[Récit 4/5] Grandir dans une décennie où l’homosexualité se découvre dans l’ombre du sida. Puis vivre au grand jour avec le cinéma, l’Europride, les associations et enfin le Pacs… Julien nous raconte sa vingtaine dans les années 1990.
“Je n'ai pas eu beaucoup d’images positives de l’homosexualité dans ces années-là". Après la dépénalisation de 1982, on pourrait croire que les années 1990 avaient pour les jeunes homos un goût inédit de liberté. Julien se souvient pourtant d'une jeunesse timide, dans le brouillard, et d'une découverte de sa sexualité dans un contexte "mortifère", en particulier parce que “très marqué par les années sida”. Fin 1991, l'épidémie emporte Freddy Mercury, l'emblématique chanteur de Queen. Un décès qui le marque “parce que c’est une énorme star ; il y a un côté spectaculaire, montrant que ça peut toucher tout le monde… Il a mis un visage très connu sur la maladie.”
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Une épidémie qui aura façonné son rapport à l'homosexualité, et teinté les plus belles années de Julien, né en 1973 : “Je lis Hervé Guibert à 17 ou 18 ans, en particulier les récits de sa maladie.” Il cite À l'ami qui ne m’a pas sauvé la vie et Le protocole compassionnel, deux oeuvres majeures de l'écrivain mort le 27 décembre 1992. Julien a alors 19 ans. Mais il retiendra aussi de l’auteur qu’il “Iaissait entrevoir aussi une vie amoureuse possible en tant que gay, que la vie gay ne se réduisait pas à aller dans des lieux glauques à 3h du matin.”
"Nuit Fauves" et Paris Boum Boum
À l'époque, les représentations ne lui ouvrent que peu d'alternatives. Il se souvient du film Les Nuits Fauves, “que je vois avec ma mère”, en 1992. Le personnage principal vit un “sentiment d’urgence lié à sa maladie et se sait condamné, à l'époque.” Il décrit “la scène d’ouverture où un mec soumis se fait tabasser pour son plaisir… donc ça commence assez fort”. On y trouve aussi “une scène de drague dans les entrepôts de la gare d’Austerlitz – c’était un lieu de drague à l’époque – et il demande à un mec de lui pisser dessus.” Une image crue, aussi excitante qu'effrayante alors que son attirance pour les hommes n'en est qu'à ses balbutiements.
Attablé à la terrasse d’un café, Julien, qui a désormais 47 ans, précise que le réalisateur du film, Cyrille Collard, “c’est un romantique en même temps. On peut être trash et romantique”. Mais aussi un peu secret, comme ses premières fois avec des hommes. “Pour moi, c’est un peu underground, confidentiel, je n’en parle à personne.” Originaire de banlieue parisienne, il aurait pu rencontrer des garçons "à Jaurès, aux Tuileries", mais explique : “Je ne m’imaginais pas la nuit dans un parc en train de draguer”.
Alors, son premier partenaire sexuel, il l'a rencontré à l'abri du téléphone – filaire –, précurseur de la drague en ligne. “Il n’y avait pas les applis, évidemment, et je n’avais pas le minitel chez moi non plus.” On repérait les dix chiffres à composer “dans les journaux de petites annonces, gratuites, que tu trouvais chez les commerçants, genre dans les boulangeries ou les supermarchés. Le plus connu, c’était Paris Boum Boum”. Le fonctionnement est simple : “Les gens déposaient des petites annonces genre je vends ma voiture, je cherche un frigo… Et à la fin, c’était que des pub de cul : soit pour le minitel, soit pour ces numéros de téléphone surtaxés.”
Au bout du fil, le rite de séduction est chorégraphié : “D'abord, tu envoies un message vocal. Après, selon les numéros, soit tu peux entrer en contact directement avec la personne, soit tu laisses ton numéro de téléphone et la personne te rappelle ensuite.” Julien finit par rencontrer un homme : “Je ne suis pas super emballé par le mec mais il fallait que je le fasse, ça me travaillait depuis des années.” Une fois le pas franchi, il en enchaîne "deux, trois autres", "plus ou moins réussis", avant de conclure, détaché : "Les premières expériences n'ont pas été les plus agréables…”.
