nouvel ennemi, le VIH-sida, qui marquera au fer rouge les décennies gays suivantes.

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Retrouvez tous les épisodes de notre série "Avoir eu 20 ans en" :

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Crédits photos : archives personnelles de Gérard