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témoignagesAvoir eu 20 ans dans les années 2000 : les tchats en ligne, Britney, les mariés de Bègles

Par Tom Umbdenstock le 07/02/2022
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[Récit 5/5] Si elle a pu prendre appui sur les victoires des générations précédentes, la jeunesse gay des années 2000 avait encore devant elle un long chemin à faire pour la visibilité et l'égalité, notamment dans l'accès au mariage. Nicolas se souvient de sa vingtaine dans la première décennie du millénaire.

Être jeune et gay au début des années 2000, c’est pouvoir vivre enfin sans le joug d'une loi pénalisant l’homosexualité, se reconnaître dans des figures LGBT assumées du mouvement artistique, c’est trouver fièrement sa place dans un cortège qui défile chaque année dans les grandes villes. C'est, en somme, s'inscrire dans une biographie collective qui s'étoffe au grand jour. Des progrès, certes, mais toujours sans bénéficier des mêmes droits que les autres : celui en particulier de se marier, de fonder une famille. Comment, en ce changement de siècle qui est aussi celui de millénaire, se construire un parcours à soi, comme chaque génération à son tour : Nicolas nous parle de sa vingtaine dans les années 2000. 

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"Quand j’avais 18 ans, je vivais à Cahors dans le Lot. C’était le lycée, le scooter, les potes, la télé et internet", résume Nicolas vingt ans plus tard. "À l’époque, j’allais chercher TÊTU en cachette, dans la seule maison de la presse qui le vendait", se souvient-il, scène qui illustre son rapport d'alors à son homosexualité, "c’est-à-dire que je savais vers qui j’étais attiré, mais personne n’était au courant. De toute manière, ma mère a dû tomber sur des numéros du magazine mais ne comprenait absolument pas de quoi ça parlait". Car dans sa famille, l’homosexualité, "ce n’était pas envisageable, ce n'était pas dans leur cercle de pensée puisque dans l’entourage, il n'y en avait pas".

La loi n’empêche certes plus les minorités de s’aimer au grand jour mais la discrétion, la “bonne éducation” et la morale ont laissé des marques qui n’épargnent pas la jeunesse des années 2000. Le chemin est encore long pour que partout, dans les grandes villes et les petites, s’ouvrent des espaces queers dans lesquels retrouver la "communauté". Nicolas ne les a pas connus dans sa prime jeunesse, passée dans un bourg avec "zéro visibilité LGBT, il n’y avait même pas un bar où potentiellement j’aurais pu rencontrer des gens".

Steevy du Loft, sida et Pride

Même si à Cahors, il a souvent le sentiment d’être le seul gay au monde, cette époque fut aussi pour lui celle "des premières relations sexuelles avec des gars du coin". Il découvre les plaisirs charnels dans des instants dérobés, comme après une fête d’anniversaire "avec un gars qui ne m’attirait pas au demeurant. Mais on a dormi dans une chambre avec des lits séparés, et pendant la nuit, je me suis réveillé et je l'ai vu en train de se masturber… bah je lui ai proposé de l’aider !". Nicolas vit ses expériences, simplement il ne les ébruite pas trop, ne met pas ouvertement de mots sur sa différence.

Ainsi pour un garçon de vingt ans à l’aube des années 2000, il y a encore de la route à faire pour que la peur du regard des autres n'enferme pas son homosexualité dans un secret. "Cahors est très petit, tout le monde se connaît, même si c’est une préfecture. Donc j’avais peur de la réputation, des discours, etc. J’avais peur de ne pas pouvoir être épaulé si jamais ça devait mal se passer." La première année de cette décennie, le 15 juin 2000, les associations de lutte contre l'homophobie sont autorisées par la loi à se porter parties civiles quand un crime a été commis "en raison de l'orientation sexuelle de la victime". À Cahors, Nicolas se livre peu à peu à ses camarades avant de partir pour l’université : "J’ai quand même commencé à en parler à des amis proches à la fin du lycée".