Les années Queen, techno et ecstasy
Julien fête ses vingt ans en 1993. Cette période signe enfin pour lui “le début de la libération de mon homosexualité et la découverte d’images plus positives et plus festives.” “Au début, je sors dans les boîtes hétéros, je m’y emmerde. Je passe une bonne partie de la soirée assis sur le canapé à attendre que ça se passe.” Mais un miracle se produit enfin : “Par des amis en commun, une copine nous amène à cette nouvelle boîte qui vient d’ouvrir fin 1992, et qui s’appelle le Queen”.
"La première fois, j'étais comme un enfant à Disneyland. Je suis reste scotché par l’ambiance, par la musique.” Un lieu devenu mythique, au beau milieu des Champs-Elysées à Paris, qui a fermé ses portes en 2018. Il y avait un bel espace, on descendait un grand escalier. Puis il y avait une grande salle, et un balcon où on pouvait mater les mecs qui dansaient en bas.” Ses meilleurs souvenirs ? “Les soirées mousse, tu rentrais trempé ! T’essayais de mettre tes fringues au vestiaire parce que c’était tout de suite galère, ou alors tu faisais des allergies à la lessive. Tu rentrais avec des plaques rouges et tu sentais la lessive en rentrant chez toi… Mais c’était rigolo.”
Les soirées qu'il fréquente lui font découvrir la musique électronique, qui émerge dans les années 1990. “Au Queen il y avait une soirée trance. J’aimais bien la trance, mais moins la techno, trop hard, trop agressive.” Il préfère la house, "plus gay", même s'il suit parfois des potes hétéros dans des raves techno clandestines. Dans le décor de sa vingtaine, on compte aussi le Rex Club où “le jeudi, il y avait les soirées de Laurent Garnier, les soirées Wake Up. On avait l’impression qu’il se passait quelque chose d’important, musicalement, socialement”. “Plus tard, peut-être vers 1994 ou 1995, il y avait le Scorpion. La clientèle y était plus gay qu’au Rex. C'est-à-dire qu’à l’époque, j'affine mon gaydar”, blague le quadragénaire.
La bande originale de sa génération trouve aussi son écho sur Radio FG [Radio Fréquence Gay] qui à cette époque “accompagne les sorties en rave. C’est eux qui donnent les infos pour les soirées. Il y a de la house et de la techno, c’était plus pointu qu’aujourd’hui.” Sans oublier de mentionner, sans honte ni fierté, que ces années-là, “c’est la découverte de l'ecstasy. C’est extrêmement cher à l'époque, 250 à 300 francs la pilule, alors qu’aujourd’hui c’est 10 euros. Et puis la drogue du pauvre c’était le trip, le LSD, à peut-être 30 ou 50 balles.” Les nuits gays, ses nuits fauves, bercent ainsi la jeunesse de Julien qui s’épanouit d’abord sous l’éclairage des néons.
TÊTU, Ozon, Téchiné
Jusqu’au milieu de sa vingtaine, ses parents n’avaient pas fait toute la lumière sur cette partie de sa vie. "Mais je pense que volontairement je laissais des indices. J’ai commencé à acheter TÊTU, que je ne cachais pas forcément…” Le magazine est en effet publié pour la première fois en 1995, quand Julien a 22 ans. Il se rappelle que “c’était un acte militant et un courageux d’aller chez son marchand de journaux pour demander TÊTU. Beaucoup de libraires le mettaient avec le porno, c’était tabou, caché.”
Les reflets du magazine éclairent le quotidien du jeune homme en quête de représentations enthousiasmantes. “Le fait de lire TÊTU, c’est beaucoup de réconfort. Ça met du baume au cœur, parce que ça montre aussi une image positive, c’est pas un petit gratuit mais une belle revue, classe, avec un belle maquette, avec des interviews de personnalités.” Le magazine, qui paraît trois ans après la disparition de Gai Pied, “contribue à la sortie du placard. TÊTU, dans ma perception, c'est une nouvelle visibilité de l’homosexualité dans la société.”
D'ailleurs, la dépénalisation de 1982 a semble-t-il déjà fait bouger les lignes. S'il a mis du temps à faire son coming out à ses parents, ceux-ci ne se montraient pas totalement réfractaires à l'homosexualité. “Mon père avait bien compris, iI me laissait des messages…” Ainsi dès son adolescence, “il me tendait des perches du style ‘j’ai un ami qui connaît un couple, c’est deux hommes qui vivent ensemble, et ça se passe bien'…”.
