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histoire8 mars : Paris ravive la mémoire de deux résistantes lesbiennes déportées

Par têtu· le 08/03/2022
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Ce mardi 8 mars 2022, journée internationale des droits des femmes, a été inaugurée à Paris une plaque commémorative en hommage au couple de résistantes Susanne Leclezio et Yvonne Ziegler, initiative portée par le projet "Constellations Brisées" du collectif Queer Code.

Susanne Leclezio et Yvonne Ziegler ont enfin leurs noms honorés dans Paris. Ce mardi 8 mars 2022, à l'occasion de la Journée internationale de luttes pour les droits des femmes, a été inaugurée une plaque commémorative au 22 rue Marcadet, dans le 18e arrondissement de la capitale, en hommage à ce couple de résistantes. Une initiative portée par le projet "Constellations Brisées" du collectif Queer Code, qui depuis 2018 met en lumière la question de la déportation et de la résistance lesbienne pendant la Seconde Guerre mondiale.

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"Au début des années 1930, Suzanne Leclezio et Yvonne Ziegler vivent ensemble dans le 14e arrondissement. Suzanne est assistante sociale au dispensaire Marcadet de la Compagnie des chemins de fer du nord, tandis qu’Yvonne, artiste peintre, dirige une académie de peinture, retrace le projet. En 1943, Suzanne et Yvonne s’engagent dans la Résistance. Elles sont sous-lieutenants. Lors des bombardements d’avril 1944, elles font preuve de remarquables qualités de courage en apportant des soins aux nombreux blessé·e·s du quartier. À l’été 1944, elles sont arrêtées par la Gestapo, torturées et déportées à Ravensbrück. Elles sont surnommées par leurs camarades 'les inséparables'. Évadées des marches de la mort, elles sont rapatriées à Paris en mai 1945. À la retraite, elles vivent heureuses et entourées dans le Calvados."

"Constellations Brisées", gros travail de recherche

Disponible en ligne, le projet participatif, européen, numérique et féministe de Constellations Brisées, intitulé "Cartographies de trajectoires de femmes ayant aimé des femmes durant la Seconde Guerre mondiale", recense ainsi plusieurs portraits et itinéraires de femmes en Europe, enrichis de documents et photos. Ce colossal travail de mémoire – bénévole – nous renseigne avec précision sur les vies de celles que l’on passe souvent aux oubliettes de l’Histoire. Avec ses cartes interactives, il nous permet de restituer dans le temps et l’espace les trajectoires de vie de plusieurs femmes lesbiennes, mais aussi juives, trans, racisées, résistantes, communistes, qui se sont battues tout au long de la guerre.

Pour la plupart déportées, peu d’entre elles ont pu revenir et raconter leur calvaire. On retrouve par exemple le portrait d’Eva Kotchever, polonaise juive, fondatrice d’un bar lesbien à New York baptisé le Eve’s Hangout. Expulsée des États-Unis et réfugiée en France, elle est arrêtée en 1943 et déportée avec sa compagne Hella Olstein à Auschwitz, où elles sont gazées le 17 décembre 1943. Ou encore celui d’Ovida Delect, femme trans résistante, communiste, torturée par la Gestapo et déportée avant sa transition dans les camps d’hommes. Le documentaire Appelez-moi Madame, de la réalisatrice Françoise Romand, lui est dédié.

Mené par l’historienne et militante Suzette Robichon, le collectif s’évertue depuis 2018 à collecter photos, documents, traces écrites et témoignages des quelques noms de lesbiennes qui nous sont parvenus, pour pouvoir retracer le fil de leur périple à travers la guerre. Bientôt diffusé dans le cadre d’une exposition à la bibliothèque Marguerite Durand (Paris 20e), le projet est également l’un des supports phares ayant permis la création de l’exposition au mémorial de la Shoah à Paris. Cette installation, en place jusqu’au 28 mars, est essentielle pour enfin mettre en lumière les exactions subies par les LGBTQI+ pendant la guerre.

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Un pan enfin visible de l'histoire lesbienne

Longtemps mises de côté par la recherche historique, les personnes queers ont pourtant bel et bien été des cibles privilégiées du régime nazi, s'appuyant notamment sur le paragraphe 175, un texte de loi considérant tout acte sexuel entre hommes passible d’emprisonnement. On estime le nombre d'arrestations à 100.000 personnes, et les déportés à 10.000. Portant le triangle rose, les prisonniers homosexuels sont placés tout en bas de l’échelle sociale des camps, au même titre que les juifs et les tziganes, et sont victimes d’humiliations et expériences médicales.

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Si les lesbiennes ne sont pas concernées par le paragraphe 175, elles ont aussi été les cibles du troisième Reich. Certes, elles ne portent pas le triangle rose dans les camps, et sont déportées au titre de résistantes, juives, prostituées, ou criminelles. Néanmoins, les recherches présentées lors de l’exposition au Mémorial de la Shoah ainsi que sur le site Constellations Brisées montrent des registres de déportation faisant la mention du terme "lesbisch" – lesbienne en allemand – à côté du nom de certaines femmes, comme celui de la résistante Margarete Rosenberg. Dans les camps, les témoignages des rescapées font mention de brimades, de viols ou encore de prostitution forcée pour celles identifiées spécifiquement comme lesbiennes.

Une visibilité gagnée après de longues années de silence 

Si des projets comme Constellations Brisés et l’exposition au mémorial de la Shoah nous permettent enfin de comprendre et se réapproprier une partie de notre histoire commune, cette accessibilité n’a été gagnée qu’après de nombreuses années de silence. Alors que la discrétion est de mise pour les rescapés des camps à la libération, la peine est double pour les gays et lesbiennes ayant survécu. Pendant de longues décennies, les déportés LGBTQI+ n’ont pas été conviés aux commémorations, voire exclus. Certains, comme Pierre Seel, déporté homosexuel décédé en 2008, n’ont jamais pu toucher de pension au titre de leur déportation.

Si l’on commence à commémorer les survivants homosexuels catégorisés comme triangles roses, les institutions officielles peinent encore à reconnaître la place des lesbiennes dans cette partie de l’histoire. En Allemagne, à Berlin, le monument dédié spécifiquement aux déportés gays montre un couple d'hommes. Il a bien été question lors de la création du projet d’alterner entre un couple d’hommes et un couple de femmes mais cette suggestion a été balayée par les associations portant le projet. Suggéré par le Mémorial de la déportation homosexuelle, le projet d’un monument public dans Paris qui commémorerait les déportés homosexuels est en discussion depuis une dizaine d'années, mais n’a toujours pas vu le jour. En attendant, grâce au travail effectué par le collectif Queer Code, on peut enfin mettre des visages sur ces oubliées de l’histoire, et raccrocher l’un des wagons manquants de l’histoire des lesbiennes.

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Crédit photo : Queer Code