En attendant les grandes villes, Nicolas pavient à trouver du réconfort auprès de la télé, où apparaissent des personnages qu’on n’avait que trop peu vus jusqu’ici. La téléréalité exhibe le quotidien de Steevy, puis plus tard celui de Thomas, dans Loft Story. Les deux hommes étaient pour Nicolas "des personnes à l’aise avec leur sexualité sans faire de coming out public. Mais ils s’affichaient clairement, étaient plutôt dans l’acceptation puisqu’ils passaient à la télé. Ils ne montraient rien mais ne cachaient rien. Je pense que j’ai pris ce modèle-là : ne rien cacher, ne rien montrer". La présence cathodique de ces candidats, "c’était hyper important pour moi, qui n’étais pas arrivé dans une grande ville avec une 'communauté', de me dire que je n'étais pas seul".

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Une décennie et une jeunesse faite de rêves et de désillusions, de pas en avant et de pas en arrière. Des chemins tortueux illustrés par des films comme Mullholand Drive, sorti en 2001, qui "débouche sur une espèce de relation lesbienne hyper bizarre, donc il y a un aller-retour entre la folie, la norme, le sexe". Le film rappelle à Nicolas son propre cheminement : “C’est peut-être le parcours de tous les LGBT de l’époque, on se demande où on se place, est-ce qu’on est fous, est-ce qu’on est normaux ou pas ?”.

Au même moment, la télévision de ses parents montre un tout autre univers, et le poste du salon révèle leur décalage sur la question. Il y avait d’un côté la télé de papa et maman. "Quand ils montraient la Pride sur TF1, mes parents râlaient, c’était catastrophique", parce que la chaîne ne montrait "que les paillettes et les fétichistes". Nicolas développe : "C’était une représentation de l’homosexualité qu’il n’avaient pas envie de voir. C'était ça ou le sida, à l'époque, sida et Pride c’étaient les deux moments où on parlait d’homosexualité dans les médias".

Boys bands, Dawson, Buffy

De l’autre côté, dans la télé du jeune Nicolas, sans afficher explicitement leur homosexualité, quelques membres de boys bands contribuent à une certaine visibilité, presque malgré eux. "On sait qu’à peu près un sur quatre était gays, sourit-il encore. Même s'ils ont fait leur coming out bien plus tard, l’esthétique du boys band était tellement LGBT que pour moi, c’était une espèce de coming out généralisé." Il garde en mémoire ces éphèbes qui faisaient chavirer son cœur adolescent : "J’étais amoureux dès les années 90 des Take That en Angleterre, il y avait aussi les G- Squad, To Be Three, Worlds Apart, Alliage…".

Dans la lignée des éclaireurs de sa décennie, côté fiction, "il y avait aussi des séries avec des personnages gays. Je regardais Will and Grace, il y avait aussi un personnage gay dans Dawson, une lesbienne dans Buffy contre les vampires… Ces personnages queers restent souvent secondaires mais "c’était un des rares modèles de vie homosexuelle que j’avais. Ils vivaient tous à peu près la même chose, c’est-à-dire une pression sociale, des coming out qui se passent mal, des personnes qui sont rejetées… Donc ça ne m’aidait clairement pas à faire le mien."

Ces années-là, “c’était l’époque où j’ai bifurqué vers Sex and the City, où il y a le meilleur pote gay de Carrie Bradshaw”. Le personnage mène à New York la vie rêvée de Nicolas. Dans la série, “ces quatre nanas ont été des modèles de vie pour les LGBT des grandes villes. Elles ont un rapport débridé à la sexualité, s’acceptant en tant que prédateur sexuel alors qu’on n’était pas censé l’être quand on n’est pas un homme hétérosexuel. C’était un modèle de vie et de sexualité que j’ai gardé quand je suis arrivé à Paris.” Mais ça, ce sera quelques années plus tard. 

En attendant, comme un avant-goût, une de ses premières rencontres gays dans la ville de Cahors lui a donné l’aperçu d’un univers presque palpable : "C’était un gérant de restaurant qui devait avoir 35 balais, qui m’a dragué ouvertement. Il venait de grandes villes, et notamment de Paris, donc il a pu partager avec moi ce qu’était la communauté, et on a pu discuter". En 2001, ça y est : pour ses études, Nicolas débarque à Toulouse, première grande ville, sa ville rose où il aperçoit enfin de ses propres yeux "la visibilité des LGBT, la communauté, des bars, des drapeaux, des maisons de la presse qui ont des sélections un peu plus étoffées que celle de Cahors…". Il se rappelle d’un bar Place des Carmes "où le dancefloor était en sous-sol" et aussi "un autre bar tout petit, qui était sur le canal du Midi". Parmi les lieux gays majeurs, il y avait "le Shanghai, hyper connu, c’était la seule boîte gay avec backroom de la région". Soulagement de voir la communauté LGBT visible, même si "au final, ne n'allais pas spécialement dans ces bars-là où je me sentais très sexualisé et pas à l’aise, je restais dans mes classes habituelles et on sortait n’importe où, dont des lieux gays".