Pour autant, il arrive aussi à ce père de balancer des horreurs homophobes. Comme en 1993, ou en 1994, "mon père a croisé la Gay Pride, je sais pas où, peut-être à Montparnasse. Moi j’avais pas caché que j’y allais.” En rentrant, son père exprime son déplaisir devant cette image de l’homosexualité trop assumée à son goût. Il avait eu une réaction semblable devant 7 sur 7 la décennie précédente. L’émission culte d’Anne Sinclair revient un jour sur les "Jack Off Party" : "En fait les mecs se réunissaient pour se branler en groupe, c'était du safe sex. Et mon père était scandalisé en monde ‘quelle horreur, c’est dégueulasse'.”
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Dans les années 1990, une nouvelle génération de cinéastes participe toutefois à donner à la jeunesse des modèles différents. François Ozon, André Téchiné – dont Les Roseaux Sauvages ont beaucoup compté pour Julien… “Un film qui m’avait aussi beaucoup touché, qui parle d’une romance, avec beaucoup de tendresse, c’est Beautiful Thing.” Une histoire “entre deux ados en Angleterre, ça parle de coming out, de rejet, et de trouver l’amour, finalement, malgré toutes les difficultés et le regard social. Il est sorti en 1996, j’avais 23 ans, j’étais toujours célibataire.” Comme tous les jeunes de son âge, Julien cherche l'amour, et cette histoire dans laquelle deux garçons finissent par danser l’un contre l’autre lui donne de l'espoir. Il a enfin le souvenir ému des films de Gaël Morel, dans lesquels “il y avait toujours un personnage homo, une dimension homoérotique entre plusieurs garçons. Il filmait bien les corps, on sentait que c’était son désir personnel aussi qu’il exprimait par son talent de cinéaste.”
Sidaction, Act Up, premières trithérapies
Sous la lumière des tubes cathodiques, il y a aussi “Dechavanne qui fait pression pour la capote à 1 franc.” Celui qui animait à l’époque Ciel Mon Mardi ou Coucou c’est nous “s’insurge contre le fait que la capote reste chère, pour les jeunes en particulier. Il devient un peu porte-parole de la cause.” Comme un grand éclat qui attire les regards, le premier Sidaction est diffusé simultanément sur toutes les chaînes de télévision en 1994. “Quasiment tous les animateurs connus des six chaînes sont là, aussi des personnalités médiatiques, des comédiens…” L’événement qu’il regarde avec sa mère souligne enfin l’urgence d’aider les malades sans stigmatiser les homos. “Des militants gay séropos sont là, visibles, sur des grandes chaînes à une heure de grande écoute. Il y a un côté très solennel qui marque un fait de société important : on n’est plus dans l’underground.”
Car au début, les personnes touchées par le sida, “c’étaient les 4H : Haïtiens, hémophiles, homos, héroïnomanes”. Au cours de la première édition du Sidaction apparaît le visage émacié de Cleews Vellay, président d’Act Up. Julien le croisera d'ailleurs par hasard dans un bar. Souvenir marquant bien qu’anecdotique : “Il m’a impressionné, j'étais tout timide. Il me regarde, on se regarde, et ça en reste là. Quelques mois plus tard, il décède.” Julien rappelle qu’en France, les années 1990 furent une décennie où “il y a cette grande crainte de la part des parents que leurs enfants contractent le VIH. On est avant les trithérapies, qui arrivent en 1996.”
Deux ans après sa première édition, le Sidaction diffuse en 1996 le célèbre coup d’éclat de Christophe Martet, nouveau président d’Act Up, qui sermonne en direct le ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy. “C'est quoi ce pays de merde”, lance-t-il en dénonçant l'expulsion d'étrangers malades du sida. Son association marquera la décennie médiatique en attirant les caméras par des actions fortes, dans l’urgence de l’hécatombe.