Internet, les forums et le porno

Par chance, internet s'est installé, lui permettant de faire des rencontres en ligne sans dépendre des lieux dédiés et du hasard des rencontres. "Il y avait le forum de Wanadoo, c’était The place to be pour la rencontre gay locale." L’interface du site était "dégueulasse" selon ses souvenirs, "avec des options très basiques : colorer et remettre en gras la police". Les codes pour faire des rencontres numériques prennent forme : on précisait son "asv", "âge, sexe, ville – et ça se terminait en privé pour échanger les numéros de portable…". Nicolas est conscient que dans ces années bourgeonnantes, il marche dans les pas des générations d’hommes gays qui l'ont précédé, grâce auxquels, sans être publiquement out, il tire une certaine confiance en lui : "Je suis allé draguer les garçons comme si c’était naturel, je pense que c’est le résultat des progrès de toutes les luttes qui ont été faites avant".

Sur la Toile, les films pornos ont aussi trouvé le chemin des écrans d’ordinateur. Sur Emule ou Napster, d’heureux hasards de téléchargement faisaient le plaisir de Nicolas. "Je téléchargeais beaucoup de musiques à l’époque et une fois sur deux c’était un porno et, une fois sur deux quand c’était du porno, c’était du porno gay. Donc tant mieux", se pince-t-il encore. Dans la découverte de sa sexualité, le jeune homme développe alors des désirs plus spécifiques, "parce qu’avec l’arrivée à Toulouse, j’ai pris des branches fétichistes dans ma sexualité. Donc je me suis porté là-dessus et internet m’a aidé à trouver ce genre de porno que je ne trouvais pas dans les loueurs classiques de DVD pornos qui existaient encore". Grâce à internet peuvent se former des communautés dans la communauté. Nicolas tient sur un blog la chronique de ses fantasmes.

"Est-ce que je vais pouvoir fonder une famille ? Comment ça va se présenter ?"

Évidemment il n’y a pas que le sexe sur la route d’une libération queer. Dans les facs, des militants qui se faisaient voir dans les couloirs ont épaulé Nicolas dans sa quête d’affirmation : "Il commence à y avoir des syndicats, on commence à se politiser, et à voir des militants LGBT qui amènent une visibilité assez forte". Ainsi "au sein des associations, notamment de gauche et d’extrême gauche, il y avait des militantes, notamment lesbiennes, féministes. Elles s’occupaient de prévention, de santé sexuelle. On parlait du sida et des risques liés à la sexualité". L’univers LGBT renforce sa place dans l’univers syndical et militant. Le sida est encore là mais les associations sont désormais bien ancrées pour prendre soin de la communauté. 

Parmi ces militants, Nicolas fait à 19 ans la rencontre, au cours une soirée étudiante, d’un président d’association. "On a échangé nos numéros et c’était parti pour une relation de quelques mois." C’est là que se posent pour lui les premières questions sur une suite, même très hypothétique, de sa vie familiale. "Coucher est une chose, entrer en relation sérieuse est une autre, parce que forcément, en couple, il va falloir assumer un moment donné devant tout le monde et notamment la famille. Donc là, on réfléchit aussi à est-ce que je vais pouvoir fonder une famille ? Comment ça va se présenter ?" Des questions sur lesquelles, dans les années 2000, les perspectives son encore très réduites : pas de mariage, pas d’adoption. Les homos doivent se contenter du Pacs durant près de quinze ans. 