En 1991, les militants d'Act Up interrompent la messe de la Toussaint dans la cathédrale de Notre-Dame au cri de “La capote c’est la vie, l’Église l’interdit”. La même année, ils tentent de menotter Dominique Charvet, qui dirige alors l’Agence française de lutte contre le sida. En 1992, ils organisent la première journée du désespoir au son de “Préparez les tombes, c’est l’hécatombe”, mettant en scène la mort des leurs. L’association importe depuis les États-Unis la méthode des zap : des actions éclairs qui attirent le regard sur une personnalité, une institution, une organisation dont ils dénoncent les agissements ou l’inaction – laboratoires, assureurs, ministres, etc. Il dressent aussi en 1993 la fameuse capote sur l'obélisque de la Concorde, organisent des die-in comme celui de 1994 sur les Champs-Elysées.
Une lumière au bout du tunnel perce avec l’arrivée de nouveaux traitements contre le VIH. “Les trithérapies arrivent en 96, là l’espoir arrive. Mais auparavant, on a des traitements qui ne fonctionnent pas aussi bien : l’AZT, le DDI... ” Julien se souvient être resté d’abord sceptique face aux premières trithérapies : “On voit qu’il y a des progrès mais on n’est pas encore convaincus. Je pense qu’on a du mal à se débarrasser de la peur.” La combinaison de plusieurs médicaments dont les nouvelles antiprotéases est très prometteuse. De longs mois passeront encore avant d’avoir connaissance de leurs effets à long terme et la certitude de pouvoir fabriquer suffisamment de traitements.
Europride, Aides, George Michael
Ce qui avait l'allure d'un crépuscule reprend lentement celle d'une aube. Au fil des ans, les Prides prennent de l’ampleur. “Une pride c’est dire qu’on existe, qu’on est là. Il y a des gens lookés, des gens extravagants, une diversité de profils, d’âges, de classes sociales, de couleurs de peau, de styles…” Pour ses premiers défilés, Julien se souvient n'avoir “pas été exubérant. Même si je trouvais ça sexy et audacieux, les mecs qui dansaient à moitié à poil, je n'en étais personnellement pas capable”. Ces fières marches montent en gamme jusqu’à celle plus marquante de ses 24 ans : “Je me souviens de l’Europride en 97. On passe à une autre dimension, il y a beaucoup de monde qui venait de toute l’Europe et ça s’est fini, il me semble, pelouse de Reuilly avec un concert, avec des stands. Il y avait tout un village.” Quelque 250.000 personnes participent au défilé parisien. “Défiler en plein jour, se montrer au reste de la population, je trouve que c’est super important.”
Dans cette quête d’effervescence, de chaleur nouvelle, Julien s’entoure d’autres homos. Besoin de s'entourer dans un contexte où “je ne vais pas bien, je fais un dépression… Je commence à rencontrer une psy, je commence un suivi thérapeutique”. “Progressivement, j’ai rencontré des semblables. En tout cas, des personnes qui avaient la même orientation sexuelle. Après, c’est à Toulouse que j’ai commencé à militer.” En 1997, quand Julien part vivre dans la ville rose, il commence à s’engager auprès d’associations LGBT. “J’allais au centre gay et lesbien de Toulouse, et après j’étais dans une autre asso qui s’appelait Gelem (gays et lesbiennes en marche), qui organisait la gay pride.” Il n’oublie pas pour autant le monde de la nuit, et fréquente le Shanghai, puis plus tard le On/Off. Sans oublier les bars comme La Ciguë, Les deux G, Le Quinquina… Il s’aventure de plus en plus souvent dans la pénombre des backrooms. Puis le jour dans les associations où il tient des rôles simples : “Je fais de l’accueil, des permanences, un peu de secrétariat, je n’ai pas de rôle politique, je suis pas Cleews Vellay.” D’autres personnages l’inspirent dans son parcours désormais investi dans la cause. “Je me souviens d'Arnaud Marty-Lavauzelle, le président d'Aides, qui était assez impressionnant.” L’association est déjà devenue une structure incontournable de prise en charge des malades du sida. Il y avait aussi “Serge Hefez, un psychiatre qui passait à la télé, dans une émission qui s’appelait Ruban Rouge et qui parlait du sida.”