Britney, Katy Perry, Kylie Minogue

À défaut de fonder tout de suite une famille, Nicolas se réconforte à nouveau auprès de ses modèles sur le petit écran ou à la radio. D’abord les Spice Girls, qui l’accompagnent depuis les années 1990. "Il y a toutes ces chanteuses qui sont arrivées avec ce côté empowerment comme Britney Spears, qui a à peu près le même âge que moi, qui a fait des chansons sur le thème 'je suis une femme, je l’assume, je suis une minorité sexuelle qui n’a pas le pouvoir d’ordinaire’. Cela a été mes modèles plus que des personnes qui ont affiché leur homosexualité dans des chansons. Queen, c’était pas ma génération, Bowie non plus. Ce sont ces femmes qui m’ont donné cette confiance et cet empowerment."

Au milieu des années 2000, Katy Perry commence aussi à entonner "I kissed a girl and I liked it", "donc forcément, on l’a aimée tout de suite". Dans la même veine il y avait les t.A.T.u., "deux lesbiennes russes qui s’embrassent dans leur clip" [elles expliqueront plus tard être hétérosexuelles], mais aussi Lara Fabian qui chante "la différence" ou encore Kylie Minogue… "Toutes ces femmes-là, elles arrivaient dans la conversation quand je faisais des rencontres sexuelles, c’était les conversations d’après le sexe."

Chemin faisant, le 4 mars 2002, une loi permet à un “tierce digne de confiance” de partager l’autorité parentale d’un enfant “si les circonstances l’exigent”. À condition de passer devant des tribunaux pour s’en justifier, gays et lesbiennes peuvent partager une forme de parentalité. Un tout petit pas en avant. Mais rien n’est encore garanti pour offrir un modèle fier et solide à Nicolas. En 2002, Jean-Marie Le Pen, le candidat du Front national, passe au second tour de l’élection présidentielle. Un grand pas en arrière. Les sorties homophobes du patriarche inquiètent le jeune homme : "Il disait 'pédé' pour insulter quelqu’un, il disait 'petit pédé' devant les caméras…".

Des obstacles, mais jamais d’arrêt net dans la course de Nicolas qui fête ses 20 ans en 2003. Cette année-là, il déménage à Lille pour poursuivre ses études. "Ce qui va être radical dans mon arrivée à Lille, c’est la proximité d’autres grandes villes comme Bruxelles, Paris et Londres, et la multiplication chez moi des plans cul. Je me suis senti plus à l’aise de vivre ma sexualité, peut-être parce que ce n’était pas ma culture, je me sentais moins gêné, plus anonyme." Il trouve une certaine confiance en lui, presque trop considère-t-il rétrospectivement : "Cela m'a conduit à prendre des risques lors de certains plans".

Les mariés de Bègles et Brokeback Mountain

En 2004 est créée la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (la HALDE) qui tient compte de l’homosexualité comme forme de discrimination et condamne les propos homophobes. La même année apparaît dans le PAF la première chaîne LGBT : Pink TV, qui fut pour Nicolas "une révolution. J’étais excité à l’idée qu’il y ait cette chaîne même si au final, je l’ai très peu regardée. Mais je me souviens justement qu’un des présentateurs faisait partie d’Alliage". Le 5 juin, Stéphane et Bertrand sont illégalement mariés à Bègles par le maire Noël Mamère pendant que pro et anti manifestent devant l’hôtel. L’acte fut annulé par décision de justice. 

Les années lilloises de Nicolas se mêlent dans son esprit à la sortie du film Le secret de Brokeback Mountain, un tournant radical dans sa vie : "Il y a un avant et un après Brokeback Mountain parce que le film m’a traumatisé, il m’a fait prendre conscience que se cacher, ne pas faire quelque chose pour la reconnaissance des LGBT, ce n’était plus possible. J’ai alors signé un contrat avec moi-même : je ne veux pas finir comme ça." C’est-à-dire battu à mort par des monstres homophobes qui veulent faire disparaître le fameux couple de cow-boys amoureux. Dès lors, Nicolas fréquente plus activement les nombreux lieux LGBT de Lille, dont il parvient aujourd’hui difficilement à dresser la liste, à cause de sa "très mauvaise mémoire des lieux". Il se souvient toutefois que "dans le vieux Lille, il y a une place où il n’y a que des bars LGBT, sur le croisement entre la rue des Archives et la rue Royale".

Cette effervescence donne envie au jeune homme de parler plus ouvertement de son homosexualité. En somme, il se sent devoir "être un peu plus revendicatif, moins laisser passer des propos homophobes…". Il met désormais en avant son identité LGBT, inspirée par des initiatives qui prennent le devant de la scène. Parmi lesquelles l’organisation d’un spectacle sur la vie gay de son maître de stage. Le spectacle, qui rencontre un certain succès à Lille, est joué dans la ville de Vervins, dans l’Aisne, où les comédiens tombent dans une embuscade artistique avec "un public complètement homophobe, c’est la catastrophe. Personne ne riait, personne n’a applaudi. Là j’ai presque eu peur pour ma vie, on a trouvé ça surréaliste, on s’est demandés pourquoi la mairie nous avait invités".

La Pride, le 17 mai, Paris et la communauté

Sans rebrousser chemin, de retour à Lille, Nicolas participe à sa première Pride en 2005, l’année de ses 22 ans. Il en tire le "souvenir d’être fier, de me sentir au bon endroit au bon moment, de voir la diversité qu’il y a autour, de prendre conscience des enjeux". Il perçoit alors "l’envergure du monde associatif qui œuvre autour des marches et de la diversité des personnes, orientations, identités de genre. Ce qui m’a choqué, c’est en creux son invisibilisation dans le quotidien, je pense que ça a redoublé mon côté militant". Le 17 mai de cette même année se tient la première journée mondiale contre l’homophobie, quinze ans après la suppression de l’homosexualité de la liste des maladies mentales publiée par l’OMS. L’histoire LGBT de Nicolas commence à s’écrire autrement, comme celle de la communauté qui se retourne désormais sur les figures qui ont pavé sa route. Quelques années plus tard, le garçon ira se précipiter pour voir le film Harvey Milk "qui parle dans quelque chose de réel et n’est pas lié à la nuit, au sexe et à la fête".

En 2006, à 23 ans, Nicolas bifurque vers Paris pour son premier CDI. À un an de la présidentielle qui opposera Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal, candidate à l’investiture socialiste qui s’exprime timidement dans TÊTU en faveur du mariage et de l’adoption pour les couples de même sexe. Mais elle reste dans une forme d’ambivalence, de peur de braquer l’ordre moral : "Il faut donc que la loi le permette, mais sans l'imposer comme norme", précise-t-elle.

Dans son travail dans les relations médias, Nicolas parle ouvertement de son homosexualité. Il s’était lancé dans ce domaine de la communication "parce j’ai un peu choisi mes filières en fonction de l’accueil qu’elles faisaient aux LGBT", précise-t-il, conscient que “dans d’autres environnements de travail, c’était inenvisageable d’aborder ce genre de sujet”. Le lieu de travail reste encore à conquérir pour les personnes LGBT. En dehors des horaires de bureaux, arrivé dans la plus grande ville de France, Nicolas goûte la consommation communautaire dans les lieux et lors d'événements culturels dédiés. Il croise la route de la librairie Violette and Co, "ouverte en 2004 à Paris, tenue par deux lesbiennes qui ne vendaient que des livres sur les LGBT, que ce soit des romans ou des essais. Avec aussi des cartes postales très drôles que j’ai toujours dans mes toilettes”. En plus de toutes les boutiques du Marais où se vendaient déjà "cuir et accessoires pour le sexe, parmi lesquelles RoB".

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Un épanouissement cérébral donc, mais également sensuel. Car “sinon, Nicolas, tu le trouvais en train de baiser la moitié fétichiste de Paris, à domicile. Ça fait partie de ma sexualité, de ma vie communautaire. Tout ça grâce à internet notamment, et via les rencontres à domicile.” Nicolas voyage de chez lui, et pas en solitaire car “Paris était très fréquenté par les touristes, donc j’ai baisé international sans bouger. Toute l’Europe, l'Asie, l'Afrique, l’Amérique se retrouvait à Paris à un moment donné.” Signe de cette époque, Nicolas n’y allait pas par quatre chemins. Il considère aujourd’hui que cette liberté d’explorer son fétichisme avait déjà “une corrélation avec internet et l’essor des réseaux sociaux. En plus des vidéos porno en ligne qui ont donné une visibilité au fétichisme.