Débarque à la lumière du jour, l’année où Julien fête ses 25 ans, un personnage au militantisme tardif, en feu d’artifice. “C’est George Michael, qui est resté dans le placard pendant des années”, se rappelle Julien, qui remarque “avec le recul qu'un mec qui danse avec un short fuchsia en satin avec son pote Andrew, c’est quand même pas le comble de l'hétérosexualité !" Le chanteur est arrêté à la fin de la décennie “parce qu’il se fait gauler par un flic en train de draguer un mec dans des toilettes publiques.” Avec à la clé un coming out forcé et une humiliation publique. “Toute la presse de caniveau en fait ses choux gras : regardez ce monstre, ce pervers, etc.” Sauf que quelque temps plus tard, l’artiste parodie lui-même la scène dans le clip du morceau Outside, où “il transforme les urinoirs en un truc glamour, avec la boule à facettes qui descend”. Tout un symbole.
Delanoë, Mauresmo, le Pacs
En cette fin de décennie, le coming out sort du champ artistique. Le 22 novembre 1998 dans l’émission Zone Interdite, un sénateur socialiste s'entend demander lors d’une mise en scène télévisuelle : “Bertrand Delanoë, êtes-vous hétérosexuel ou homosexuel ?”. Réponse de l'intéressé : “Bah...Je suis homosexuel, sinon vous ne m’auriez pas invité à participer à votre émission”. Julien considère “qu’il avait un certain panache. Il risquait gros, et il a eu quand même eu le courage d’être franc sur la question, ce qui ne l'a pas empêché de remporter la mairie de Paris en 2001.” Leçon à en tirer : “On s’est rendu compte que les gens s’en foutaient".
En 1999, Amélie Mauresmo fait à son tour événement dans le sport. “Un journaliste lui demande ce qu’elle va faire, et elle lui dit quelque chose comme “je vais retrouver mon amie', elle dit mon amiE.” Julien avait trouvé ce geste “très pudique, très simple. Je trouvais que c’était malin. Après elle a posé avec sa copine en une de Paris Match, c’était peut-être le premier couple homo qui posait en une de Match.” En 1999, Julien trouve à son tour l’amour. “On a habité ensemble, ça a duré quatre ans. Mes parents et mon frère le rencontrent, ils viennent dîner à la maison.” C'est l'année où les couples homos commencent à caresser l'espoir de pouvoir s’unir plus étroitement devant la loi…
Il aura fallu de longs atermoiements pour arriver à la version finale du Pacs, après des débats qui ont traversé la décennie. "Ça a pris des années, plusieurs gouvernements ont passé. On n'a pas tout de suite parlé du Pacs, il y a eu plusieurs acronymes : le CUC, le PIC, on s’y perdait !” En 1990, un premier partenariat civil fut proposé au Sénat par un certain Jean-Luc Mélenchon. Deux ans plus tard, c’est le contrat d’union civile (CUC). En 1995, le contrat de vie sociale (CVS). Ensuite, le contrat d’union sociale (CUS). Puis le CUCS. Et encore le PIC. Ces différentes versions proposaient des unions et engagements plus ou moins étroits entre les parties. Quand Jacques Chirac est élu président de la République en 1995, “on se dit que c’est repoussé aux calendes grecques. On ne s’attendait évidemment pas à la dissolution ratée de 1997”. La nouvelle majorité socialiste finit par s’orienter vers un contrat d’union entre personne du même sexe.
Arrive la fin de la décennie avec son lot d’humiliantes controverses sur la question. “Je me souviens de deux choses : les larmes de Roselyne Bachelot, seule députée de droite à voter pour le texte, et à défendre courageusement le texte face à son camp. Et les larmes de Christine Boutin qui fait son sketch en brandissant la Bible à l’Assemblée”. Fin 1998, au dernier moment, “une grande partie des députés de gauche déserte l’Assemblée pour retourner à leur circonscription. Ce qui fait que, coup de théâtre : le texte est retoqué et rejeté en première lecture.” Il faudra un second vote, après 120 heures de débat, pour que le Pacs soit enfin adopté. “Il fallait le faire, c’était important, je le soutenais mais il fallait aller plus loin : un vrai mariage.” Sans oublier que “l’idée, c’était aussi de donner une légitimité au couple, notamment à destination de gens qui perdaient tout lors de la perte de leur conjoint.” Dans les années sida, c'est chose courante. L'an 2000 se profile à l'horizon, avec de nouveaux espoirs, mais il faudra encore attendre près de quinze ans pour passer au mariage pour tous. Julien, lui, travaille aujourd’hui dans un centre de dépistage parisien, éclairant à son tour ses compagnons de route.
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Crédit photo : archives personnelles de Julien