Tout n’avance pas au même rythme pourtant dans les années 2000. Allers, retours. Quand il passe dans sa région natale, Nicolas a le sentiment de le faire à reculons. "J’ai fait des soirées où je revenais voir mes potes dans la région de Toulouse. Je suis souvent tombé sur des milieux assez fermés où il y avait beaucoup d’hommes, ça pouvait être des clubs sportifs à l'ambiance assez homophobe, ou des allusions sexuelles dans les soirées, aussi certains repas où on me posait trop de questions."

Almodovar et Jean-Luc Delarue

Durant cette décennie il y avait les films de Pedro Almodovar explorant de front les questionnements LGBT, comme dans La mauvaise éducation, film quasi-autobiographique. Ou encore quelques émissions de Ça se discute, présentées par Jean-Luc Delarue, dont Nicolas se rappelle qu'"il avait fait des émissions sur le Pacs, l’homoparentalité, les trans, il traitait vraiment tous les sujets de société qui étaient tabous pour les politiques ou hyper clivants. Les invités étaient à chaque fois assez exceptionnels, j’adorais cette émission assez riche de sens". De l’autre côté, toujours des impasses, des claques verbales envoyées par des personnages comme Laurent Baffie qui "faisait des blagues de beauf, il disqualifiait des invités parce qu'ils étaient homosexuels ou en leur prêtant des relations homosexuelles".

Les artistes auprès desquels Nicolas mène sa vie citadine sont loin de ces considérations. Il reprend son souffle auprès du monde du spectacle qui fait bon accueil au public gay. Un public avec lequel il a eu le sentiment de faire communion lorsqu’il va voir des comédies musicales. Au théâtre du Châtelet, par exemple, "qui passait des comédies musicales hyper populaires aux États-Unis, appréciées par la communauté LGBT, comme West Side Story, My Fair lady, La Mélodie du Bonheur, le Barbier de Séville adaptés en comédies musicales colorées, bigarrées". Dans le public, "un coup on voyait Laurent Ruquier, un autre coup on voyait Pierre Palmade, un autre coup on voyait tel ou tel présentateur pas encore out mais qui venait avec son petit copain…"

Le mirage du mariage et des enfants

La vie parisienne qu’il mène met sur la route du jeune adulte un bel avocat répondant au nom de Thomas. "Il était canon, on faisait des plans réguliers. Et moi je suis tombé amoureux." Tout se passait bien jusqu’à ce que son amant déménage à Londres… "et là, c’est le drame, l’aérodrame". À la fin d’un séjour de retrouvailles, "il me dit qu’il est pas pédé. Donc c’est une fin de non-recevoir de la relation. Évidemment, j’ai passé tout le trajet de retour dans le TGV à chialer… et à être très en colère. J’ai pas accepté cette réponse, parce que je savais qu’il était gay". L’homme que Nicolas désire s’avère selon lui être "un gars qui va prendre la première femme venue et se marier, faire des gamins et avoir une double vie". Les deux hommes ne se sont jamais revus. "En fait je revivais Brokeback Mountain… Il y en a un qui veut aller plus loin et l’autre qui dit que ce n’est pas acceptable, pas possible, qu’on ne peut pas vivre comme ça. Et ça m'a tué.” Les années 2000 n'ont pas aboli la difficulté pour certains de se projeter dans une vie gay. 

"On fait un mariage hétérosexuel, on fait des enfants, on divorce, et c’est réglé pour la famille. Sinon, il faut avoir une double vie."

Une difficulté d'autant plus réelle pour ceux qui veulent fonder une famille. "Mariage, GPA, PMA, on n’en parlait pas du tout. L’adoption, c’était à l'international ou rien. C’était très confidentiel, et pour nous c’était le seul moyen envisageable de fonder une famille. Moi à l’époque, je ne savais même pas que la GPA ou la PMA existaient." Une décennie où la recette la plus facile pour avoir des enfants reste : "On fait un mariage hétérosexuel, on fait des enfants, on divorce, et c’est réglé pour la famille. Sinon, il faut avoir une double vie."

Au long de la décennie, différentes instances juridiques prennent des décisions favorables concernant l’adoption par des personnes homosexuelles, puis reviennent en arrière. Pendant un temps, la solution pour garder un lien avec l’enfant de son conjoint ou sa conjointe est d’en faire une adoption simple puis de partager ensuite son autorité parentale avec l'autre parent. Impossible d’adopter un enfant dans le cadre d’un couple gay car il faut être marié pour adopter. Le poisson se mord la queue. En 2008, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) considère enfin que "le droit français autorise l'adoption d'un enfant par un célibataire, ouvrant ainsi la voie à l'adoption par une personne célibataire homosexuelle". La France ne peut enfin plus refuser l’adoption à une personne homosexuelle. 

La décennie finissante, Nicolas s’engage définitivement pour que les amoureux LGBT puissent rêver d’un foyer à deux ou plus. “Le militantisme, pour moi, ça a commencé à la fin des années 2000. J’ai voulu activement fonder une famille parce que mon âge avançait et que dans mon entourage, il y avait de plus en plus d’enfants.” Nicolas rejoint ainsi l’APGL (association des parents et futurs parents gays et lesbiens), “au départ parce que je cherchais des co-mamans. Finalement j’ai mis les deux pieds dans le militantisme LGBT et homoparental". Il donne des coups de main de plus en plus récurrents dans la communication de l’association. “La suite a été aussi de me renseigner sur l’aspect juridique, l’aspect législatif de ces questions des familles homoparentales. J’ai commencé à prendre le sujet politiquement au sérieux. J'ai bossé le truc pour être au fait de ce qu’il se passait à l’Assemblée ou au niveau des élections.” Il y a de quoi faire pour qu’une égalité de droit puisse être acquise pour les personnes LGBT. 

"Je m’étais dit que ferais mon coming out en même temps que j’aurais une relation sérieuse, je l’envisageais en présentant directement quelqu’un à ma famille."

En dehors du droit, le quotidien n’est d'ailleurs pas tout rose pour de nombreuses personnes LGBT. Nicolas se souvient “d'une ambiance lourde", citant pêle-mêle nombre de phénomènes qui n'ont pas tous disparu dix ans plus tard : "Des insultes dans les stades, des extrémistes religieux qui prennent la parole sur l’homosexualité, des agressions homophobes. Il y a encore de la drague à l’extérieur donc encore des gars qui se font tabasser. Il y a les applis qui montent en puissance et il y a les traquenards, des gars qui se font piéger. Puis il y a le rapport à la famille qui est compliqué, dans lequel on se met parfois plus la pression que la famille. Moi en tous cas c'est ce que j'ai fait : je voulais présenter à ma famille un projet familial, je ne voulais pas leur présenter ma sexualité". Nicolas fera son coming out familial à la toute fin de la décennie, en 2010, à l'âge de 28 ans. “Au final c’est un non-sujet, ils s’en foutent. Même s’ils étaient un peu surpris, il s’y attendaient un peu, c’est ce qu’ils m’ont dit.

Rétrospectivement, en reconsidérant toute cette attente avant d’en parler à sa famille, Nicolas y lit “une autocensure, cette peur du regard, du jugement. Je m’étais dit que ferais mon coming out en même temps que j’aurais une relation sérieuse, je l’envisageais en présentant directement quelqu’un à ma famille. Ça ne s'est pas fait". Sans reconnaissance des couples homos, sans l'égalité de droit, sans avenir familial imaginable, il y a encore de quoi s’auto-censurer quand on a vingt ans dans les années 2000. En 2013, le mariage pour tous permettra enfin aux couples de même sexe de s’unir devant la loi, et d’adopter des enfants. Dans la douleur, encore, des slogans haineux de la Manif pour tous… La France est entrée dans un deuxième millénaire et pour les personnes LGBT, le chemin vers l'égalité réelle et le respect n'est toujours pas fini, mais il a avancé, en cinquante ans.

Retrouvez tous les épisodes de notre série "Avoir eu 20 ans en" :

>> Avoir eu 20 ans dans les années 1960 : Jean Genet, pissotières et descentes de police
>> Avoir eu 20 ans dans les années 1970 : Roger Peyrefitte, "Gai Pied", premières manif
>> Avoir eu 20 ans dans les années 1980 : naissance du Marais, saunas, sida…

>> Avoir eu 20 ans dans les années 1990 : poids du sida, drague au tel, Pacs et Queen

Crédit photo : archives personnelles de Nicolas